Villepin : Europe, le Maghreb et l’Afrique

L’Union Pour la Méditerranée, en 2008, a constitué un pas supplémentaire, initié, encore une fois, par la France, avec Nicolas Sarkozy. Dans le premier bilan, entre déception et avancées se mêlent : le blocage politique est évident, achoppant sur le conflit israélo-palestinien. La dynamique de la politique de voisinage patine, malgré un effort financier de 600 millions d’euros par an. Les projets régionaux sont sans doute l’aspect le plus dynamique et le plus prometteur, et la démarche mérite d’être saluée : plan solaire, dépollution de la mer, autoroutes de la mer, protection civile, banque méditerranéenne, chaîne de télévision, office des jeunes.

 

  • Discours de Dominique de Villepin sur « L’Europe, le Maghreb et l’Afrique : Pour un nouveau partenariat global » au Forum International de Réalités
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Hammamet, le 29 avril 2010

Mesdames et Messieurs les Premiers ministres et Ministres, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames et Messieurs les Présidents des grandes Institutions internationales, Mesdames et Messieurs, Chers amis,

e1c76_forum Merci pour votre invitation, Monsieur le Président Taïeb ZAHAR, vous qui dirigez la prestigieuse revue Réalités, une référence pour la Tunisie et toute la région, et qui plus est un journal en français. Merci pour votre contribution à la francophonie.

Je suis heureux d’être aujourd’hui sur cette terre de Tunisie, au confluent des civilisations. Un pays attaché à sa cohésion qui offre un chemin de développement équilibré et soucieux de modernisation.

A l’heure de nouveaux bouleversements mondiaux, liés à la mondialisation des dernières décennies et à la crise économique, il est nécessaire d’avancer dans la voie d’un nouveau partenariat global entre nos continents.

L’Europe, le Maghreb et l’Afrique, partagent un héritage commun nourri par une longue histoire commune et par des échanges humains et commerciaux intenses – forts des cinq millions de ressortissants d’Afrique et du Maghreb qui vivent en Europe.

Cette relation nous a enseigné une règle : la diversité, car, si nous avons, chacun dans notre région, le sentiment d’une unité partagée, nous connaissons aussi les limites de l’unification.

Au cours des dernières décennies, ces relations se sont de plus en plus organisées. L’Europe s’est efforcée de construire une relation avec l’Afrique et le Maghreb mais suivant des voies séparées et différentes.

Il y a eu d’un côté, avec le Maghreb, le dialogue euro-méditerranéen, au départ avec le processus de Barcelone, en 1995, initié par Jacques Chirac.

L’Union Pour la Méditerranée, en 2008, a constitué un pas supplémentaire, initié, encore une fois, par la France, avec Nicolas Sarkozy. Dans le premier bilan, entre déception et avancées se mêlent : le blocage politique est évident, achoppant sur le conflit israélo-palestinien. La dynamique de la politique de voisinage patine, malgré un effort financier de 600 millions d’euros par an. Les projets régionaux sont sans doute l’aspect le plus dynamique et le plus prometteur, et la démarche mérite d’être saluée : plan solaire, dépollution de la mer, autoroutes de la mer, protection civile, banque méditerranéenne, chaîne de télévision, office des jeunes.

A ce titre, la relance de ce dialogue entre les deux rives, à l’approche du Sommet de Barcelone de l’Union Pour la Méditerranée en juin prochain, est essentielle.

Du côté de l’Afrique subsaharienne, c’est la logique de l’aide au développement, assortie à certaines conditionnalités, qui a prévalu dans le cadre des conventions de Yaoundé et de Lomé. Mais en 2000, l’accord de Cotonou a élargi cette logique pour préfigurer un partenariat plus large, s’étendant à la sécurité et intégrant dialogue politique, coopération au développement et relations commerciales.

Le partenariat stratégique UE-Afrique adopté lors du Sommet de Lisbonne en 2007 a encore approfondi cette démarche autour d’un plan d’action de trois ans avec l’ambition d’ouvrir la voie à un nouveau partenariat politique, dépassant la relation traditionnelle entre bailleurs et bénéficiaires d’aide au développement. Pour la première fois, ce partenariat s’adresse à l’ensemble du continent.

Aujourd’hui face aux bouleversements du monde l’Europe, le Maghreb et l’Afrique subsaharienne sont face à un choix crucial : soit s’associer et devenir l’une des colonnes essentielles du monde demain, soit au contraire se diviser et être relégués au rang de périphérie de la mondialisation.

La nouvelle donne mondiale s’est traduite par trois glissements.

Le premier glissement est lié aux inégalités de la croissance. La ligne Nord-Sud n’existe plus, telle que nous l’avons connue. Les situations sont devenues plus hétérogène avec des pays du Nord qui stagnent, des régions émergentes qui prennent leur envol, l’Afrique du Sud ; d’autres où la croissance est bridée, comme c’est le cas en Afrique occidentale ; d’autres encore où elle n’est toujours qu’une promesse, comme au Niger ou en République Centrafricaine.

Le deuxième glissement s’opère du fait du déplacement de la puissance de l’Ouest vers l’Est. Plus du quart de la croissance économique mondiale a lieu maintenant en Chine. Le poids économique appelle le poids politique. La Chine se prépare à son statut de principale puissance mondiale, cherchant au Soudan, en RDC, en Algérie, des ressources pour nourrir sa croissance, des débouchés pour son industrie.

Le troisième glissement est dû à un changement d’échelle de la puissance. Aujourd’hui, il ne sert à rien de vouloir compter dans le monde sans atteindre une masse suffisante. Quelle est la chance de la Chine ? Qu’un milliard de travailleurs, un milliard de consommateurs vivent sous la même loi, derrière les mêmes frontières. Lorsque les Chinois abritent leurs entreprises de la concurrence internationale avant de les envoyer vers le monde, au moment de sortir du pays, l’entreprise est déjà la première mondiale, tant le marché intérieur est immense. Ils seront bientôt présents sur l’ensemble des marchés et ils seront, simultanément, vos concurrents et nos concurrents : de l’Europe sur les hautes technologies, du Maghreb sur les industries traditionnelles – les babouches sur certains marchés locaux sont désormais « made in China » –, et de l’Afrique sur les industries de main d’œuvre – avec des contrats de travaux publics clés en main effectués uniquement par des expatriés chinois.

Pour l’instant qui sont les laissés pour compte de cette envolée ?

L’Europe manque le rendez-vous de l’innovation, avec l’échec de la stratégie de Lisbonne. Dans les années à venir, elle sera captive d’une croissance atone, de l’ordre d’1% par an, voyant sa place relative dans le monde se réduire. Elle perd ses repères comme le montre le traitement de la crise grecque et manque de vision extérieure.

Le Maghreb s’en tire mieux, avec une croissance élevée tout au long de la dernière décennie, mais cette croissance reste inégale, inférieure au potentiel que lui donnent sa jeunesse et ses talents et mal partagée, avec un chômage touchant les deux tiers des jeunes marocains et tunisiens.

L’Afrique noire connaît une croissance forte de 6% l’an, soutenue par son dynamisme démographique, avec dans quarante ans, 1,8 milliards d’Africains, mais pour autant cette croissance n’est pas à la hauteur des besoins et elle demeure fragilisée par le risque de pillage de ses ressources.

Seule une volonté commune peut permettre à l’Europe, au Maghreb et à l’Afrique d’affronter les défis communs.

Villepinham Premier défi, les migrations. La question, depuis plusieurs années, est au cœur des relations entre les continents. En la matière, la France et la Tunisie ont montré la voie en signant un accord souvent cité en exemple. Cependant, la politique migratoire se joue aujourd’hui plus à Dakar ou à Bamako qu’aux Canaries ou à Lampedusa. Les cartes migratoires le montrent clairement.

Deuxième défi, l’agriculture, sur un continent confronté à la faim et à la demande d’une population en augmentation rapide. Avec l’augmentation prévue de 70% de la demande mondiale dans les prochaines décennies, la hausse structurelle des prix, aggravera les pénuries alimentaires immédiates, sans pour autant profiter mécaniquement à la rentabilité des paysanneries locales, faute d’investissement agricole massif, mondialement soutenu. Je veux saluer en ce sens l’engagement de la France, pour le Partenariat Mondial pour l’Agriculture et la Sécurité Alimentaire.

Troisième défi, la prospérité partagée. La crise a fragilisé tout le monde, les Etats d’Europe aux finances très dégradées, les pays du Maghreb entravés dans leur développement social par une croissance réduite, les pays africains en difficulté, pour qui le moindre saut de croissance peut signifier une catastrophe. La résorption des inégalités en Afrique même reste aujourd’hui le premier défi. L’Afrique du Sud, par exemple, produit autant de richesse que tout le reste de l’Afrique sub-saharienne.

Quatrième défi, la santé, dans un continent qui reste le principal foyer des grandes pandémies. Dix millions d’Africains de moins de 24 ans sont infectés par le virus du SIDA. Même si la mobilisation mondiale a permis de faire baisser le taux de prévalence du virus de près de 6% à 5%, beaucoup reste à faire en matière d’équipement, de sensibilisation et de prévention.

Cinquième défi, la sécurité. Le groupe Al Qaida Maghreb islamique, misant sur le désespoir et la haine, a recruté et s’étend au Sahel. Cette nouvelle zone grise est donc au cœur des enjeux de sécurité qui lient l’Afrique, le Maghreb et l’Europe, donnant d’autant plus de poids à l’initiative de l’Algérie, de la Libye et du Mali d’associer leurs moyens militaires et de renseignement pour y combattre le terrorisme en 2009. L’Afrique subsaharienne concentre quant à elle parmi les principaux points chauds du globe, notamment dans la Corne d’Afrique, zone d’instabilité permanente et foyer de piraterie. Mais il s’agit aussi de lutter contre le développement de la criminalité organisée et des grands trafics, drogue, prostitution, enlèvements. 50 tonnes de cocaïne – d’une valeur de 1,8 milliards de dollars – circulent chaque année en Afrique de l’Ouest.

Il faut donc une volonté, mais une volonté lucide et réaliste.

Lucide, car, si rien n’est fait, l’Europe pourrait être tentée par un protectionnisme étroit dont l’Afrique serait perdante ou bien l’Afrique pourrait se détourner de l’Europe et chercher ailleurs des partenariats moins avantageux.

Réaliste, car le degré d’interdépendance, l’ancienneté et la maturité du dialogue ne sont pas les mêmes entre l’Europe et le Maghreb qu’entre l’Europe et l’Afrique ou l’Afrique et le Maghreb.

Pour progresser ensemble, il faut avancer en trois temps :

Tout d’abord, il faut que les trois ensembles, Europe, Maghreb et Afrique, avancent sur la voie de leur propre unité.

En Europe, le processus est désormais à la fois très avancé et dans l’impasse. La fin de dix années de controverses institutionnelles marquée par l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, peut cependant permettre de prendre un nouveau départ et de relancer les secteurs clé de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune, de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense et de la gouvernance économique, à travers un processus d’harmonisation fiscale et sociale.

Au Maghreb, l’enjeu est tout autre.

Le rapprochement de l’Union du Maghreb Arabe initié en 1989 est à présent bloqué depuis près de quinze ans. Le commerce intra-régional ne représente pas plus de 1,5% du commerce extérieur des pays de la zone. Une relance du processus s’impose. Si l’Union maghrébine existait, elle aurait fait gagner aux cinq pays une valeur ajoutée annuelle de l’ordre de 15 milliards d’euros par an, soit l’équivalent de 5 % de leurs PIB cumulés.

Il y a des conflits profonds comme le Sahara Occidental. C’est un processus difficile, les Européens en savent quelque chose. Cela exige un pari historique, comme ont pu le faire l’Allemagne et la France avec courage et vision. Je veux croire que les pourparlers engagés à New York avec l’ensemble des parties puissent créer une nouvelle dynamique.

Pour autant, les réformes politiques au Maroc, le retour progressif de la Libye dans le concert des nations, les récents progrès en termes de démocratie réalisés par la Mauritanie, le processus de réconciliation civile en Algérie, les réussites économiques de la Tunisie et les succès dans la lutte contre les extrémistes islamistes, sont autant de raisons de ne pas céder à un pessimisme caricatural.

Cela exige, sans doute, de faire le choix d’une construction visible et progressive, comme a pu le faire l’Europe à ses débuts avec la CECA. Je veux prendre un exemple, les transports. En matière de transports routiers, l’autoroute, dite « Transmaghrebine », est pourtant loin d’être opérationnelle. Devant relier Nouakchott à Tripoli, desservir 55 villes d’une population totale de plus de 50 millions d’habitants, elle pourrait devenir le nerf de l’économie de la région grâce à la mobilisation de l’UMA. De même pour le TGV transmaghrébin, devant relier Casablanca à Tripoli ou les connections maritimes et l’espace aérien qui devrait être intégré à la négociation de la zone de libre-échange régionale tant attendue.

En Afrique,

Le volontarisme est de mise pour surmonter les rivalités de leadership et l’éclatement du continent, par exemple entre le Nigeria et l’Afrique du Sud.

Les dynamiques continentales doivent être encouragées, qu’il s’agisse de la mobilisation pour la paix continentale avec l’implication de troupes d’interposition de l’UA et d’efforts de médiation, dans le cadre de l’Architecture de Paix et de Sécurité Africaine, ou des initiatives en faveur du développement avec les mécanismes du NEPAD. Elle a besoin pour cela de d’aide et d’expérience. L’engagement de l’Union européenne en matière de paix et sécurité en Afrique, largement encouragé par la France – par exemple dans le cadre de l’entraînement de la Force Africaine en attente dans le cycle « Amani Africa » – est ancien et multiforme. 8 de ses 24 opérations s’y déroulent. L’UE est en effet l’unique source de financement réel pour les opérations africaines de maintien de la paix, en particulier au Darfour/Soudan, en Somalie ou en République centrafricaine, et le seul acteur à disposer de toute la gamme d’actions, du dialogue politique aux opérations de gestion de crise.

Ensuite, il convient de lier ensemble étroitement les destins du Maghreb et de l’Europe en construisant un pôle paneuropéen de sécurité et de prospérité capable de faire le poids au niveau mondial.

C’est la seule réponse possible aujourd’hui, car :

C’est une question d’échelle : au mieux 500 millions d’Européens ne compteront pour rien dans un monde où l’unité de compte, c’est le milliard d’hommes. En un demi-siècle, l’Europe passera de 8 à moins de 5% de la population mondiale. En développant des liens forts, comprenant un partage des grandes décisions, avec les pays partenaires à l’est et au sud – la Russie, l’Ukraine, les Balkans, la Turquie, le Maghreb –, nous pourrions atteindre le chiffre d’un milliard.

C’est une question de complémentarités. Nous ne pouvons nous passer d’une relation forte avec la Russie par exemple lorsqu’il s’agit de résoudre les questions énergétiques. Nous ne pouvons pas non plus nous passer de la rive sud de la Méditerranée. En effet, l’interdépendance est d’ores et déjà une réalité. L’Algérie est le troisième fournisseur de gaz naturel de l’Europe. Près des deux tiers des importations comme des exportations du Maghreb se font avec l’Union européenne. Et c’est bien là que se trouvent les gisements de croissance du proche avenir pour l’Europe. Face à la croissance atone de l’Europe, la seule réponse intelligente n’est pas la forteresse – forteresse des emplois, des normes, des populations – mais le soutien à des « dragons méditerranéens ». Je pense en particulier au dynamisme remarquable du Maroc, de la Turquie ou encore de la Tunisie.

C’est une question d’efficacité. Dans un monde multipolaire, il est nécessaire de disposer d’un pôle prenant appui sur la puissance européenne mais ouvert sur son entourage pour affronter les défis globaux. Les élargissements de 2004 et 2007 et les blocages institutionnels, l’opposition à l’entrée de la Turquie dans l’UE, montrent que le processus des élargissements est en panne. La démarche de partenariat renforcé et progressif, travaillant sur l’ensemble des domaines de compétence communautaire et poursuivant les buts de sécurité et de stabilité globale, d’intégration économique et d’assimilation de l’acquis communautaire, est la seule alternative crédible.

C’est l’avenir des relations UE-Maghreb, mais à plusieurs conditions.

Première condition, une démarche de coopération dépassant le cadre d’une zone de libre échange. Il faut tenir compte des enjeux sociaux et environnementaux pour entrer dans une dynamique de convergence réelle. Un grand nombre de coopérations économiques seraient mutuellement fructueuses, dans l’énergie, notamment solaire, les télécoms, les transports, à l’image des accords récemment conclus entre la France et le Maroc.

Deuxième condition, la force de l’engagement européen. L’Europe a négligé le monde extérieur. Un réengagement politique s’impose, avec une relance de la politique de voisinage qui doit maintenir l’équilibre agréé informellement : deux tiers pour la Méditerranée, un tiers pour le partenariat oriental pour démarrer les projets régionaux de l’UPM. Je note cependant que Madame Ashton ne s’occupera ni de développement, ni d’élargissement et de politique de voisinage. D’un autre côté, l’engagement financier doit s’accroître. Le Fonds européen de développement repose encore sur des contributions volontaires. Il est indispensable à mon sens qu’à la faveur de la négociation sur les perspectives financières 2014-2020, le FED (Fonds européens de développement) soit intégré au budget communautaire.

Troisième condition, le respect de la diversité. Un partenariat réaliste, c’est un partenariat qui fait place à chaque Etat dans son histoire, dans son identité, dans sa spécificité. Il faut laisser chaque partie de ces deux ensembles choisir son propre rythme au sein d’un mouvement collectif. La France devrait ainsi faire le choix d’un partenariat renforcé dans les secteurs où elle partage des intérêts spécifiques.

Enfin, il faut une ambition plus large, un véritable partenariat global avec l’Afrique.

Voir dans ce partenariat un troc cynique entre la tranquillité des frontières européennes et le développement économique africain ou la perpétuation de logiques de domination, ce serait manquer, je crois, les changements actuels du monde. A l’heure où l’activisme commercial et diplomatique de pays émergents comme la Chine ou l’Inde, ou de puissances comme les Etats-Unis, tend à rompre les solidarités au détriment de l’Afrique subsaharienne, au détriment du Maghreb, au détriment de l’Europe, l’enjeu, c’est de préserver un lien privilégié pour continuer à compter dans le monde. C’est la possibilité d’aborder dans un cadre unique l’ensemble de la problématique nord-sud.

Ce partenariat, il se justifie par l’avenir africain et l’avenir européen. Cela suppose :

Une politique de co-développement moderne repensant le lien que constituent les flux migratoires. Qu’il y ait une dimension de contrôle des flux, c’est inévitable. Sur ce plan, la contribution du Maghreb et la coopération avec l’Europe sont réelles. Le Maroc et l’Espagne ont entamé en février 2004 des patrouilles conjointes et ont renforcé en 2008 leur coopération en améliorant les contrôles autour des ports de Tanger et d’Algésiras entraînant une baisse globale de l’immigration clandestine de 60% entre 2007 et 2008. Mais cette approche sécuritaire est insuffisante, contraire à nos intérêts et source de malentendus et de drames humains. Viser le tarissement de ces flux – à l’heure du vieillissement européen, du dynamisme africain, du basculement du Maghreb de terre d’émigration vers une terre d’immigration – ne répond pas aux défis communs. Les politiques migratoires doivent être abordées en termes de stabilité globale pour l’ensemble des partenaires en s’engageant sur la voie de la régulation et de la prévision commune des flux. La Déclaration euro-africaine de Rabat, signée par mon gouvernement en 2006, constitue une étape en ce sens.

Une politique de développement en termes d’équipements, d’infrastructures et de sources d’emplois formels. Elle répondrait aux besoins des populations locales grâce aux capacités européennes et assurerait une sécurité des approvisionnements d’énergies renouvelables ou de matières premières. On ne peut oublier que l’Afrique détient 90% des réserves mondiales de platine, de cobalt et de chrome, par exemple.

Une politique en résonance avec les défis globaux. Ainsi dans le cadre des négociations sur le réchauffement climatique, à quelques jours de la Conférence de Cancun, il faut parvenir à faire émerger des positions communes capables d’avoir un retentissement mondial.

Pour réussir le partenariat entre Europe, Maghreb et Afrique, privilégions les principes et les solidarités concrètes.

Pour réussir là où le passé a échoué, ce partenariat doit se construire sur trois principes :

Premier principe, il faut qu’il s’agisse d’un partenariat entre égaux. Je n’hésite pas à le dire, il faut dans cette relation plus de souplesse de la part de l’Europe et en particulier de la Commission Européenne, lorsqu’il s’agit de la négociation sur le degré et le rythme d’ouverture du marché africain.

Il faut également plus d’implication de l’ensemble des acteurs du continent africain, l’Union Africaine naturellement, mais aussi les organisations sou-régionales comme la CEDEAO ou la SADC et les Etats pris individuellement également. Plus de partenariat, c’est aussi plus de relations bilatérales riches et coordonnées.

Saisissons l’occasion du 3e sommet Afrique UE prévu à Tripoli en novembre prochain pour obtenir des réalisations visibles afin de rendre ce partenariat crédible aux yeux de tous.

Deuxième principe, il faut qu’il s’agisse d’un partenariat entre les peuples. Comme toutes les grandes constructions de l’histoire, ce partenariat ne se fera pas s’il ne se bâtit pas sur les hommes et les femmes d’Afrique, du Maghreb et d’Europe, sur les collectivités publiques et privées, sur les associations et sur les sociétés civiles.

Je veux insister ici en particulier sur le rôle des femmes africaines dans le développement et le renouveau de ce continent. Ce sont elles qui font vivre des villages, défendent la paix civile et religieuse, au prix de difficultés et de souffrances terribles ; elles qui diffusent les pratiques sanitaires et de prévention sur le continent en matière de SIDA ou d’usage des eaux ; elles qui portent les projets de microcrédit. D’autant qu’elles sont souvent victimes de nombreuses injustices, l’excision, l’esclavage, les mariages forcés, l’exploitation. Dans cette perspective, le partenariat doit être exigeant et viser à l’adhésion et à la participation des sociétés civiles grâce à la mise en avant de valeurs partagées.

Je voudrais aussi appeler à la multiplication des échanges et à l’amélioration de la connaissance réciproque, à travers des bourses d’excellence pour les étudiants, à travers le financement de séjours d’étudiants européens en Afrique sur le modèle de ce que fut Erasmus, et il faut saluer ici le projet de l’Office méditerranéen de la jeunesse. Il faut envisager également des partenariats avec de grandes universités africaines pour faire émerger des grands pôles qui puissent encourager le développement local des élites africaines, à l’image du projet d’université Euromed.

Enfin, plaçons la culture au cœur du projet commun. Elle reste aujourd’hui le parent pauvre des différentes initiatives, qu’il s’agisse de l’UPM ou du partenariat stratégique. Afin de traiter des identités complexes et multiples qui font aussi bien la richesse que la difficulté du projet entre Europe, Maghreb et Afrique, la création, la littérature – en particulier la littérature arabe si riche aujourd’hui –, le cinéma – avec le film « Hors la loi » de Rachid Bouchareb bientôt présenté à Cannes par exemple –, sont des atouts essentiels qui doivent être soutenus par des actions concrètes de soutien à la création, d’échanges ou d’événements à l’image de l’année de l’« Algérie en France » en 2003.

Troisième principe, il faut que ce soit un partenariat ouvert aux autres acteurs.

Je n’imagine pas ce partenariat comme une exclusive qui viserait à empêcher d’autres régions du monde de participer aux efforts pour le développement de l’Afrique.

Faisons en sorte que notre démarche soit une démarche d’ouverture qui puisse entraîner avec nous les initiatives de nos partenaires chinois, indiens, américains pour faire de ce partenariat le laboratoire de nouvelles relations multilatérales concrètes. Nous ne pouvons que nous enrichir de visions et d’expériences différentes du développement mondial. Il faut en faire un moyen d’action de plus dans un arsenal mondial qui se révèle insuffisant. Les Objectifs du Millénaire pour le Développement offrent un cadre à toutes les énergies pour y concourir au mieux de leurs capacités.

Favorisons la discussion sur le meilleur accès de tous à tous les marchés. Je veux prendre un exemple. Les entreprises chinoises peinent à s’implanter durablement en Afrique. Les prix faibles leur assurent des contrats initiaux, mais ils se retrouvent souvent en butte aux hostilités, par manque d’expérience. Les ruptures se font alors au détriment des deux partenaires. Les entreprises françaises et européennes ont l’expérience de ces médiations culturelles. Elles peuvent contribuer à une stabilisation des relations commerciales et des investissements, notamment chinois, en Afrique, dans le cadre de ce partenariat entre Europe, Maghreb et Afrique.

La clé de la réussite, tout le monde le voit, c’est une démarche concrète. A mon sens, quatre projets peuvent donner corps à cette nouvelle solidarité entre Europe, Maghreb et Afrique Noire, à partir des axes définis par le partenariat stratégique de 2007.

L’accès à l’eau constitue un des défis majeurs du continent africain dans les prochaines décennies, du nord au sud. 42% de la population en est privé. L’Afrique dans son ensemble demeure sous-équipée en infrastructures capables de pourvoir l’ensemble de sa population en eau potable. N’oublions pas qu’aujourd’hui l’eau sale tue davantage que la guerre. A cet égard, la France adhère entièrement à l’initiative européenne de l’eau, lancée à Johannesburg en 2002 sous l’intitulé « l’eau pour la vie » qui vise à faire émerger l’eau comme secteur prioritaire dans sa politique d’aide au développement. Ainsi, elle joue un rôle actif au travers de ses instances de recherche, comme l’IRD, le CIRAD, le BRGM ou l’Office International de l’Eau, et elle mobilise des moyens conséquents dans le cadre du projet d’Observatoire du Sahara et du Sahel, par exemple. La gestion des bassins transfrontaliers et la compensation des inégalités géographiques et saisonnières, pour assurer une sécurité de l’approvisionnement en eau, sont des enjeux réellement continentaux sans solution à l’échelon national.

Les transports. La fragmentation des territoires étatiques en Afrique, l’instabilité de leurs relations récentes, les contraintes géographiques et la faiblesse des interconnexions routières ont conduit l’Afrique à un sous-équipement d’infrastructures transcontinentales. C’est pourtant elles, historiquement, qui cimentent le sentiment d’une identité partagée. Ce n’est pas un hasard si le Brésil promeut depuis longtemps – et finance – un projet de chemin de fer transcontinental. En Afrique, les besoins ne sont pas moins grands. Ils seraient source de retombées économiques, culturelles, politiques positives. Cela suppose la participation de technologies européennes, de bailleurs de fonds internationaux, de partenariats entre Etats riverains d’une voie ferrée à grande vitesse destinée à relier les principales métropoles d’un continent en voie d’urbanisation rapide. Seul un partenariat Europe-Afrique serait en mesure de le porter de façon crédible. Au Maghreb par exemple, l’absence quasi-totale de lignes directes de transports terrestres ou maritimes génère des coûts considérables. La création d’une liaison maritime directe hebdomadaire entre Casablanca et Radès permettrait de réduire la durée de transport de 14 jours à 3 jours et demi, réduisant d’autant les coûts commerciaux.

L’énergie ensuite, car l’Afrique demeure un gisement essentiel pour les énergies renouvelables qui pourront constituer à l’avenir une de ses principales richesses – 7% seulement du potentiel hydroélectrique est actuellement converti en électricité. Le potentiel solaire de l’Algérie correspond à dix gisements de gaz naturel moyens. Mais là encore, cela suppose des investissements massifs, une coordination de l’action et une programmation de la production. De grands projets sont en cours, notamment en matière d’énergie solaire avec des partenaires européens. Engageons-nous davantage dans cette voie pour avancer sur le terrain du développement durable. Dans le Maghreb, la demande d’énergie devrait croître de 3% par an à l’horizon 2030. C’est pourquoi la France a engagé le projet « Transgreen » pour transporter les énergies vertes en favorisant le développement d’interconnexions continentales par delà la Méditerranée. Par ailleurs, c’est dans cette démarche que la France soutient l’accès des pays du sud au nucléaire civil. Il s’agit de favoriser l’extension des réseaux de distribution, en particulier dans les zones rurales et d’améliorer les connexions transfrontalières.

La santé. Certes, il s’agit de besoins criants d’installations médicales, de médicaments, mais il s’agit avant tout d’un travail de plus longue haleine de formation des personnels, de maillage des territoires qui suppose de poursuivre et d’accroître les efforts de coopération engagés dans cette perspective. A l’heure actuelle, 60% de la population africaine n’a pas accès à des installations sanitaires de base ; il faut en ce domaine poursuivre le partenariat engagé entre l’UE et l’UA sur la base des mécanismes du NEPAD, dans le cadre de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement.

Dernière clé du succès, la démarche doit tirer parti de toutes les capacités.

La France a un rôle particulier à jouer dans ce partenariat. Chaque Etat européen a gardé des liens privilégiés, des habitudes, des tropismes dont les synergies peuvent donner corps à un vrai partenariat global. C’est bien sûr le cas de la France qui a un message particulier, une histoire originale, un lien fort avec l’Afrique qui doit lui permettre – comme elle l’a toujours fait par le passé – de se faire l’avocat des intérêts et défis communs entre les deux continents. Avec les liens de la francophonie également, la France peut jouer un rôle très actif de médiateur dans ce maillage multilatéral.

Appuyons-nous aussi sur le rôle d’avant-garde que peuvent jouer certains pays particulièrement impliqués. Je pense en particulier au groupe des 5+5, noyau dur des pays qui ont les liens humains et économiques les plus forts de part et d’autre de la Méditerranée. C’est un moyen souple d’avancer sur des sujets complexes, par exemple les questions environnementales, comme avec la Déclaration d’Oran, ou encore le dialogue politique entre l’Algérie et le Maroc. C’est aussi un instrument capable d’animer à la fois le dialogue euro-africain et la dynamique d’un pôle paneuropéen.

Le Maghreb, enfin, a aussi un rôle essentiel à jouer.

Un rôle de passerelle d’abord, car on voit bien que, pour chacun des défis communs auxquels doivent faire face l’Europe et l’Afrique, le Maghreb est un pont entre une Europe essoufflée par la crise et une Afrique qui peut enfin, si des choix pertinents sont faits, trouver la voie du développement.

Mais un rôle de carrefour aussi où s’échangent, comme ici aujourd’hui, les idées capables de faire émerger des consensus et des initiatives. La coopération paneuropéenne peut, en ce sens, permettre au Maghreb de disposer des ressources pour se tourner davantage vers l’Afrique subsaharienne qu’elle ne le fait, en s’appuyant sur l’expertise à l’export de partenaires comme la France, dans les services financiers ou la téléphonie mobile, grâce à la Coface ou à de grands groupes par exemple.

Un rôle de laboratoire enfin. Grâce au renforcement des relations au sein d’un pôle paneuropéen de sécurité et de prospérité, les politiques communes de développement économique pourraient y trouver un premier cadre d’expérimentation et de validation avant d’être étendues à l’ensemble du continent africain. Je songe en particulier à l’ensemble des programmes régionaux mis en œuvre par l’UPM en matière de transports maritimes, mais aussi terrestres, d’enseignement supérieur et de formation professionnelle, de soutien aux petites et moyennes qui ont nécessairement un dessein africain et vocation à s’étendre vers l’Afrique…

Chacun voit que la route est longue. Mais chacun pressent aussi que l’enjeu de ce grand partenariat entre Europe, Maghreb et Afrique est immense et doit mobiliser tous nos efforts. Efforts institutionnels, règlementaires, financiers. Mais surtout, nous devons ouvrir nos esprits et réaliser le poids qu’aurait dans le monde un ensemble de 2 milliards et demi d’habitants si ses dirigeants décidaient de régler ensemble leurs problèmes et d’apporter leur contribution au reste du monde.

 

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