La France, l’Europe et le christianisme : la fin d’un monde ?

 

Infatigable observateur des mutations de notre temps, Renaud Camus n’a pas tort de s’alarmer inlassablement, au fil d’une œuvre littéraire aussi foisonnante que féconde, au sujet de l’enracinement, dans les plis culturels de nos sociétés occidentales, du tragique phénomène de la déculturation des esprits, dont la France serait à coup sûr la terre d’élection.

Explorant à sa façon les profondeurs de l’inconscient collectif des Français, à l’instar des sociologues de la religion, de Danièle Hervieu-Léger à Emile Poulat, l’auteur de La Grande Déculturation décèle l’un des symptômes manifestes de cette évidente mutation au miroir de la propension suicidaire de nos compatriotes à exclure de leur représentation du monde, autant que de leurs horizons quotidiens, toute référence à la religion chrétienne, autrement dit à vouloir, avec le fait chrétien, chasser des traits de leur civilisation admirable, partout et à chaque instant, celui des marqueurs historiques qui a pourtant le plus puissamment contribué à façonner l’identité charnelle de la France.

A l’aune d’une actualité récente qui nous livre tant et plus les signes de cette douloureuse évolution, chacun peut mesurer les effets dévastateurs de ce phénomène mortel qui œuvre de longue date en France à l’exculturation programmée de la composante chrétienne de son Bien Commun, lequel se trouve à présent largement sécularisé par l’effet d’une histoire singulière à jamais marquée par les contrecoups de la rupture révolutionnaire de 1789 mais aussi d’une idéologie mondialiste qui voudrait plus que jamais relier l’univers culturel de notre pays à un système de pensée hors sol.

 

creche08Que le conseil municipal de Montiers, petit village de l’Oise, ait adopté, le 31 octobre 2008, la décision d’installer une crèche sur la place du village et voilà qu’il se trouve aussitôt un enseignant à la retraite pour n’y voir, voici deux ans, que la manifestation honteuse d’un prosélytisme de mauvaise aloi (Le Parisien.fr – 25 décembre 2010) ; cet adepte d’une laïcité d’un autre âge s’étant naturellement empressé de déférer cette initiative à la censure des juges, le tribunal administratif d’Amiens vient de décider, le 30 novembre 2010, d’annuler la délibération litigieuse pour des motifs tirés de la violation de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Passant outre à ces manœuvres d’intimidation, le maire de Montiers devait installer cette crèche au cœur de sa cité, dès le lendemain de cette invraisemblable décision, sans que l’exposition de la scène de la Nativité n’ait depuis lors autrement troublé l’ordre public !

L’épisode hautement symbolique de Montiers a fait depuis des émules. S’appuyant sur ce précédent fâcheux, André Nowak, élu d’opposition de la commune de Leers, près de Roubaix, avait manifesté, à la mi-décembre 2010, pareille volonté de saisir la justice pour faire interdire l’installation d’une crèche géante qui, à ses yeux, n’avait pas à occuper le domaine public. Devant l’émotion légitime suscitée par son initiative, qui fut largement incomprise par ses administrés, l’édile devait faire rapidement machine arrière et renoncer définitivement à faire jouer la chicane (Rue89 – 8 décembre 2010).

A bien y regarder, ceux-là mêmes qui opposent aujourd’hui une intransigeance sans frein à l’expression de la religion chrétienne dans l’espace public font preuve, dans le même temps, d’une magnanimité paradoxale lorsque d’autres signes religieux sont en cause.

Chaque début d’année donne ainsi l’occasion aux personnalités politiques, partout en France, de présenter leurs vœux auprès de la population. Chef de file d’Europe Ecologie à Grigny, Monsieur Le Bras vient de présenter les siens, au moyen d’une affiche largement diffusée auprès des habitants de cette ville de l’Essonne, en saluant la « nouvelle année 1432-2011 » ! Alors que l’Arabie saoudite a averti sa population, selon l’information relayée par le site Le Salon Beige (27 décembre 2010), qu’elle ne tolèrerait pas sur son territoire les célébrations publiques du Nouvel An, par trop lié au rythme du calendrier grégorien, notre responsable écologiste cible ouvertement son public en s’appropriant sans vergogne le calendrier musulman. Sans plus de respect pour le principe d’universalité qui fonde les valeurs de la France, il ne s’embarrasse en l’occurrence ni du sacro-saint principe de laïcité, ni des traditions culturelles françaises.

Dans la manifestation sournoise de cette entreprise d’anéantissement des esprits et de haine de soi, qui tire sa force moins de tentatives improbables de déstabilisation qui menaceraient nos sociétés occidentales que du repli suicidaire qui, jour après jour, les assaille culturellement, la France n’est pas seule en cause : toujours selon l’excellent site Le Salon Beige (28 décembre 2010), des centaines d’affiches appelant les britanniques à se détourner du symbole de Noël, présenté en l’espèce sous un jour proprement diabolique, ont été apposées massivement en Grande-Bretagne, sans susciter, semble-t-il, la moindre réaction officielle. Pour les auteurs de cette campagne de propagande religieuse qui séjournent paisiblement outre-Manche, dans un pays où le monarque demeure par ailleurs chef de l’Eglise anglicane, le Nouvel An aurait dû, en vérité, être célébré en observant fidèlement la règle du calendrier de l’Hégire, soit à la date du 7 décembre 2010 !

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Avec la construction éperdue d’un espace européen sans âme qui s’applique avec constance à toujours dépasser les frontières des vieux Etats de notre continent, les partisans d’une France sans racines ont trouvé à Bruxelles un puissant relais idéologique à leur acharnement à vouloir partout renier l’héritage chrétien de notre pays pour mieux y faire place à des pratiques religieuses et culturelles qui lui sont historiquement étrangères.

Pas plus que la défunte constitution Giscard, le traité de Lisbonne ne mentionne ainsi explicitement l’héritage chrétien de l’Europe et la seule référence, dans son préambule, aux composantes culturelle, religieuse et humaniste de son passé est notoirement insuffisante pour dépeindre, dans le temps comme dans l’espace, les traits historiques authentiques de ce continent.

Ce funeste dessein qui voudrait faire subir aux peuples européens une cure d’amnésie prolongée, Bruxelles s’emploie à le cultiver subrepticement, avec grande persévérance, au nom d’une liberté religieuse mal pensée : parmi tant d’exemples, la Commission européenne ne vient-elle pas en effet, ces derniers jours, de diffuser massivement trois millions d’exemplaires d’un agenda, aux couleurs mariales de l’Union européenne, qui mentionne à profusion les célébrations religieuses pratiquées par toutes les confessions qui peuplent l’Europe, de la religion hindoue à la religion juive, de la religion musulmane à la religion sikh, sans aucunement citer l’existence des fêtes chrétiennes, y compris celle de Noël ! En France, seuls le Parti Chrétien Démocrate de Madame Christine Boutin et le MNR se sont émus légitimement de cette incroyable initiative, qui n’a évidemment été aucunement dénoncée, ni même reprise, par aucun des ‘‘grands médias ’’ que l’on a pourtant connu plus prompts à réagir dans d’autres circonstances…

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Tant de bons esprits s’égarent sur ce débat essentiel alors que les termes de l’équation sont pourtant simples à poser. Dans un monde anxiogène, si destructeur des repères protecteurs du passé, dans lequel cependant la vitalité des nations, de la Russie au Japon, de la Serbie à la Pologne, se mesure exactement à leur semblable capacité à honorer pleinement leurs mémoires historiques, comment aborder correctement en Europe la question de l’altérité et du sens authentique à lui donner, pour mieux faire partager à l’avenir cette noble valeur parmi ses peuples aujourd’hui désarçonnés, autrement qu’en assumant intégralement l’héritage de notre continent, sans aucunement retrancher sa composante chrétienne ?

Ce n’est qu’au prix de ce salutaire retour sur soi, en direction des véritables racines de la Res publica européenne, que les peuples de ce continent pourront renouer demain lucidement, hors de leurs frontières, avec une ambition européenne éclairée, enfin porteuse d’un affectio societatis sincère, non sans alors légitimement se détourner, pendant qu’il en est encore temps, des aveuglements technocratiques qui assurent aujourd’hui le triste quotidien d’une Union européenne plus que jamais à la peine.

Doté d’un sens de l’histoire solidement chevillé au corps, le peuple français, davantage que toute autre nation, doit sans crainte se livrer, à l’échelle nationale, à cet urgent travail d’anamnèse, en tirant avec raison les enseignements de son histoire séculaire. « France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême» : cette exhortation lumineuse du vénérable Jean-Paul II, dont le sens prophétique se rattache au moins autant à la dimension culturelle de la civilisation française qu’à l’histoire religieuse de notre pays, chacun d’entre nous doit au fond la faire sienne, intimement, et y répondre partout avec confiance en dehors de toute logique d’appartenance strictement confessionnelle.

Karim Ouchikh  –  2 janvier 2011

4 commentaires sur La France, l’Europe et le christianisme : la fin d’un monde ?

  1. Patrick Laval // 19 janvier 2011 à 17 h 17 min //

    Plus lucide que cet article de Karim Ouchikh, tu meurs ……. mais dans le long chemin des cycles qui nous régissent ……. l’obligatoire décadence d’une civilisation qui a produit son fruit prend l’incohérente forme décrite ci-dessus ……. l’été de la civilisation Occidentale a démarré avec la Renaissance, il a duré 5 siècles ……. nous sommes aujourd’hui au début de l’automne ……. tout comme l’Empire Romain qui contrôlait militairement et économiquement l’Orient et l’Occident aux 1ers jours de notre ère et qui a mis 4/5 siècles à disparaître ……. ne renions pas nos racines, la finalité sera la même mais le chemin sera plus doux …….

  2. il y a comme un semblant de vengeance vis à vis des valeurs chrétiennes, comme si, faire payer aux chrétiens d’aujourd’hui les excés du passé de la chrétienté. pourraient-ils s’instruire de ce que la religion musulmane à fait partout ou elle a était en position de force??(et aujourd’hui!! en irak, en égypte, etc..)
    pour les « destructeurs » de notre civilisation, qui pensent se servir du levier islam pour dominer la civilisation française, ils me font penser aux US qui ont voulu le libre échange en pensant que grace à leur puissance, eux, s’affranchiraient des conséquences!! on voit aujourd’hui les prémices du résultat, et demain comme depuis plus d’un siècle ils (les US) essaieront d’avoir recours à un conflit militaire généralisé pour reprendre la main; mais il n’est pas sûr que les chinois se plieront à cette manigance.
    l’exemple vaut ce qu’il vaut, mais les français feraient bien de réfléchir.

  3. je partage à 100 pour cent cet article
    bien amicalement

  4. Parce que nous ne connaissons pas la grandeur du christianisme. Les athées, agnostiques et autres anticléricaux confondent l’esprit merveilleux du christianisme et ses représentations humaines.

    Si je lis l’Ancien Testament, le Coran j’y découvre la haine, le refus de l’autre. Je défie n’importe qui de trouver une once de haine, de refus dans les Evangiles, base du christianisme. G.

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