Combat contre le « libre échangisme »

« Le libéralisme ne saurait être un laisser faire », insiste Maurice Allais, 99 ans depuis mai dernier et seul Français Nobel d’économie (1988). Dans la livraison de mai de Réalités Industrielles, publiée avec le soutien de Bercy, l’économiste ouvre le bal d’un dossier consacré au diagnostic de la crise, avec un petit article décapant sur « Les causes véritables du chômage ».

Pour Maurice Allais, le chômage n’est pas essentiellement dû à des questions monétaires, même si celles-ci devraient « continuer de jouer un rôle néfaste grandissant », mais il pointe en premier lieu, les responsabilités d’un système global, celui né de  » la conséquence de la libéralisation inconsidérée du commerce international. »

 

Par Emmanuel Lemieux

Pour fêter ses 99 ans, le seul Nobel français d’économie s’est livré dans la très confidentielle revue de l’Ecole des Mines à une critique féroce du « libre-échangisme ». Il alerte sur la destruction de l’agriculture et de l’industrie, sources profondes du chômage français, et en appelle à des solidarités régionales.

allais-a49b8 BIO-EXPRESS. Né le 31 mai 1911. 1947 : Participe avec les économistes libéraux (Hayek, Friedman, Mises) à la création de la Société du Mont-Pelerin (anti-étatisme). 1988 : Nobel d’économie pour sa théorie des marchés et l’utilisation efficace des ressources. 1994 : abandon des théories reaganiennes et combat contre le « libre échangisme » 

« Le libéralisme ne saurait être un laisser faire« , insiste Maurice Allais, 99 ans depuis mai dernier et seul Français Nobel d’économie (1988). Dans la livraison de mai de Réalités Industrielles, publiée avec le soutien de Bercy, l’économiste ouvre le bal d’un dossier consacré au diagnostic de la crise, avec un petit article décapant sur « Les causes véritables du chômage« .

Pour Maurice Allais, le chômage n’est pas essentiellement dû à des questions monétaires, même si celles-ci devraient « continuer de jouer un rôle néfaste grandissant« , mais il pointe en premier lieu, les responsabilités d’un système global, celui né de  » la conséquence de la libéralisation inconsidérée du commerce international.« 

  • La profonde ignorance des économistes

Professeur honoraire à l’Ecole nationale supérieure des Mines de Paris, il rappelle à ses anciens disciples quelques vérités pas très politiquement correctes et s’en prend à l’idéologie mainstream actuelle des économistes. Farouchement anti-échangiste comme il fut exactement le contraire, reaganien invétéré jusqu’en 1994, il estime que « nous avons été conduits à l’abîme par des affirmations économiques constamment répétées, mais non prouvées. Par un matraquage incessant, nous étions mis face à « des vérités établies, des tabous indiscutés, des préjugés admis sans discussion. Cette doctrine affirmait comme une vérité scientifique un lien entre l’absence de régulation et une allocation optimale des ressources. Au lieu de vérité il y a eu, au contraire, dans tout ceci, une profonde ignorance et une idéologie simplificatrice.

Le doyen des économistes français perçoit dans la crise financière actuelle, un poison majeur : « L’enjeu capital actuel est le risque d’une destruction de l’agriculture et de l’industrie françaises. Ce danger est réel et j’emploie le mot destruction car il est représentatif de la réalité. Un tel risque provient du mouvement incessant des délocalisations, elles-même dues aux différences de salaires entre, d’une part, des pays développés tels que ceux de l’Amérique du Nord ou d’Europe de l’Ouest, et, d’autre part, ceux d’Asie ou d’Europe orientale, par exemple la Roumanie ou la Pologne« , accuse t-il. Démonstration : « Un écart de salaire élevé, aussi extrême qu’un rapport de un à six par exemple, n’est pas supportable sur le long terme par les entreprises des pays où le revenu est plus élevé.« 

  • Tous victimes

Mais le quasi-centenaire met en garde également ceux qui voudraient attiser les haines xénophobes de cette situation. « Cela ne veut pas dire que j’oppose entre elles ces différentes régions, qui me semblent toutes des victimes actuelles ou à venir du libre-échangisme voulu par l’OMC, le FMI et par Bruxelles en ce qui concerne l’Europe. » En 2005 déjà, le Nobel d’économie estimait que l’abandon de la préférence communautaire, décidé en 1974 par Bruxelles, avait entraîné une réduction du taux de croissance du PIB réel par habitant de chaque pays du traité de Rome de l’ordre de 30 à 50%.

En 2010, Maurice Allais propose une réforme rétablissant les préférences régionales au sein du commerce international. « Un point essentiel tient à la définition de ces espaces régionaux, qui ne devront pas être trop vastes et devront rechercher une homogénéité interne, ce que je définis comme « des ensembles régionaux groupant des pays de développement économique comparable, chaque association régionale se protégeant raisonnablement vis à vis des autres. » Visée : ne pas supprimer la concurrence, mais enrayer les distorsions de concurrence, telles que celles engendrées par ces écarts trop importants de coûts salariaux.

On pourra toujours objecter à l’auguste économiste qu’il cultiva comme un forcené l’idéologie reaganienne, ou que ses théories ont été vampirisées par le Front National, Maurice Allais quant à lui se considère définitivement comme un libéral socialiste : « C’est-à-dire socialiste quant aux objectifs, et libéral quant aux moyens. Les deux ne me semblent, ainsi, plus opposables de manière antagoniste, mais deviennent complémentaires.« 


Repères : Réalités industrielles, édition de mai, Editions Eska avec le soutien du ministère de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi, 23 euros.

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