Pierre-Henri Tavoillot: « Les vraies raisons de la colère des Français »
Universitaire, Pierre-Henri Tavoillot est président du Collège de philosophie. Auteur de nombreux ouvrages remarqués, il a notamment publié La guerre des générations aura-t-elle lieu ? (Calmann-Lévy, 2017), avec Serge Guérin, et, plus récemment, Comment gouverner un peuple-roi ? Traité nouveau d’art politique (Odile Jacob, 2019), paru en poche, ainsi que La Morale de cette histoire. Guide éthique pour temps incertains (Michel Lafon, 2020).
La France est sous tension à cause des contradictions dans lesquelles notre pays s’enferre et qui ne sont plus tenables. Telle est la raison de fond de la crise politique et sociale actuelle, argumente le philosophe.
La France est en colère. C’est vrai. Mais il me semble que ce n’est ni à cause de la réforme des retraites ni du fait du seul président. Les vraies raisons de la colère me paraissent venir d’une autre source.
Aujourd’hui tout converge pour exiger du citoyen qu’il trouve normal ce qui est anormal.
Il est normal de dépenser toujours plus pour une école qui fait toujours moins. Il est normal de laisser le trafic de drogue transformer nos villes en champ de bataille. Il est normal d’accepter que les délinquants ne soient pas punis. Il est normal de financer des associations qui proclament leur haine de la France et leur détestation de l’État. Il est normal de ne pas songer à maîtriser ses flux migratoires sauf à être raciste.
Il est normal d’accepter que des squatteurs occupent impunément des logements. Il est normal d’attendre six mois une carte d’identité dont la détention est obligatoire, sauf pour les « sans-papiers ». Il est normal que le pays s’endette astronomiquement, laissant croire qu’on peut toujours trouver l’argent « là où il est », c’est-à-dire dans nos impôts. Il est normal que les prestations sociales ne fassent l’objet d’aucun contrôle, car ce serait une abjecte discrimination.
Triple culpabilité
Il est normal d’exalter des zadistes qui foulent glorieusement au pied toutes les règles de la vie collective. Il est normal d’accepter que le Conseil d’État condamne l’État qu’il conseille à verser pour «inaction climatique» 10 millions d’euros d’astreinte à des associations militantes. Il est normal que les droits de l’homme en société (ceux de 1789) se transforment en droits humains contre la société (ceux de la Cour européenne des droits de l’homme).
Arendt, tout comme Orwell, décrivait le système totalitaire comme un dispositif d’inversion complète: l’absurde devient réalité et la réalité devient absurde. Si nous n’en sommes pas encore là, nous en prenons le chemin.
Comment l’expliquer ?
J’y vois l’expression d’une triple culpabilité : à la fois sociale, coloniale et environnementale. Celle-ci concerne surtout des élites qui peuvent se permettre le luxe de la mauvaise conscience et de la haine de soi puisque leur quotidien est assuré. Cette France-là a conservé du catholicisme la coulpe mais, dépourvue de confession et de perspective de salut, elle ne trouve plus d’exutoire vers une quelconque espérance. Installée confortablement dans ce péché qu’elle cultive, elle fabrique cette anormale normalité ou cette normale anormalité qui exaspère l’autre France.
Le constat de l’impuissance publique, au lieu d’entraîner un sursaut d’action, produit un désir accru de contrôle, d’empêchements, de procès, de critiques et de blocages de l’action publique
On s’interroge doctement sur la montée de son abstention, alors qu’elle vient très simplement du fait que les politiques s’abstiennent de faire de la politique, tétanisés par une suspicion moralisatrice. Pourquoi voter pour des gens qui avouent eux-mêmes leur impuissance et qui, par ailleurs, contribuent à diffuser l’idée que tous les politiques sont corrompus? « Moraliser » la vie politique, réduire les mandats, éviter les cumuls, augmenter les contre-pouvoirs, exiger la démocratie participative… Tout cela accrédite l’idée qu’on a raison de se méfier d’eux et contribue à accroître encore plus leur impotence. Alors que la démocratie représentative a un besoin vital d’eux et, encore plus vital, de la confiance en eux.
Les élus ne sont pas seuls en cause. Les citoyens que nous sommes les incitons à une démagogie qu’on ne cesse de leur reprocher. On exige toujours plus de pouvoir d’achat tout en dénonçant l’endettement ; on désire toujours plus de protection en revendiquant davantage de libertés.
De leur côté, les contre-pouvoirs accumulés (cours, autorités indépendantes, médias) alimentent continuellement la méfiance, puisque c’est le fonds de commerce de leur propre existence.
Tel est le drame actuel. Le constat de l’impuissance publique, au lieu d’entraîner un sursaut d’action, produit un désir accru de contrôle, d’empêchements, de procès, de critiques et de blocages de l’action publique.
C’est un cercle vicieux, dont il sera – ne nous le cachons pas – très difficile de sortir. Car face à lui, la tentation radicale est grande de quitter l’État de droit et de démonter tous les contre-pouvoirs et tous les contrôles démocratiques. Cela s’appelle l’illibéralisme qui entend, au nom de l’efficacité et du « bonheur » du peuple, prendre certaines (voire toutes) libertés avec les libertés.
Tel est le défi de la démocratie libérale d’aujourd’hui. Sans perdre de vue les toujours possibles abus de pouvoir, il lui faut limiter les abus de contre-pouvoirs dans le cadre d’un État de droit soucieux de s’autolimiter sans se nier. On marche sur un fil! Mais quiconque saura rendre crédible, au-delà des bonnes paroles, le fait de redonner aux Français la maîtrise de leur destin en respectant les piliers institutionnels, celui-là pourra prétendre apaiser la colère des Français. Cela suppose de remettre un curseur fiable entre ce qui est normal et anormal dans une démocratie moderne. Cela suppose aussi de faire le tri entre la légitime colère et ses usages démagogiques.
Pierre-henri Tavoillot
Une ex députée épinglée pour détournement de frais de mandat, entre 2015 et 2017. Anne Christine Lang a été condamnée, mardi, à une amende de 60.000 euros et à une peine de trois ans d’inéligibilité après avoir reconnu sa faute devant le tribunal de Paris. Recasée à l’Education Nationale sans inscription de sa condamnation au casier judiciaire….son exemplarité comportementale méritait bien d’être portée à la connaissance des plus jeunes en apprentissage des bonnes règles de conduite en société.
Était ce normal de promouvoir l’interdiction d’interdire et d’en faire le guide de l’action publique dans toutes les sphères politiques, sociales économiques, de la gauche multicolore rassemblée autour de François Mitterrand sans qu’un majorité du Peuple s’y oppose ??
Pire, la Droite à géométrie variable s’est vite emparée de la promotion du principe de précaution pour tenter de faire contrepoids au dogme Mitterrandien.. Bref, aujourd’hui la conséquence de ces errements intellectuels donne à une majorité de nos concitoyens le pouvoir d’exercer tout et n’importe quoi au nom de la Liberté chérie…à commencer dans leurs choix électoraux. Et dans tout cette médiocratie galopante, là Justice, faute d’y voir clair, sur des textes de Lois mal étudiés ,mal ficelés et trop alambiqués qui amplifient toutes les interprétations transversales, s’emploie à son tour à faire la jurisprudence qui donna le sentiment que ce sont les Juges qui dirigent la France !!!.
Vous trouvez cela absurde? Non pas vraiment en ce qui nous concerne.
Le Gl de Gaulle à qui l’on prête d’avoir jugé les Français à l’image des vaux avait vu juste et nous en payons aujourd’hui le prix !!!!!