La laïcité déchire les macronistes

Maryam Pougetoux était apparu voilée à la télévision alors qu'elle parlait au nom du syndicat étudiant l'Unef.

La guerre était larvée, elle éclate au grand jour. Les députés REM se divisent radicalement sur la laïcité.

« Il faut prendre du recul et réaffirmer des principes. Sinon, on risque de devoir sans cesse prendre position sur des cas particuliers. » L’avertissement, signé de la députée REM Aurore Bergé, date de janvier 2018 et concerne la laïcité. À l’époque, les tiraillements sur la loi de 1905 ne s’expriment encore qu’à voix basse au sein du groupe La République en marche. Quatre mois plus tard, le mouvement d’Emmanuel Macron n’a toujours pas de doctrine claire et la virulence de la polémique sur Maryam Pougetoux, la responsable voilée de l’Unef à l’université Paris-IV, semble valider le diagnostic de l’élue des Yvelines.

Par tweets interposés

Aurélien Taché, député REM du Val-d’Oise, est chargé d’animer une réflexion sur la laïcité au sein de la République en Marche.

Les députés macronistes n’hésitent plus à s’écharper en public. Ce mardi 22 mai, le député REM François Cormier-Bouligeon interpelle son collègue Aurélien Taché sur Twitter. « Le débat est toujours important, cher Aurélien Taché. Mais, dis-moi, jusqu’où peut-on justifier de soutenir l’obscurantisme au nom du libéralisme culturel ? » C’est la réponse au tweet de Taché, la veille : « Il est insupportable en France que ceux qui défendent un libéralisme culturel soient systématiquement taxés de complaisance islamiste ! » L’élu du Val d’Oise, lui-même ancien de l’Unef, n’est pas hostile au port du voile par une responsable syndicale. « Je ne suis pas là pour polémiquer avec mes collègues députés par tweets interposés, soupire Aurore Bergé aujourd’hui. Mais il y a des sujets sur lesquels je ne compte pas fléchir. »

Les deux pôles, antagonistes, s’affrontent à fleurets de moins en moins mouchetés depuis leur entrée au Palais-Bourbon. Le 6 février, c’est une première dans un groupe REM dont la communication est habituellement bien verrouillée, les journalistes sont conviés à assister à la troisième « soirée Colbert’. Organisées par le député Guillaume Vuilletet certains mardis soir à l’Assemblée, elles permettent aux élus du groupe de dialoguer avec des intellectuels ou des représentants de la société civile. Ce soir-là, l’invité d’honneur est le président de l’Observatoire de la laïcité, l’ancien ministre socialiste Jean-Louis Bianco. Dans la salle, une trentaine de députés REM. Aurélien Taché, Fiona Lazaar, François Cormier-Bouligeon et Anne-Christine Lang, une ancienne socialiste proche de Manuel Valls, ne sont pas venus faire de la figuration.

« Nous ne sommes pas soumis à la neutralité »

« Il ne s’agit pas d’un débat entre nous, les prévient en préambule Guillaume Vuilletet. Non pas que le débat ne soit pas intéressant, mais ce n’est pas le lieu. » Pourtant, sans jamais lever la voix, les différentes lignes s’expriment. Pas franchement conciliables. Fiona Lazaar s’en prend à la décision de François de Rugy, président de l’Assemblée nationale, d’interdire les signes religieux dans l’enceinte de l’Hémicycle. « Je m’interroge sur une telle disposition, explique l’élue d’Argenteuil et Bezons (Val-d’Oise). Représentant le peuple, et non l’État, nous ne sommes pas soumis à la neutralité. »

Anne-Christine Lang riposte : « S’il y avait des femmes qui arrivaient voilées dans l’Hémicycle, je ne vois pas bien comment je pourrais accepter d’y siéger. » En son absence, l’ombre de Manuel Valls semble planer sur la salle. « C’est parce qu’il n’a pas voulu venir lui-même qu’Anne-Christine Lang s’est pointée », ronchonne à voix basse un député appartenant à la sensibilité concurrente. Étrangement, la presse n’a pas été conviée aux « Soirées Colbert » ultérieures.

Difficile, face à des opinions aussi tranchées, de déterminer la ligne majoritaire au sein du groupe. « Il peut y avoir d’autres sensibilités ici ou là, notamment autour d’une conception néo-républicaine de la laïcité, minimisait en janvier Aurélien Taché. Mais j’ai le sentiment que tout le monde a bien en tête la philosophie générale du président de la République, qui est une laïcité de liberté. C’est le barycentre du groupe. »

« Laïcard, laïciste, c’est un vocabulaire maurrassien ! »

Dans une interview accordée au Monde, le 20 novembre 2017, Aurélien Taché, investi par Christophe Castaner d’une mission sur la laïcité au sein de la République en Marche, s’en prend aux « tenants d’un laïcisme intégral ». François Cormier-Bouligeon se sent visé. « Laïcard, laïciste, c’est un vocabulaire maurrassien ! Je demande aux gens qui s’expriment au nom du mouvement de ne pas emprunter à ce registre », s’irrite-t-il.

Le député du Cher, qui a tenu à occuper dans l’Hémicycle le siège numéro 300, celui de Jean Zay, a publié le 16 mai une tribune sur le site de L’Express. « Je compte continuer à défendre et à faire vivre la liberté absolue de conscience et la laïcité qui la protège, avec calme, sérénité et fermeté », écrit-il. Depuis, François Cormier-Bouligeon affirme engranger les réactions de soutien de ses collègues. « Cela commence vraiment à s’étoffer », confie-t-il, ravi de noter les prises de position analogues de Sylvain Maillard ou Jean-Michel Mis.

« Aurélien Taché ne peut plus se targuer d’être le seul à s’exprimer sur la laïcité au nom de la République en Marche, se félicite une députée REM. D’ailleurs, plusieurs membres du bureau exécutif du mouvement m’ont dit que la publication d’un rapport d’Aurélien sur la laïcité n’est plus à l’ordre du jour. » « Je n’étais pas censé faire un rapport, mais animer une réflexion sur le sujet, rétorque le député du Val-d’Oise. Je ne vois pas pourquoi cela changerait maintenant ». Aurélien Taché s’apprête à intensifier les travaux de ce groupe de travail. Il espère fournir dans quelques mois « une doctrine, peut-être formulée par un texte, et un ensemble de notes plus concrètes, que pourraient rédiger des experts sous notre coordination. »

« Il y a des positions trop irréconciliables »

Cela suffira-t-il à apaiser le débat entre députés macronistes ? « Il y a des positions trop irréconciliables », tranche une députée. « Il faut que l’on crée à l’Assemblée un séminaire, au sens universitaire du terme, qui nous permette d’auditionner toutes les personnes qui réfléchissent sur la laïcité, et ainsi dépasser les positions univoques », propose François Cormier-Bouligeon. Fiona Lazaar objecte qu’il existe déjà un groupe d’études sur la République et les religions à l’Assemblée nationale. La députée du Val-d’Oise renvoie au discours prononcé ce 22 mai par Emmanuel Macron sur les quartiers défavorisés. « Personne ne doit être forcé de mettre un foulard, mais on a le droit de mettre un foulard, a lancé le président de la République. On ne va pas changer la règle parce qu’elle ne plaît pas aux uns et aux autres ». « Dès lors que le président de la République a rappelé le cadre, je pense que l’on est nombreux à se retrouver derrière lui », espère Fiona Lazaar. En attendant la prochaine polémique.

Source : L’Express

 

 

4 commentaires sur La laïcité déchire les macronistes

  1. Ah toujours cette quadrature du cercle pour les élites politicardes de tous bords incapables d’afficher des convictions et des valeurs qui ne soient pas issues du fruit d’un âge cérébral moyenâgeux des guerres de religion .

  2. Rien ne va plus dans cette république à l’Arrêt, stoppée par l’incompétence caractérisée du vent du non-savoir, non vision pour un pays courageux pourtant…

  3. Ce prosélytisme religieux omniprésent

    Est-ce cela, la nouvelle image représentative de l’indépendance de l’union nationale des étudiants de France (UNEF), vis-à-vis des organisations politiques, partisanes et des syndicats de salariés et par extension la nouvelle image représentative de nos futures universités et de science po ? Est-ce un coup d’Etat, parmi d’autres, passé inaperçu par toute la société française ?
    Laissons les « macronistes », les chiffes molles et autres alliés objectifs macérer dans leur jus et leurs gesticulations improductives sur le sujet. On s’en fout lorsque le mal est déjà bien installé. Vaille que vaille, sauvons les meubles tant qu’il est encore temps! Condamnons plutôt et le plus largement possible sans perdre de temps les menaces qui s’installent subrepticement en toute quiétude dans ce pays noyauté par des forces destructrices et qui perd chaque jour en crédibilité et respectabilité.
    Tout adhérent(e)qui se respecte devrait sur le champ déchirer et retourner son adhésion à l’UNEF pour retrouver son honneur, sa fierté, sa dignité.
    S’il n’y a pas de sursaut dans bien des domaines qui touchent notamment à la laïcité dans ce pays, il n’y a plus aucune illusion à se faire, c’est le chant du cygne annoncé à coup sûr et la fin de ce qui fut une spécificité bien française.
    Rf 23.5.2018

  4. Jean-Dominique Gladieu // 23 mai 2018 à 13 h 57 min //

    Beaucoup de bruit pour rien !

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