Arnaud Montebourg : « Le Conseil d’État est devenu un agent actif de l’affaissement de la souveraineté de la France »

Arnaud Montebourg. Fabien Clairefond

LE FIGARO. – Dans une note que vous avez adressée au Conseil d’État et qu’il a refusé de publier, vous reprochez à l’institution d’avoir mutilé la souveraineté juridique française. Pourquoi leur avoir adressé cette note maintenant ?

Arnaud MONTEBOURG. – Le Conseil d’État m’a invité de sa propre initiative à livrer mon analyse – alarmante – de la situation de perte générale de souveraineté de la nation. L’entretien fut agité bien que courtois, et j’ai proposé aux magistrats qui m’interrogeaient d’étayer mon propos dans une note charpentée documentant la lourde responsabilité du Conseil d’État dans la mutilation juridique de notre droit à décider pour nous-mêmes lorsque nos intérêts souverains sont menacés. Cette note démontre que le Conseil d’État – sous le masque du droit – est devenu par ses propres décisions – qui ne relèvent que de lui et sans légitimité à le faire – une juridiction européenne et non plus nationale : il s’est arrogé le droit de contrôler la loi nationale lorsque celle-ci contredit le droit européen d’une part et d’autre part il s’obstine à refuser de contrôler les excès de pouvoir des institutions européennes, lorsque celles-ci contredisent le droit des traités européens. C’est bien là le comble ! Ma conclusion était certes désagréable, mais parfaitement fondée : « Ce deux poids, deux mesures est la démonstration de ce que semble être devenu le Conseil d’État, un agent actif de l’affaissement de la souveraineté de la France. Il lui est possible de corriger de lui-même ces atteintes à notre identité constitutionnelle en redressant ses propres décisions jurisprudentielles rudement contestées. » Dans la mesure où le Conseil d’État m’a indiqué ne pas souhaiter publier cette note, j’ai décidé de la rendre publique afin d’ouvrir le débat avec les citoyens, de permettre aux avocats et au gouvernement de s’en saisir pour obtenir du Conseil d’État qu’il se corrige lui-même.

Dans cette note, vous visez plus particulièrement deux arrêts du Conseil d’État : l’arrêt Nicolo, qui date de 1989, et l’arrêt French Data Network, rendu en 2021. Pourquoi ces deux arrêts ? Quelles sont les conséquences de ces deux décisions en matière de souveraineté et de démocratie ?

Le premier, l’arrêt Nicolo, est celui par lequel le Conseil d’État a décidé – contrairement à ce qu’il faisait depuis presque deux siècles – d’écarter une loi postérieure à un traité ou à une directive européenne qui en modifierait le contenu, jugeant désormais la loi souveraine – ce qui est interdit au juge – et l’affaiblissant donc au profit de décisions européennes de très faible légitimité démocratique. Ainsi concrètement, si par exemple, le Parlement soucieux de protéger notre intérêt national, avait décidé pendant la crise inflationniste créée par le marché européen des prix de l’électricité (jusqu’à 400 % d’augmentation pour certaines PME et TPE les jetant dans la faillite) de fixer un prix national réglementé de l’électricité protecteur de nos entreprises, le Conseil d’État aurait directement écarté cette loi au profit de la directive européenne la plus stupide et la plus destructrice depuis la naissance de l’Union européenne ! Ce n’est pas aux juges du Conseil d’État de dire l’intérêt national, c’est au Parlement souverain d’en prendre ses responsabilités politiques devant l’Union européenne, et à lui seul.

Quant à l’arrêt récent French Data Network de 2021, le Conseil d’État a refusé au gouvernement – c’était une demande présentée par le premier ministre lui-même, M. Jean Castex – de contrôler les excès de pouvoir des institutions européennes, comme les décisions prises par celles-ci en dehors des compétences strictement dévolues par les traités européens. C’est ce contrôle tatillon et systématique auquel procède pourtant depuis bien longtemps en Allemagne la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, en rappelant l’impératif de respect de souveraineté populaire appartenant au seul Bundestag. Il censure et bloque les directives ou toutes décisions européennes prises en dehors des compétences fixées par les traités. Et il y en a beaucoup ! Le Conseil d’État, tel Ponce Pilate, a décidé de s’en laver les mains. Résultat ? Lorsque la Cour de justice de l’Union européenne décide qu’il faut appliquer les 35 heures à nos forces armées, il n’y a pas de juridiction en France pour bloquer ce grotesque et grossier excès de pouvoir !

Il serait techniquement possible pour le Conseil d’État de revenir sur ces deux arrêts, mais cela reviendrait pour l’institution à se désavouer elle-même… Faut-il en passer par une réforme constitutionnelle ?

Si le Conseil d’État ne réforme pas de lui-même sa propre jurisprudence, il faudra certainement une modification constitutionnelle pour, comme une rivière sortie brutalement de son lit, le remettre à sa juste place.

Vous avez choisi de cibler le Conseil d’État, mais l’influence politique des quatre autres « cours suprêmes » (le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation, la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de Justice de l’Union européenne) est également de plus en plus contestée… L’État de droit est-il en train de devenir le gouvernement des juges ? Quelle est en particulier l’influence du droit européen sur la vie politique française ?

L’intégration juridico-politique de l’Union européenne par des règles uniques ou uniformes applicables à des nations dont l’histoire, la géographie et la culture sont disparates ne peut pas susciter l’adhésion, et provoque souvent à bon droit le rejet. L’Union ne peut pas être l’uniformisation. Et, à l’intégration juridique, il faut préférer la coopération politique. C’est pourquoi, pour préserver le futur de l’Union européenne, il paraît nécessaire de mettre un certain terme à cette intégration juridique excessive, pour ne pas dire d’inspiration extrémiste, à tout le moins permettre souplesse et liberté aux nations membres, et au total accepter que les intérêts nationaux prévalent lorsqu’ils le souhaitent et limiter les règles communes au strict nécessaire.

Dans cette vision renouvelée de la construction européenne, les juges n’ont pas à décider ce qui est bon ou mauvais pour la nation, car ils ne sont pas élus comme représentants de celle-ci. Voilà pourquoi les empiètements sur d’autres compétences que la leur, en violation de la séparation des pouvoirs, doivent être combattus et corrigés.

Cette exigence passe par la reconstruction d’un système juridico-politique souverain restaurant la primauté de la loi, outil de sauvegarde et de protection de l’intérêt national, ce dont notre pays a un besoin urgent.

Toute remise en cause de cet État de droit supranational est pourtant jugée illibérale par la majorité des observateurs et des hommes politiques eux-mêmes…

C’est un lourd contresens. Ce qui est illibéral et attentatoire aux droits fondamentaux, c’est la confusion des pouvoirs, sous toutes ses formes, et certainement pas leur séparation, dont je rappelle qu’elle est, dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789, consubstantielle à l’existence même de la Constitution. Lorsque le magistrat n’est pas ou plus indépendant, et juge selon les directives du pouvoir exécutif, c’est effectivement la porte ouverte à l’arbitraire illibéral. Mais, lorsque le juge perd sa tempérance, et décide de se mettre à corriger la loi comme le fait le Conseil d’État, il viole à son tour l’article 3 de la même Déclaration : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément » et, dans ce cas, le juge entre alors dans l’usurpation de pouvoir tout aussi illibérale ! La séparation des pouvoirs est un équilibre précieux à préserver ; désormais les juridictions qui se mettent à corriger les lois, et à construire l’Europe en lieu et place des citoyens, ont pris une place problématique, dangereuse et anticonstitutionnelle.

8 commentaires sur Arnaud Montebourg : « Le Conseil d’État est devenu un agent actif de l’affaissement de la souveraineté de la France »

  1. À Marc Gioanni
    Hélas non! La nation est une famille de familles, sinon elle n’est rien. Un homosexuel déclaré (« marié » de cette caricature de mariage) ne peut pas incarner la Grande Famille… De plus, ces listes femme-homme-femme-homme sont des caricatures offertes au suffrage universel de type « discrimination positive » laquelle conduit toujours (cf. USA) à la médiocrité et au déclin.
    Enfin, que Philippot puisse avoir le soutien discret des pouvoirs publics pour lui permettre de faire des meetings en plein Paris, cela porte un nom : opposition contôlée et ce contrôle c’est justement l’homosexualité du leader, ce qui plaît tant aux mondialistes dans la coulisse.
    Une seule consigne : boycotter cette élection car à la fin des fins nous ne voulons pas, nous les patriotes-souverainistes-gaullistes de « députés européens » et de « Parlement européen » (en l’absence d’une peuple européen qui n’existe pas). Et point barre. – JK

  2. GIOANNI Marc // 18 avril 2024 à 15 h 20 min //

    Certes, mais cet affaissement est surtout politique par l’abandon par tous nos dirigeants depuis des décennies hélas de toute ambition nationale véritable, pour restaurer une primauté nationale bien comprise, votez lors des prochaines élections européennes pour la liste Patriotes de Philippot, la plus conséquente de toutes en la matière !!!

  3. Jacques KOTOUJANSKY // 16 avril 2024 à 22 h 45 min //

    À ce propos, le récent arrêt de la CEDH créant de toutes pièces, littéralement ex nihilo, une « jurisprudence climatique » à l’encontre de la Suisse est exactement ce que l’on appelle le « gouvernement des juges ». La dérive inacceptable des institutions supranationales « européennes » est en réalité dans leur nature même, qui est de se passer du suffrage universel et des représentations nationales au profit d’une visée téléologique servant des intérêts mondialistes, ou plus exactement ces intérêts relayés par des Etats (les USA, le Royaume-Uni) qui sont les foyers du mondialisme.
    Il n’y a pas d’autre issue à cela que de se débarrasser des ces entités juridiques (UE, CJCE, CEDH) pour que les Cours suprêmes nationales (CC, CE, C.cassation) retrouvent le sens national et celui de la suprématie des lois nationales; ensuite seulement les traités inter-étatiques peuvent déléguer des compétences soigneusement définies et limitées à des entités agissant dans le domaine des relations internationales (ONU, etc.)
    Sauf à être réellement souverainiste, M. Montebourg ne peut qu’agiter la chimère des « réformes » des institutions supranationales européistes, qui n’aboutiront jamais. Mais le sens national existe-t-il encore en la France actuelle fragmentée et multiculturelle sans un peuple qui n’a plus le sentiment d’un grand destin commun à tous, apte à l’incarner ?

  4. Eternelle confusion entre conséquences et causes. la France s’est engagée au niveau de l’UE à transcrire dans le droit Français les directives Européennes approuvées par les Présidents et Chefs de Gouvernements de l’Union .Comme le dit fort justement Monsieur Montebourg il conviendrait de combattre et de corriger cette fâcheuse soumission juridique.Qui donc se portera candidat pour mettre ce chantier de la refonte des règles de fonctionnement de l’UE ? That is the question !!!!!

  5. Gilles Le Dorner // 15 avril 2024 à 16 h 03 min //

    Tout de même , il existe quelques survivants du vote souverainiste du Non de Mai 2005 . Leur Europe n’ est pas une nation , il n’ existe pas de citoyenneté européenne , on ne peut pas attribuer à ce qui n’ est pas nation une Constitution ni laisser s’ infiltrer dans notre Constitution ce qui en droit de nation n’ est pas nation . État-nation et Constitution de nation . En clair , le refus survit d’ un fatras fédéral rampant se permettant de diaboliser comme épouvantail de nationalisme ou de dépassé ringard ou d’ extrême droite tout ce qui contrevient à l’ idéologie fédérale et de bloc . Dans la souveraineté en nation résiste ou jaillit ou s’ accomplit le maintien du Politique et de l’ indépendance . En ces temps troublés manquent en France souveraineté et indépendance . La vassalité ou le en-même-temps illisible ou complice ligotent la place et la petite voix de la France / la voix de refuser l’ aggravation en dits camps du bien ou du mal , la scission en affrontement entre dit occident seul civilisé et seul dit démocratique et le reste qualifié par certains en nov’langue de grand sud allant jusqu’ au delà de l’ Oural . Il semble presque qu’il n’ existe plus de diplomatie française dès lors que selon une expression on ne peut être à la fois juge et partie , et quand , à vouloir s’ occuper de tout ou critiquer tout en lumière voulant rassembler en clivant de donneurs de leçons , la chefferie s’ agite mais la diplomatie s’ éteint . C’ est le danger de catégoriser en blocs ou vassalité de bloc , le danger de l’ extinction de la France politique et de sa diplomatie de contrepoids dans l’ affrontement en extensions et durcissements des blocs . Il en est ainsi dans la spirale à l’ Est , France absente , et de le dire ce n’ est pas complicité au soviet , et il en est ainsi hélas en diplomatie des réalités dans le rejet ou le braquage en réalité de la Chine . D’ autres sont plus compétents en politique étrangère , et , dans les spirales , et sans aucun antisémitisme , l’ analyse de M. Dominique de Villepin est brève et claire au sujet du Moyen-Orient : ne pas confondre peuple palestinien et Hamas / « Un monde dangereux » comme d’ un livre aussi écrit « un autre monde »

  6. Didier Bernadet // 15 avril 2024 à 11 h 47 min //

    Tout ce que dit Montebourg est fort vrai et connu de l’Etat, du Président. Mais si nous ne regardons pas et dénonçons pas la stratégie atlantique dont le but est la création d’une UE « anti-européenne », en fait, répondant aux vues géopolitiques des US, rien ne sera possible. On a l’impression que les contestataires de ces abus de pouvoir n’osent pas « dénoncer » les causes premières. S’il est important d’en dénoncer les effets, notamment ces abus du Conseil d’Etat, il ne faut pas tomber dans le piège des « exégétismes » des uns et des autres qui débouchent sur des débats sans fin, qui cachent les causes. Tant que nous n’aurons pas la volonté, le courage de dire à notre « allié » d’outre-atlantique que basta, la coupe est pleine, ce sera toujours le même « pataquès » en Europe. Le Général l’a fait, en son temps, et la France a relevé la tête, les US ont baissé la leur, relativement, et ne nous ont pas…envahis pour autant. Trop d’hommes politiques Français sont « tenus » en laisse par leurs intérêts sous « contrôle ». Il faut s’appuyer sur le peuple en commençant par réagir contre l’information qui est l’arme principale de ces collabos sans vergogne. Et le faire vertement, courageusement.

  7. Lorsqu’un homme politique tel que monsieur Arnaud Montebourg, dont on sait qu’il est tout sauf de droite, tient les propos auxquels cette dernière ne peut que se réjouir; il y a lieu de se rendre à l’évidence que la souveraineté n’est pas une idée partisane et donc ne devrait pas être sujette à polémique!
    À contrario celle-ci concerne tous les citoyens et qu’à ce titre il appartient au peuple composant la nation de décider via un référendum de dire ce qu’il veut qu’il soit fait! Le prérequis étant en 2024 de s’assurer que les nations d’europe soient encore en démocratie !?
    Puisque sans elle, nul référendum ne saurait avoir lieu.

  8. Latini Jacques // 15 avril 2024 à 11 h 15 min //

    Monte bourg a raison le conseil d’état Outrepasse sa fonction et il serait temps de le remettre à sa place !

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