Villepin: Sarkozy et sa « cour apeurée de perroquets »

 

  • Par L’Express, publié le 02/11/2010

Dans son nouvel ouvrage De l’esprit de cour, la malédiction française, l’ancien Premier ministre jette un regard acéré sur les comportements de Valéry Giscard d’Estaing et de Nicolas Sarkozy. Il dissèque leur style dans des mots souvent durs. L’Express vous en offre les bonnes feuilles.

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L’ex-Premier ministre Dominique de Villepin analyse sans retenue la stratégie politique des principaux présidents de la Vème République dans son dernier ouvrage  

La rupture, c’est une revanche, que traduisent le désir de la transgression et le goût de la surenchère. Il faut que la victoire soit totale, que le vaincu se soumette. Revanche personnelle, mais aussi revanche contre l’histoire de France, contre tout ce qu’elle porte. Rien n’est épargné par ses attaques : le modèle social né de la Libération, l’Etat, qui a construit la nation, les principes républicains. Le sarkozysme représente la France vue d’en haut, du point de vue d’élites qui voudraient refaire la nation à leur image, ou plutôt à l’image de leurs intérêts.  

C’est ainsi qu’il apparaît dans la campagne de 2007, brillamment orchestrée, en condottiere néoconservateur. Il passe de la théorie à la pratique l’année suivante. Lorsque, à Saint-Jean-de-Latran, il évoque avec la laïcité positive le rôle du curé, plus important que celui de l’instituteur. Lorsque, à Dakar, il moque l’homme africain, qui n’est pas entré dans l’Histoire. Lorsqu’il décide le retour dans le commandement intégré de l’Otan, comme si c’était une façon de nous mettre à l’heure du monde. Lorsqu’il défie les principes de notre droit : proportionnalité des peines, non-rétroactivité, responsabilité individuelle, égalité des citoyens devant la loi.  

Mais il y a une seconde dimension, présente dès le départ et révélée aux yeux de tous après la crise économique, qui invalidait en fait toutes les hypothèses de 2007. Désormais, il privilégie l’instrumentalisation des peurs et érige la division en méthode à travers l’activation des clivages idéologiques, la stigmatisation des immigrés ou de l’islam et la recherche de boucs émissaires. Cette vindicte masque une approche utilitaire et opportuniste de la politique, qui, conformément à l’esprit de cour, juge d’une action en fonction de son intérêt immédiat et de son apport tactique.  

L’ouverture gouvernementale va dans ce sens, de même que les provocations et les formules chocs telles que le « Kärcher » ou la « racaille ». Il en va de même pour la récupération de l’Histoire à l’école, avec la lecture annuelle de la lettre de Guy Môquet. Pour la première fois, le pouvoir se confond avec la cour. Mieux, le pouvoir se fait cour. Voilà le paradoxe. Nicolas Sarkozy n’est pas tant le monarque offert aux regards que le premier des courtisans, qui s’épuise dans l’art de séduire l’opinion, qu’il a érigée en nouveau souverain en lieu et place du peuple.  

Nicolas Sarkozy n’est pas tant le monarque offert aux regards que le premier des courtisans, qui s’épuise dans l’art de séduire l’opinion

Je n’oublie pas la confidence de Nicolas Sarkozy, à Matignon, au matin du second tour, alors qu’il me présentait la composition de son gouvernement. Lui faisant savoir une nouvelle fois ma vive opposition à la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, il ne me cacha pas qu’il avait bien pensé y renoncer, mais que ses spécialistes des sondages lui avaient fait valoir qu’il perdrait immédiatement les nombreux points et soutiens qu’il avait gagnés pendant la campagne avec cette promesse. Comme toujours avec le nouveau président, ce comportement traduit une sincérité certaine.  

L’homme n’a pas de surmoi et veut être aimé pour ce qu’il est. Il s’est forgé une vision de la France qui lui ressemble, c’est-à-dire individualiste, avide de réussite sociale et personnelle, obsédée par les biens matériels et indifférente à l’Histoire. Il déteste la retenue inhérente aux élites traditionnelles, dont il fustige depuis longtemps l’hypocrisie et la ringardise. L’homme martèle qu’il a tout conquis, sans que jamais rien lui fût donné, et pense que derrière chaque Français il y a un entrepreneur qui sommeille.  

C’est oublier que le pouvoir suprême oblige à la hauteur et à l’exemplarité pour espérer commander le respect. Aux antipodes de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy a d’abord dévalorisé la présidence en la surexposant médiatiquement. Il l’a également rabaissée par ses dérapages verbaux, sur lesquels je ne m’appesantirai pas, pas plus que sur l’étalage de sa vie privée, justement parce qu’elle doit rester privée. […].  

Enfin, l’hyperprésidence a poussé au paroxysme les pratiques de cour. A défaut de réellement réformer, Nicolas Sarkozy s’est replié sur son pouvoir symbolique, croyant que plus une cour est voyante, plus le pouvoir de son prince doit être grand. Il a fait ainsi prospérer une cour invraisemblable de perroquets apeurés distillant en boucle les mêmes éléments de langage, de flatteurs impénitents, de roseaux plus penchés que pensants qui ne vivent qu’à travers le regard du prince. On retient, entre mille autres, les images cruelles de ces querelles de préséances ridicules de tel ou tel ministre pour monter dans un carrosse royal en Angleterre ou pour entrer avec le président à la Maison-Blanche.  

Il a fait ainsi prospérer une cour invraisemblable de perroquets apeurés distillant en boucle les mêmes éléments de langage

Par ailleurs, le pouvoir veut régner par la crainte et faire des exemples pour empêcher des défections éventuelles. Dans cette lignée, il renoue d’abord avec la faveur du prince, en usant et abusant de son pouvoir de nomination. Celle du président de France Télévisions s’inscrit dans cette optique, de même que la valse des préfets qui ont déplu pour ne pas avoir érigé de village Potemkine à ses passages en province, de même encore que les rapports avec les ministres d’ouverture, choisis non pour faire la politique de leurs idées, mais pour défendre les idées de sa politique.  

On le voit tour à tour élever et disgracier certains de ses ministres, l’une se retrouvant au ban du régime après en avoir été l’étoile, l’autre promu de ministère en ministère, chiffon rouge montré à la gauche qu’il a quittée. Cet autoritarisme ne manque pas, comme toujours, de susciter la peur et de provoquer en retour la servilité de ceux qui espèrent se sauver en multipliant les louanges dans des termes que l’on croyait révolus depuis Napoléon.  

Signe des régimes en déclin, l’ensemble de ces pratiques installe un climat détestable et l’on assiste dans les allées du pouvoir à la multiplication des coups bas et des règlements de comptes. Combien de hauts fonctionnaires m’ont fait part de leur tristesse et de leur indignation devant un spectacle digne de la cour du roi Pétaud.  

Signe des régimes en déclin, l’ensemble de ces pratiques installe un climat détestable et l’on assiste dans les allées du pouvoir à la multiplication des coups bas et des règlements de compte

Transgression aussi que l’omniprésence du fait du Prince. « Si veut le roi, si fait la loi. » Ainsi s’octroie-t-il, à peine arrivé, plus qu’un doublement de sa rémunération à l’heure du pouvoir d’achat en berne. Mais ce n’est rien comparé à l’impression d’apanage héréditaire lorsque son fils est pressenti à la tête de l’établissement public de la Défense dans son ancien fief des Hauts-de-Seine.  

Enfin, le goût de la familiarité complète le décor. L’exposition de sa vie privée, la multiplication de saillies intempestives : autant d’éléments qui favorisent l’abaissement de la fonction. Nicolas Sarkozy a innové en inventant une cour à son image. Elle a la peur comme moyen, l’argent comme fin et le spectacle médiatique comme théâtre de sa mise en scène narcissique.  

La politique n’y est pas perçue comme un levier, encore moins comme un idéal, mais comme un marché où l’on achète et brade les hommes comme les idées en fonction de l’intérêt du moment. L’affaire Bettencourt est à cet égard l’emblème d’une confusion et d’une consanguinité des intérêts publics et privés. Son feuilleton laisse entrevoir un monde caché, avec ses codes, ses hochets et ses secrets, un monde fait de petits arrangements et de renvois d’ascenseur. Elle dévoile, en un mot, une cour clandestine.

 

 

 

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Nous vivons dans un système de Cour et nous ne le savons pas. Un essai incisif qui démontre historiquement le détournement de la Révolution et les faux-semblants de la démocratie française.

9782262032555Nous vivons dans un système de cour et nous ne le savons pas.
En apparence, nous évoluons dans une démocratie exemplaire, assise sur le suffrage universel et la récompense du mérite. En réalité, il n’en est rien, nous démontre Dominique de Villepin dans cet essai historique qui retrace l’histoire de la cour depuis sa fondation jusqu’à nos jours.
A la fois instrument pour parvenir et foire aux vanités, la cour est indissociable du pouvoir, qui n’a cessé de croître, et d’élites, qui n’ont cessé de se déchirer pour le conquérir puis le conserver.
Conjuguant la démarche de l’historien et le regard du témoin, l’ancien Premier ministre nous retrace une autre histoire de France vue à travers le prisme du pouvoir et de ses élites. A l’exception des moments où une figure de proue parvient à dominer la cour et imposer un grand dessein – Louis XIV, Napoléon, de Gaulle -, l’esprit de cour domine la scène ; avec d’autant plus d’efficacité qu’il avance dans l’ombre, sous couvert de principes dont il se réclame pour mieux les contourner. C’est ainsi que la Révolution puis la République se sont détournées de leur essence au profit de « l’éternel retour » de la courtisanerie avec son cortège de complots et de cabales.
Dans le dernier chapitre intitulé « Le déclin présidentiel», l’auteur – pour la première fois – raconte son expérience et nous livre des confidences inédites, notamment sur sa relation avec Jacques Chirac, et les raisons de sa « rupture » avec Nicolas Sarkozy.

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2 commentaires sur Villepin: Sarkozy et sa « cour apeurée de perroquets »

  1. Une phrase de votre analyse est peut-être 100% juste :
    Par ailleurs, le pouvoir veut régner par la crainte et faire des exemples pour empêcher des défections éventuelles . Monsieur F .Fillon a mis en cause les qualités de service de MTO France depuis le « balcon « d’ une capitale étrangère . C’est certainement pas une démonstration d’Intelligence économqiue. Nous avions eu la semaine précédente une diatribe présidentielle anti système pakistanais depuis le « balcon »de l’Inde.C’ était facile quand on connaît les différents ancestraux qui opposent l’Inde et le Pakistan. Nul doute que du temps du Gl de Gaulle on avait le soin de défendre la France depuis l’ étranger et de parler fort aux pays vis à vis desquels nous avions des divergences en évitant de la faire depuis un pays tiers.
    Puisse votre site remettre en perspective les devoirs de diriger la France avec honneur !
    Le déclin de la France est hélas en marche Monsieur l’ex 1er Minsitre !
    Bien respectueusement,
    JC BAERT

  2. Gérard BEGNI // 13 novembre 2010 à 0 h 39 min //

    Quel autre candidat gaulliste suggérez vous en 2012 pour contrer le sarkozysme héritier du giscardiisme dont le coup de poignard dansle dos p^rovoqua le départ du Général en 1969, Messieurs?
    Personnellement, je reste ouvert à toute suggestion concernant un vote de fidélité et de mémoire – « mémoire d’avenir », pour citer à une lettre près le titre d’une suite d’ouvrages du Général.

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