«De Gaulle, excellent antidote à la société du spectacle»
L’ancien ministre de l’Economie Hervé Gaymard, député et président du conseil général de Savoie, est l’auteur de l’introduction d’une réédition du «Fil de l’épée» du Général de Gaulle (Perrin, 18 euros).
Quarante ans après, cela veut dire quoi, « gaulliste » ?
Je sais que le mot ne parle pas à tout le monde, notamment pas aux jeunes générations. Mais le gaullisme a une forme d’intemporalité, qui reste pour moi un engagement totalement justifié. C’est la capacité de dire non, le non-conformisme, et la volonté de dépasser les clivages partisans.
Cette définition est un peu vague…
Non, ce n’est pas vague de vouloir par exemple réconcilier la liberté économique et le progrès social, ce qui a caractérisé la politique du général de Gaulle : le plan Pinay-Rueff a enlevé beaucoup d’entraves à la croissance, mais avec, en même temps, un rôle fort de l’Etat en termes de pilotage stratégique. Ce modèle-là, quoi qu’on en dise, reste tout à fait valide. »
Et que dit ce modèle de la réforme des retraites ?
Ne faisons pas parler de Gaulle sur tout ! Mais ce n’est pas par hasard qu’en 1945, il a créé le système de retraites par répartition. Le sauver aujourd’hui en ne transférant pas la responsabilité sur les générations futures me semble conforme à l’attitude de courage et de responsabilité qu’il a toujours eue.
Tout le monde se réclame aujourd’hui du Général : s’il est à tout le monde, il n’est à personne…
Il n’y a rien de plus menteur que l’unanimité. C’est vrai que le général de Gaulle est devenu iconique, les décennies passant, ce qui fait oublier le climat conflictuel dans lequel il a agi. Je me félicite de cette quasi-unanimité. Mais pour ma part, si je suis ardemment gaulliste, je suis également lucide sur les sujets peu ou mal traités de son vivant : par exemple sur l’éducation et la formation, il a été insuffisamment audacieux.
Pourquoi avoir supprimé le pèlerinage du 9 novembre à Colombey-les-Deux-Eglises ?
Il y a toujours du monde, qui va individuellement à Colombey. Il est vrai que Jean-Louis Debré a décidé, il y a plus de dix ans, de ne plus faire le traditionnel déplacement des parlementaires gaullistes. C’était plutôt une bonne chose, car c’était devenu pour beaucoup plus une habitude qu’une réelle démarche…
Nicolas Sarkozy s’en moque d’ailleurs longuement dans un de ses livres…
On peut donner acte à Nicolas Sarkozy de ne jamais avoir revendiqué la filiation et l’héritage gaullistes, même s’il a fait toutes ses classes au RPR, qui était l’expression politique du gaullisme du moment. Nicolas Sarkozy n’a jamais prétendu inscrire son action complètement dans la démarche gaulliste, il a toujours été clair de ce point de vue.
Quand vous refusez de voter la loi Besson sur l’immigration, le 12 octobre dernier, c’est par gaullisme ?
Oui, sans doute. Si je me suis abstenu, c’est parce que, s’agissant de la déchéance de la nationalité, le symbole est trop fort pour ce que la mesure a d’inopérant.
Le gaullisme, vous le rappelez dans l’introduction au « Fil de l’épée », c’est aussi un style, qu’on dit « gaullien ». N’a-t-il pas vieilli ?
Je ne le pense pas. Il y a une phrase bouleversante que le général de Gaulle prononce sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, le jour de la Libération : « le moment que nous vivons dépasse chacune de nos pauvres vies »… C’est ce qui m’a fait vibrer, adolescent, et continue à me faire vibrer à l’âge d’homme : cette volonté de se dépasser, de lever les yeux vers la ligne d’horizon. On n’y parvient pas toujours, mais c’est très important dans l’action politique d’avoir un idéal. Pour moi, c’est le gaullisme, pour d’autres ce sera le socialisme ou le communisme, mais je plains ceux qui sont en politique sans une idée qui les porte.
Comment être encore gaullien au temps des Guignols, de Michel Drucker et du buzz ?
C’est un excellent antidote. Je suis complètement de mon époque, et je pense qu’il faut s’adresser à l’intelligence des gens, refuser cette forme de dévaluation compétitive permanente qu’est devenue la société du spectacle, avec une dérision et un relativisme généralisés.
Recueilli par Francis Brochet
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