Jean Gabin, l’identité française dans ce qu’elle a de plus populaire et digne

Jean Gabin dans «Touchez pas au Grisbi», 1953. DEL DUCA FILMS - ANTARES PRODUZI / COLLECTION CHRISTOPHEL VIA AFP

FIGAROVOX/HOMMAGE – Le 15 novembre 1976 décédait l’acteur Jean Gabin. L’écrivain Thomas Morales rend hommage au « Patron ». Par Thomas Morales (Le Figaro)

On revient toujours à Gabin. Parce que c’était le dabe. Un morceau de France qui nous inspire et nous oblige. Une forme de concorde nationale. De parenthèse enchantée. C’était chouette comme une Citroën DS virant à plat sur une route départementale, des vaches paissant dans un champ en Normandie, une croix de Lorraine victorieuse à l’entrée du Nid d’aigle, les yeux de Michèle Morgan qui implorent, une enquête du Commissaire Maigret qui lambine, une ligne d’Audiard qui dessille, des chevaux de course qui accélèrent sur l’hippodrome de Deauville, Marlène en flight jacket missionnée par l’US Army, une locomotive sur un quai de gare et de belles gambettes qui french-cancanent.

En somme, la fibre sociale et l’esprit parisien, les pieds ancrés dans la terre et les sentiments voltigeant au grand large, le Front Populaire et la Libération, Belmondo et Delon en apprentissage, les plateaux de Boulogne-Billancourt et le Palm Beach de Cannes, un petit salé aux lentilles servi dans un Routier et ses entrées à l’Élysée, un vieux monsieur qui suçote des bonbons et Gueule d’amour en uniforme des spahis et puis, ce beau nom de Moncorgé qui semble sortir d’un roman d’Alexandre Dumas ou de Chrétien de Troyes. Gabin, c’était la synthèse entre des mondes qui s’ignorent ou s’affrontent, celui de l’usine et de la scène, de l’ouvrier et de l’aristocrate, du flic et du gangster, des rêves de lumière à l’héritage paysan. Dans une société qui se désagrège, les références ne courent pas les rues. On cherche des socles solides, en vain. Des bases qui ne tanguent pas, des caractères qui ne transigent pas, des Hommes d’honneur sur qui l’on pourrait se reposer, ne serait-ce, qu’un instant. L’honneur, le respect, le travail, l’allure, la morale, la discrétion, tous ces mots sont tellement dénaturés, ils appartiennent au monde d’avant. Gabin, c’était notre port d’attache et notre boussole intérieure.

Peut-être, Jean Gabin fut-il l’un des rares acteurs à incarner cette identité française dans ce qu’elle a de plus taquine et exigeante, de plus populaire et digne, de plus tempétueuse et aussi, de plus désintéressée. Thomas Morales

Retrouverons-nous, un jour, sa direction ? Peut-être, fut-il l’un des rares acteurs à incarner cette identité française dans ce qu’elle a de plus taquine et exigeante, de plus populaire et digne, de plus tempétueuse et aussi, de plus désintéressée. Il n’était pas dans l’épate. Il ne se lamentait pas. Il encaissait même si certains coups furent plus rudes que d’autres, comme de devoir se séparer de sa ferme. Il aimait son métier et les acteurs. Il était notre meilleur porte-drapeau. Il avançait sans flonflons. Il donnait la réplique sans baisser le regard. Hollywood l’ennuya très vite, il se sentait responsable de l’avenir de son pays. Il aurait pu esquiver en raison de son âge. Il était patriote, ça voulait dire beaucoup pour lui. Il se sentait redevable. Donc, il s’engagea dans les Forces françaises combattantes.

Aujourd’hui où l’on salit les engagements les plus sincères et ricane bêtement sur le destin de notre Nation en péril, Gabin nous a montré l’exemple dans la 2e DB. Sans roulement de tambour. Avec une simplicité qui émeut. Avec une conviction intacte. Avec une résistance absente de gloriole. Avec une foi que l’on ne rencontre que chez les seigneurs qu’ils soient nés dans un château Renaissance ou une casemate des fortif’s. Cette ligne directrice nous fait tant défaut dans le marasme actuel. On aurait aimé qu’il soit là, pour nous conseiller, pour nous engueuler, pour nous transcender, pour nous faire relever la tête. Il était ce phare qui brille dans la longue nuit. Avec Gabin, nous étions fiers d’être français. Pour beaucoup d’entre nous, il fut ce grand-père fantasmé, chef de char et séducteur, héros et saltimbanque, jeune premier et vieux bougon, en canadienne ou en smoking, avec cette belle crinière blanche qui perturba son retour au cinéma, au lendemain de la guerre. Elle fut bientôt sa signature visuelle dans les comédies policières et les drames familiaux.

Sachez que Gabin était partout chez lui, à vingt ou soixante ans, à l’aise dans tous les registres … Thomas Morales

Parce que sachez que Gabin était partout chez lui, à vingt ou soixante ans, à l’aise dans tous les registres, en président du Conseil virtuose de la parole dégoupillée ou en mania du sucre dans les « Grandes familles », en faux-monnayeur dans un bordel folklorique ou en hôtelier cornaqué par Suzanne Flon à Tigreville, dans la Casbah d’Alger en Pépé le moko ou en officier de la Première Guerre mondiale devisant avec le capitaine de Boëldieu, en clochard ou en Pacha. L’année de sa disparition, en avril 1976, il présidait la première cérémonie des César et, pour paraphraser l’émouvante déclaration d’Annie Girardot en 1996, on peut affirmer que Gabin manque au cinéma français « follement, éperdument, douloureusement, … ».

 

3 commentaires sur Jean Gabin, l’identité française dans ce qu’elle a de plus populaire et digne

  1. Magnifique édito !
    Que dire d’autre en ce jour du 15 / 11 anniversaire du décés d’un français et d’un être humain passé d’une ferme au feux de la rampe cinématographique via la meilleure école qui soit : celle de la vie.
    Il avait 50 ans lorsque je vins au monde fin avril 1954 et nous avions en commun notre signe zodiacal. Il éclaira ma vie 22 années durant, à chacun de ses films je ne pus m’empêcher de ressentir à travers tous les personnages qu’il incarna, une espèce de fierté de partager la même identité que lui !
    Malgrès toutes les vicissitudes qui au delà de 1976 n’ont pas manquées de parsemer mon chemin, son exemple d’homme droit porté par sont énorme talent d’acteur, n’a jamais cessé inconsciemment de me montrer le droit chemin.
    Merci Monsieur Gabin !

  2. Pour le Nid d’Aigle, je ne suis pas sûr que ce soit adéquat…C’était un autre endroit très sulfureux…

  3. Les femmes et les hommes de France des temps passé seront toujours mis en avant pourquoi. des idées affirmé pour la liberté des peuples mais aujourd’hui le monde a quitté la terre de nos aïeules mais nous avons une belle jeunesse.

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