Discours de Charles de Gaulle (29 janvier 1960)

 

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[Journaliste] Le général de Gaulle, président de la République et de la Communauté, vous parle.

[Charles de Gaulle] Si j’ai revêtu l’uniforme pour parler aujourd’hui à la télévision, c’est pour marquer que je le fais comme étant le général de Gaulle aussi bien que le chef de l’État. Nous combattons en Algérie une rébellion qui dure depuis plus de cinq ans. La France poursuit courageusement l’effort nécessaire pour la vaincre, mais elle veut aboutir à une paix qui soit la paix, de telle sorte que le drame ne puisse pas recommencer et de manière à ce que l’Algérie, en fin de compte, ne soit pas perdue, ce qui serait un désastre pour nous et pour l’Occident. Le monde entier, en proie aux crises et aux mouvements que l’on sait, assiste à cette lutte qui le trouble et dont cherchent à se mêler les divers camps opposés. Il est clair que le progrès, l’unité, le prestige du peuple français sont en cause et que l’avenir, lui, est bouché tant que le problème algérien ne sera pas résolu. Compte tenu de tout cela, j’ai pris au nom de la France la décision que voici : les Algériens disposeront librement de leur destin quand, d’une manière ou d’une autre – conclusion d’un cessez-le-feu ou écrasement total des rebelles –, nous aurons mis un terme aux combats et quand, après une période prolongée d’apaisement, les populations auront pu prendre conscience de l’enjeu et accomplir, grâce à nous, certains progrès politiques, économiques, sociaux, scolaires, etc. Alors, les Algériens diront ce qu’ils veulent être. Cela ne leur sera pas dicté. Si leur volonté et leur réponse n’étaient pas vraiment leur volonté et leur réponse, on pourrait bien, pour un temps, obtenir une victoire militaire, mais rien au fond ne serait tranché. Au contraire, tout peut l’être, et je le crois en faveur de la France, quand les Algériens pourront exprimer leur volonté en toute liberté, dignité et sécurité. L’autodétermination est la seule politique qui soit digne de la France. Elle est la seule issue possible. Elle est celle qui a été définie par le président de la République, décidée par le Gouvernement, approuvée par le Parlement et adoptée par la Nation française.

L’autodétermination est le seul moyen

Or, deux catégories de gens ne veulent pas de ce libre choix. D’abord, l’organisation rebelle, qui prétend ne cesser le feu que si au préalable je traite avec elle par privilège de l’avenir politique de l’Algérie, ce qui reviendrait à la bâtir elle-même comme la seule représentation valable et à l’ériger par avance en gouvernement du pays. Cela, je ne le ferai pas ! D’autre part, certains Français de souche exigent que je renonce à l’autodétermination, que je dise que tout est fait, que le sort des Algériens est d’ores et déjà décidé. Cela non plus, je ne le ferai pas ! L’autodétermination est le seul moyen qui puisse permettre aux Musulmans d’exorciser eux-mêmes le démon de la sécession. Sans doute, quant à ce qui est des solutions françaises, il doit, il peut y avoir des modalités qui doivent être et qui seront élaborées à loisir une fois la paix revenue. Quand ce sera fait, je prendrai moi-même position. Je m’engagerai pour ce que je crois être bon et on peut croire que je le ferai à fond. Mais alors, pour imposer à la France, à l’État, à moi-même leurs prétentions, certains à Alger sont entrés en insurrection. Ils ont tiré sur le service d’ordre. Ils ont tué de bons soldats. Ils se dressent en armes contre l’autorité de la France. Aidés initialement par les incertitudes complaisantes de quelques éléments militaires et s’appuyant sur les craintes, sur les passions fiévreuses, excitées par les meneurs, ils obtiennent jusqu’à présent le soutien d’une partie de la population européenne. Ils provoquent la grève forcée, l’arrêt des transports, la fermeture des magasins. De leur fait, une rupture de l’unité nationale risque de se réaliser à l’indignation de la nation française et au beau milieu des combats livrés contre les rebelles. Il n’y a pas un homme de bon sens qui ne voit quelles conséquences risqueraient de se produire si cette affreuse sécession l’emportait !

Devant le mauvais coup qui est ainsi porté à la France, je m’adresse d’abord à la communauté de souche française en Algérie. Elle me connaît depuis bien longtemps. Que de fois je me suis trouvé au milieu d’elle et notamment pendant la guerre, quand un grand nombre de ses fils servait dans l’armée de la libération, ou bien après la secousse de mai 58 quand j’ai pris la tête de la France pour rétablir l’unité française de part et d’autre de la Méditerranée. Quoi que prétendent les agitateurs, il y a entre cette communauté et moi des liens exceptionnels qui me sont très chers et très vivants. Je connais très bien, je salue l’effort, le service qu’elle a rendu à la France par son effort, par son labeur séculaire en Algérie. Je sais très bien quelles sont ses épreuves et je sais très bien quelles émouvantes victimes elle pleure tous les jours. Mais je dois lui parler clair et net ! Français d’Algérie, comment pouvez-vous croire les menteurs, les conspirateurs qui disent qu’en accordant le libre choix aux Algériens, la France et De Gaulle veulent vous abandonner, se retirer de l’Algérie et la livrer à la rébellion ? Est-ce vous abandonner, est-ce vouloir perdre l’Algérie que d’y envoyer, d’y maintenir une armée de cinq cent mille hommes pourvue d’un matériel énorme, d’y consentir à la mort de nombre de nos enfants, d’y consacrer des dépenses civiles et militaires qui pour cette année atteignent plus d’un millier d’anciens milliards, d’y entreprendre une grande œuvre de développement, de tirer du Sahara, à grand effort et à grands frais, le gaz et le pétrole et de les amener jusqu’à la mer ? Est-ce que vous pouvez douter que quand un jour les Algériens, les Musulmans algériens français diront qu’ils veulent que l’Algérie soit étroitement liée à la France, est-ce que vous pouvez douter que se serait une immense joie pour la patrie et pour De Gaulle si, entre les diverses solutions, ils choisissaient la plus française ? Est-ce que vous pouvez nier que l’action de développement des populations musulmanes entamée depuis dix-huit mois, activement poursuivie en ce moment, et qui, après la pacification, devrait s’épanouir encore, tend précisément à créer des liens innombrables et nouveaux entre la France et les Algériens ? Et puis, par-dessus tout, est-ce que vous ne voyez pas qu’en vous dressant contre la Nation et contre l’État, vous vous perdez vous-mêmes à coup sûr et que vous risquez de faire perdre l’Algérie à la France ? Je vous conjure de rentrer dans l’ordre.

C’est moi qui porte le destin du pays

Et puis, je m’adresse à l’armée qui, par ses magnifiques efforts, est en train de remporter la victoire en Algérie, mais dont certains éléments tendraient à croire que cette guerre est leur guerre, non pas celle de la France, et qu’ils ont droit à une politique qui ne serait pas celle de la France. Je dis à tous les soldats français : votre mission ne comporte aucune équivoque et aucune interprétation. Vous avez à liquider la force rebelle qui voudrait chasser la France de l’Algérie et y instaurer sa dictature de terreur, de misère et de stérilité. Tout en menant l’action des armes, vous avez à contribuer au développement matériel et moral des populations musulmanes, à les attirer à la France par le cœur et par la raison. Et quand le moment sera venu de procéder à la consultation, vous aurez à garantir qu’elle soit libre et qu’elle soit sincère ! Oui, voilà la mission que vous a donnée la France et vous n’avez à servir qu’elle ! Qu’est-ce qu’elle deviendrait, l’armée française, sinon un ramas anarchique et dérisoire de féodalité militaire si ses éléments mettaient des conditions à leur loyalisme ? Et bien, je suis le responsable suprême. C’est moi qui porte le destin du pays. Tous les soldats français doivent donc m’obéir et je crois qu’ils le feront parce que je les connais, je les estime, je les aime. Parce que j’ai confiance dans le général Challe que j’ai mis, soldats d’Algérie, à votre tête, et puis parce que, pour la France, j’ai besoin de vous. Ceci dit, écoutez-moi bien ! Dans le tumulte de l’insurrection et quand l’agitation était à son paroxysme, le délégué général monsieur Paul Delouvrier, qui est la France en Algérie, et le commandant en chef ont pu, sous leur responsabilité, ne pas vouloir engager d’eux-mêmes une bataille rangée. Mais aucun soldat, à aucun moment, et même passivement, ne doit s’associer à la rébellion. En fin de compte, l’ordre public devra être rétabli. Oui, il peut y avoir des moyens de diverses sortes pour que force reste à la loi, mais vous devez y parvenir. C’est l’ordre que j’ai donné et c’est l’ordre que je donne.

Mon cher et vieux pays

Et puis, je m’adresse à la France. Et bien, mon cher et vieux pays, nous voilà donc encore une fois ensemble devant une lourde épreuve. En vertu du mandat que le peuple m’a donné et de la légitimité nationale que j’incarne depuis vingt ans, je demande à tous et à toutes de me soutenir quoiqu’il arrive ! Et tandis que des coupables, qui rêvent de devenir des usurpateurs, invoquent comme prétexte de leurs actes la décision que j’ai prise à propos de l’Algérie, qu’on sache bien et qu’on sache partout que je n’y reviendrai pas. Céder sur ce point et dans ces conditions, ce serait brûler les atouts que nous avons encore en Algérie. Et puis, ce serait abaisser l’État devant l’outrage qui lui est fait et la menace qui le vise, après quoi la France ne serait plus qu’un pauvre jouet disloqué sur l’océan des aventures. Une fois de plus, j’appelle tous les Français, quels qu’ils soient, où qu’ils soient, à se réunir à la France. Vive la République ! Vive la France !

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