L’islamisme radical armé ne nous laisse pas le choix du terrain sur lequel le combattre

L’attaque meurtrière contre Charlie Hebdo est une déclaration de guerre à la démocratie républicaine et aux libertés qui la fondent. J’exprime ma profonde compassion aux familles des victimes de cet attentat ignoble. Connaissant très bien, personnellement, Cabu et Wolinski et leur profond humanisme, j’éprouve un sentiment particulier de révolte. Je m’incline aussi, comme ancien ministre de l’Intérieur, devant les deux policiers touchés dans leur mission de sécurité. 
L’islamisme radical armé ne nous laisse pas le choix du terrain sur lequel le combattre. Il ne doit, bien entendu, pas être confondu avec l’Islam dont l’immense majorité des fidèles réprouve aussi cette violence barbare. Cet attentat est aussi un mauvais coup porté à la citoyenneté et à la coexistence des religions dans notre République. Car elle fera le jeu de tous les extrémismes. L’heure est au sang-froid et à l’union nationale contre le terrorisme, sans distinction de race et de religion.

Jean-Pierre Chevènement – 7 janvier 2015

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Verbatim:

  • La réprobation est unanime dans l’opinion publique française, vis-à-vis d’actes aussi monstrueux, et qui frappent des journalistes – dont certains étaient des amis, je pense à Georges Wolinski – ou des policiers dans l’accomplissement de leur mission. Je voudrais qu’on ait une pensée pour leurs familles, parce que les policiers défendent la liberté des citoyens. Les citoyens se reconnaissent dans le combat que ceux-ci mènent à l’heure qu’il est pour arrêter ces criminels.
  • La France ne cédera pas devant le terrorisme. Aucune démocratie n’a été, en quelque sorte, renversé par le terrorisme. Nous pouvons faire face.
  • Il est tout à fait important de comprendre ces itinéraires de radicalisation, qui concernent des petits voyous au départ, mais qui par le biais d’un engagement dans une filière djihadiste, en sont arrivés à devenir des terroristes tout à fait redoutable. Je pense qu’il faudra les chercher un à un, sans pitié, et leur appliquer toute la rigueur des lois républicaines, en les durcissant au besoin, s’il le faut.
  • Il faudra, le moment venu, l’émotion passée, s’interroger avec objectivité, sérénité, exigence, sur les facteurs de ce terrorisme islamiste radical. Il y a des facteurs internationaux, et il faudrait peut-être revisiter l’Irak, la Libye, la Syrie, pour savoir si les Occidentaux ont toujours fait des choix judicieux. Je pense que la guerre en Irak n’était pas un choix très judicieux. Il y a des facteurs propres à la société française, qui favorisent la contagion.
  • L’heure est au sang-froid et à l’union nationale contre le terrorisme, sans distinction de race et de religion

     
    S’il y a une chose à retenir, c’est que pour venir à bout du terrorisme, il faut le dissocier du terreau sur lequel il pourrait prospérer, et par conséquent bien distinguer l’islam, religion pacifique de millions de Français, ou de résidents établis légalement sur notre sol, et puis d’autre part l’islamisme. Il y a la variante islamisme politique, et puis il y a le salafisme, et les dérives radicales djihadistes, terroristes. Ce ne sont pas les mêmes choses. Il ne faut pas procéder par amalgames. Il est important de dessouder les terroristes de ce qu’ils recherchent comme terreau pour pouvoir se cacher, poursuivre leurs entreprises.
  • Tous les pays des mondes musulmans sont confrontés à des problèmes divers, de sorte qu’aujourd’hui en France, on fait aujourd’hui face à une menace permanente, diffuse, qui n’est jamais tout à fait la même.
  • L’Algérie a connu une décennie terrible dans les années 90, une guerre civile épouvantable, pour se débarrasser du GIA, du GSPC. Il semble que l’Algérie est quand même retrouvée un certain équilibre, et il faut s’en féliciter.
  • Mais le problème n’est pas le même dans la zone sahélienne, où il y a toute une efflorescence d’influences venues des pays du Golfe, car depuis les grands chocs pétroliers, le centre du monde arabo-musulman a basculé vers le Golfe. Là nous sommes en présence d’une autre école, le wahhabisme, le salafisme, dont les dérives sont connues, et qu’on observe également, mais c’est encore un autre problème, au Caucase, et aussi au Pakistan, encore un autre problème, un Etat fondé sur la religion au moment de la partition des Indes britanniques.
  • Par conséquent, ne confondons pas tout, et examinons le problème de nos djihadistes, un bon millier de jeunes paumés, qui se sont laissés embarqués dans ce genre d’affaires, sans doute pour donner un sens à leur pauvre existence.
  • Interrogeons-nous aussi sur ce que peut et doit faire une République active. La laicité n’est dirigée contre aucune religion. Il faut le dire et le répéter. Mais il y aussi des valeurs d’égalité, de promotion : il faut que chacun sente que l’avenir lui est ouvert. J’avais jadis créé les commissions d’accès la citoyenneté. Il y a toute une action multiforme, ce qui a été fait en direction d’un islam de France, éclairé.
  • Tous les musulmans de France sont horrifiés par ce qui s’est passé, et en même temps terrorisés par les amalgames, les assimilations, toujours possible. Donc nous-même, rappelons-nous que pour venir à bout du terrorisme, il faut les dissocier de ceux qu’ils voudraient amalgamer à leur combat. Gardons tout notre sang-froid, notre résolution, notre détermination, à extirper ce mal, en prenant les moyens et le temps nécessaire.
  • L’objectif de la traque, c’est bien sûr de les arrêter, mais s’ils mettent en danger la vie des fonctionnaires de police ou de gendarmerie, il y a la légitime défense.
  • Clemenceau disait que le Sénat, c’est le temps de la réflexion. Nous sommes prisonniers du court terme. Or il faut voir loin. Il faut affirmer les valeurs républicaines, ne pas se laisser aux dérives de l’hyper individualisme libéral. Les valeurs républicaines, ce sont aussi des valeurs d’ordre, de progrès, de civisme. Cette leçon s’adresse à tous.
  • Il ne faut pas se réfugier dans un occidentalisme à courte vue. Revenons sur l’Irak, la Syrie, la Libye : il y a eu beaucoup d’erreurs. Il ne suffit de dire qu’on va faire des élections pour que la démocratie s’installe. Il faut l’éducation, les Lumières, la réflexion approfondie. Et tout cela passe par un dialogue qui, quelque fois, peut-être un peu conflictuel.
  • J’ai lancé la consultation sur l’islam de France, associant toutes les sensibilités, et ensuite Nicolas Sarkozy quand il était ministre de l’Intérieur, a mis sur pied ce Conseil Français du Culte Musulman, qui doit encore se développer dans la durée. Il a un rôle à jouer. Qu’est-ce que c’est en réalité ? Un acte de confiance dans un islam de progrès, éclairé. C’est la leçon que je retiens de Jacques Berque, qui pensait qu’un islam de France éclairé serait un phare pour le reste du monde.
  • Ceux qui se sont attaqués à des lieux de culte musulmans font le jeu des terroristes, car il faut absolument couper ces groupes terroristes de la base dont ils espèrent qu’elle va les soutenir. Faisons vivre ensemble la laïcité, qui respecte toutes les religions, y compris celle de ceux qui n’en ont pas.
  • Il y a la mobilisation du peuple français, pour défendre la liberté de s’exprimer, et manifester son horreur devant un acte ignoble, mais plus profondément, il y a les valeurs républicaines qu’il faudra faire vivre. Et cela, c’est beaucoup plus difficile, parce que cela demande un travail d’éducation, qui en France est à beaucoup d’égards à refaire. Cet immense effort de refondation de la République, c’est celui qui nous attend, et c’est comme cela que le peuple français, comme je le crois, manifestera sa résilience.
  • La formation des imams en France est une des clefs du problème. Mais il faudrait encore que les propositions, qui ont été faites il y a longtemps, soit suivies.
  • Péguy disait que « la mystique républicaine, c’est quand on meurt pour la République ». Alors lui il est mort, mais il y a plusieurs manières de mourir. Vivre avec abnégation, c’est une façon de servir la République.
  • Je dis aux Français que l’heure est au sang-froid, à la détermination, et demain à la réflexion. Il faudra des capacités d’analyses, peut-être d’autocritique, jusqu’à un certain point, pour cerner le problème dans sa globalité. Chacun comprend que ce n’est pas un problème simple. On a vu la pointe de l’iceberg qui émerge. Mais il faut comprendre le monde dans lequel nous sommes. Si la République fait ce travail, mais qui demande du courage, de l’exigence, alors on pourra avoir confiance en elle.

4 commentaires sur L’islamisme radical armé ne nous laisse pas le choix du terrain sur lequel le combattre

  1. Trouver la voix qui porte dans le désert politico-médiatique actuel ,le sauveur en quelque sorte ? Ne confondons pas buts et moyens conséquences et causes . C’est précisément parce que nous avons mis à la tête de l’Etat depuis 1981 des politicards transhorizon politique que nous en subissons les conséquences aujourd’hui. Les brancardiers du cerveau politico-médiatique français ont du pain sur la planche car, par électeurs interposés, on obtient ce que l’on a en stock : des malades .
    Nous observerons avec intérêt la participation et les résultats des élections de Mars 2015. Cela nous en dira certainement plus sur l’avenir de la France profonde. Merci pour votre rebouclage.

  2. delinquance,travail clandestin, fraudes en tout genre … tous ces points doivent être abordés
    je livre juste une clef qui me semble importante pour changer la société: changer la charge de la preuve (charge modifiée par F Mitterrand dans les années 1980)
    il nous faut juste une voix qui porte , qui puisse être crédible, et qui dans ces cas serait je n’en doute pas suivie.

  3. Bien entendu qu’il nous faut lutter contre le terrorisme et nous unir dans la lutte sans discrimination de race, de religion d’appartenance politique. Mais ne confondons pas grand rassemblement Républicain et plan de vol pour un départ vers des horizons démocratiques moins chahutés, moins perturbés ,vers un bonheur promis au plus grand nombre.
    Mais une fois que l’on a dit cela ,de façon pratico pratique , qu’est ce que l’on fait concrètement pour que les armes et les munitions qui circulent au nez et à la barbe de tout le monde en France soient saisies et les détenteurs renvoyés devant les tribunaux avant même que des « salopards » s’en servent ?
    Que fait-on pour lutter contre le travail clandestin, le travail au noir ou le travail dissimulé ,les activités souterraines qui alimentent l’esprit « marginal » déviant et favorisent la clandestinité ?
    Que fait-on pour lutter contre toutes les fraudes qui encouragent la délinquance et favorisent l’esprit malfaisant de celles et ceux qui bafouent les Lois de la République?
    Que fait-on contre la délinquance en col blanc, celle de certains élus corrompus qui manipulent du fric de façon éhontée en signe de pieds de nez vis à vis de la société « d’en bas » et encouragent les voyous ?
    Que fait-on dans la vie de tous les jours pour que des médias soient des chaînes de propagande du bien vivre ensemble ,pour donner à voir et à penser positivement au plus grand nombre, pour être des pourvoyeurs d’apaisements et non être les colporteurs de haine, de peurs, de racisme, d’irrespects envers la personne humaine, d’appauvrissement de la langue française, qui marginalisent un peu plus chacun d’entre nous?
    Comme disait feu Raymond Barre « Les français sont des diseurs et non des faiseurs » !
    L’heure de la réflexion n’a que trop duré, il nous faut passer à l’action et ce dès aujourd’hui et non dans des délais que nos Lois électorales rendent insaisissables !
    Certes comme disait JP Chevènement il va nous falloir beaucoup de courage car demain ,après les attentats des 7,8,9 Janvier 2015 c’est de nouveau le futur immédiat d’un aujourd’hui très préoccupant.

  4. je ne peux que confirmer mon dégout et mon horreur devant ces actes barbares et j’allais dire d’un autre temps, mais ils nous ramènent à la réalité; ces actes sont d’aujourd’hui!
    Prenons garde toutefois à être entraîné contre nous-mêmes dans un total rejet de l’autre. Nous devons condamner toute extrême, et savoir en même temps admettre l’autre avec ses différences. Dans le même temps nous devons cesser d’utiliser les bas fonds de l’âme humaine pour des raisons politiques. C’est pourquoi je me garderai personnellement d’aller aujourd’hui manifester.
    L’heure est venue d’appeler chat un chat.
    Pour que la France se redresse.

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