Spéculation financière, euro, libre-échange…

Les peuples vont payer la facture

  • Par Bertrand Renouvin

p1010194_resize Face à la crise de la monnaie unique, les oligarques de tous les pays concernés, leurs experts et les chroniqueurs accrédités de la presse écrite et radiotélévisée ont tous tenu le même discours et lancé les mêmes mots d’ordre. L’abondance et la cohérence des messages impressionnent. Leur contenu est scandaleux.

Les oligarques dénoncent les grandes banques américaines et deux fonds de pension américains qui spéculent sur les emprunts d’Etat grecs et risquent de déstabiliser la zone euro. Mais c’est avouer que, depuis le début de la grande crise, rien n’a été fait pour empêcher les financiers de spéculer. L’an dernier, la rapacité des banquiers avait failli emporter tout le système. Cette année, c’est avec l’argent versé par les Etats pour les renflouer que les mêmes spéculateurs s’en prennent aux Etats : après la Grèce, ils visent le Portugal, l’Espagne, l’Italie… Pendant un an, les gloires du G 20 ont tenté d’abuser les peuples par de belles promesses sur la moralisation du capitalisme, ce qui n’empêche pas la banque suisse UBS de verser deux milliards d’euros de bonus pour 2009 alors qu’elle est déficitaire. Ils n’ont rien fait. Ni pour changer le système, ni même pour le réguler quelque peu. Et ce sont les peuples américain et européens qui vont, une fois de plus, payer les dégâts provoqués par le laxisme et la complaisance des maîtres. Premier scandale.

Saisis d’angoisse à l’idée que la zone euro pouvait éclater sous la pression des « marchés », les oligarques ont lancé leur contre-attaque verbale. Thème commun : l’Europe doit montrer sa solidarité, afin que « les marchés » soient rassurés. Terrible aveu : ce sont « les marchés » (les banques, les fonds de pension qui spéculent à mort) qui commandent aux Etats et aux divers organes de l’Union européenne : Eurogroupe, Banque centrale européenne, Commission européenne, Conseil européen. Pour Monsieur Sarkozy, pour Madame Merkel, pour Monsieur Barroso, pour Monsieur Van Rompuy, le problème est d’envoyer aux « marchés » un « signal fort » – suffisamment fort pour qu’ils se calment. Ce signal, c’est la mise au point de programmes d’austérité qui seront appliqués avec une froide brutalité aux peuples de la zone euro. D’où un deuxième scandale que personne, à ma connaissance, n’a jusqu’à présent dénoncé :

Le peuple grec a porté au pouvoir les socialistes. Leur chef, Georges Papandreou, avait présenté un programme de gouvernement qui comportait des mesures de réduction de la dette publique et du déficit budgétaire, c’est vrai : mais le chef du Pasok avait aussi promis que son gouvernement prendrait « des décisions difficiles, non pas contre les salariés et les retraités, mais contre les grands intérêts » [1]. En majorité, les Grecs ont voté pour ce programme de centre gauche. Ils auraient pu aussi bien choisir l’abstention puisque la volonté exprimée au suffrage universel n’a pas été prise une seconde en considération : c’est un programme ultralibéral, impitoyable pour les salariés et les retraités, qui va être mis en application. Ceci par décision arbitraire de Georges Papandreou, qui a devancé les désirs des eurocrates. Qu’on ne dise pas que le chef socialiste n’avait pas le choix : la sortie de l’euro, ou la menace d’une telle décision, lui aurait donné la possibilité de négocier avec Bruxelles une aide effective et immédiate.

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Troisième scandale, mineur, provoqué par la propagande imbécile qui a précédé la réunion en urgence, le 11 février, du Conseil européen : confrontés à l’échec de la prétendue « monnaie unique », enfin reconnu dans maints articles, les oligarques de Paris et de Bruxelles, relayés par leurs commis de la grande presse, ont réclamé un « gouvernement économique » européen. Il s’agit d’une ânerie naguère proférée par Jacques Delors : gouverner est un acte politique qui ne peut pas conduire à séparer le domaine économique des enjeux sociaux, monétaires, culturels. Or un gouvernement européen impliquerait une constitution fédérale qui réduirait à peu de choses les souverainetés nationales. Le traité de Lisbonne ne permet pas cette « fédéralisation » (le mot a été employé ces jours derniers) ce qui signifie qu’il faudrait négocier, rédiger et faire adopter une « Constitution européenne ». Cela prendrait des années et il faudrait que les peuples soient consultés par référendum, sinon le déni de démocratie serait trop patent. Bien entendu, on ne fera rien, de peur de désaveux encore plus cinglant. Donc on disserte à vide, pour sauver la façade idéologique d’une construction européenne ébranlée dans ses fondements. Mais il fallait bien préparer les formidables décisions qui devaient résulter de la réunion bruxelloise du 11 février. Un envoyé spécial annonça même qu’un directoire était en train de se mettre en place ! Un directoire prêt à « voler au secours de la Grèce » selon l’expression cent fois entendue au cours de cette journée qui promettait d’être historique.

Il y eut en effet proclamation solennelle du résultat de plusieurs jours d’agitation : décision est prise de ne rien faire. Des « mesures déterminées et coordonnées » seront prises « si nécessaire » mais, contrairement à ce que l’on avait cru comprendre, il n’y a pas urgence parce que Madame Merkel s’est opposée à un soutien rapide de la Grèce pour des raisons juridiques et par principe si l’on en croit le « Guardian ». Le Premier ministre grec n’a demandé « aucun soutien financier » mais il s’est engagé à durcir son programme sous la surveillance de la Commission européenne. La mise en tutelle de l’Etat grec se fera par voie de « recommandations » de la Commission qui agira en liaison avec la BCE et « en s’appuyant sur l’expertise technique du FMI ». Cela signifie qu’on appliquera les techniques du FMI sans l’intervention directe du FMI : les fonctionnaires, les salariés, les retraités grecs vont être pressurés et la même opération punitive se prépare au Portugal et en Espagne.

Tel est le scandale majeur : les peuples, je l’ai dit, vont payer la facture. Ils vont même payer toutes les factures : celle de la spéculation financière, celle du libre-échange, principale cause de la crise, celle du traité de Lisbonne, qui interdit l’aide de la Banque centrale européenne aux Etats, celle de la confusion croissante des organes de l’Union européenne.

Source : http://action-republicaine.over-blog.com

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