Le PS toujours aussi mal à l’aise avec la Tunisie de Ben Ali

 

TunisieCela se passe à deux heures d’avion de la rue Solférino, mais cela ne semble guère intéresser les hiérarques du PS. Alors que la révolte persiste en Tunisie depuis le 19 décembre, malgré la répression, les socialistes sont aux abonnés absents. Pas un dirigeant (ni un seul drapeau) du parti à la rose n’était ainsi visible jeudi soir à Paris, pour le rassemblement de soutien à une insurrection aujourd’hui en péril face à l’Etat policier.

Aborder le sujet avec le secrétaire national aux droits de l’homme du PS, Pouria Amirshahi, pourrait suffire à lever les ambiguïtés, nées notamment de l’amitié ancienne unissant le dictateur avec le maire de Paris, Bertrand Delanoë. «Le problème, c’est qu’à chaque fois qu’on parle Tunisie et PS, on pense Delanoë, s’insurge-t-il. Mais j’ai publié six communiqués depuis septembre 2009, pour dénoncer les emprisonnements politiques et les dérives liberticides ou soutenir les prisonniers du bassin minier de Gafsa. Mais bon, je suis sans doute trop peu connu pour intéresser les médias.»

De fait, Amirshahi a publié un communiqué, validé par le cabinet de Martine Aubry, le 30 décembre dernier, dans lequel «le Parti socialiste appelle les autorités tunisiennes à garantir la sécurité des militants, des journalistes et des avocats, à protéger le droit à l’information et le droit de manifester pacifiquement et souhaite la libération des militants arrêtés». Au cabinet de la première secrétaire, on se dit «satisfait du ton employé», avouant avoir «tapé assez fort afin de rattraper le retard à l’allumage».

Amirshahi assure n’avoir jamais eu «aucune réflexion sur le thème “Pas d’ingérence”» de la part de ses collègues dirigeants du PS, et exhibe comme un trophée la réaction du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique), le parti du président Ben Ali, estimant que «Prétendre qu’il y aurait eu une quelconque “répression brutale” des forces de l’ordre dans le cadre des incidents survenus dans la région de Sidi Bouzid relève de la désinformation et de la mauvaise foi»…

Pour mémoire, après la grève générale de Gafsa en 2008-2009 et la mort d’un jeune manifestant tué par l’armée dans la ville de Redeyef, la police a de nouveau fait feu sur la foule le 24 décembre dernier, tuant Mohammed Ammari, 18 ans, et blessant grièvement Chawki Hidri, qui décédera deux jours plus tard.

Quant à la présence du RCD dans les rangs de l’Internationale socialiste, elle ne semble pas près d’être remise en cause. Secrétaire national aux relations internationales, Jean-Christophe Cambadélis réfute la vision d’un PS complice par omission des entraves tunisiennes aux droits de l’homme: «Je me fais régulièrement insulté par les membres du RCD, mais je vous fais remarquer qu’il y a aussi un parti d’opposition parmi l’Internationale, et que nous nous battons pour que celui-ci soit représenté aux élections municipales, et même présidentielle.» Même pas la peine d’envisager le moindre blâme, «l’Internationale socialiste, c’est le conseil de sécurité de l’ONU multiplié par 160, et il faut l’unanimité pour prendre une décision. Mais il faut poser la question à Ségolène Royal, qui siège au bureau», glisse Cambadélis, qui, lui, n’a pas publié un communiqué sur le sujet depuis qu’il est en poste (novembre 2008).

Difficile par ailleurs d’extirper une quelconque condamnation au nom des droits de l’homme chez «Camba», qui se borne à évoquer «des raisons structurelles et conjoncturelles» pour expliquer les événements actuels, et estime que «la répression ne servirait à rien». Selon lui, «le gouvernement tunisien a pris la mesure de ce qui se passe: pour que Ben Ali change deux ministres et se rende au chevet du jeune immolé, c’est qu’il a eu quelques échos de l’ampleur du mécontentement et qu’il a voulu donner une indication politique. Normalement, ce n’est pas le genre de la maison, et il a plutôt tendance à minimiser et à dénoncer la manipulation islamiste…».

Selon DSK, une «approche pragmatique des réformes structurelles»

Pour Pouria Amirshahi, proche de Benoît Hamon et responsable de l’aile gauche du PS, «les revendications actuelles portent davantage sur la liberté à vivre dignement que sur la liberté d’expression, mais il n’est pas interdit de penser qu’il puisse y avoir une rencontre inédite entre la colère sociale et une progressive conscientisation politique». Mais lui comme Cambadélis axent essentiellement leur discours sur les raisons essentiellement économiques de la crise tunisienne: «Ben Ali sera contraint de bouger face au sous-emploi des jeunes, qui va créer à court terme une situation explosive.» En Tunisie, les chômeurs représentaient quelque 55% des diplômés de l’université en 2008, selon l’économiste Lahcen Achy. Ce chercheur au centre Carnegie pour le Moyen-Orient a publié en novembre 2010 une étude sur «les défis de l’emploi au Maghreb»

Quant aux déclarations de Dominique Strauss-Kahn en tant que directeur du FMI, interroger un socialiste français à leur propos revient à lancer un grand concours de bottage en touche. En novembre 2008, DSK se félicitait très officiellement que «les politiques économiques mises en œuvre par les autorités et leur approche pragmatique des réformes structurelles ont produit des gains sensibles et la crise financière mondiale n’a pas eu d’impact financier direct sur la Tunisie».

Ce soutien du peut-être futur candidat socialiste à la présidentielle de 2012 semble désormais brandi comme un totem par le régime tunisien. Chaque rencontre entre Strauss-Kahn et Ben Ali ou son premier ministre (environ chaque six mois) donne ainsi lieu à des dépêches élogieuses de l’agence de presse officielle du pouvoir, faisant état de déclarations de DSK qui font froid dans le dos (et qui n’ont jamais été démenties). Comme par exemple: «La politique économique adoptée ici est une politique saine et constitue le meilleur modèle à suivre pour de nombreux pays émergents tels que la Tunisie.»

«Dominique ne parle assurément pas de modèle politique, mais de modèle économique. Et il a bien raison d’affirmer que les éléments de croissance ne sont pas tout», rétorque Jean-Christophe Cambadélis en sortant les avirons. Sur son blog, le principal lieutenant de Strauss-Kahn au PS voit d’autres raisons de s’inquiéter de la situation actuelle: «L’Europe retient son souffle car la crainte de la contagion est là. Et pas seulement au Maghreb. Les banlieues d’Europe vont se sentir concernées si le mouvement s’étend.»

Stéphane Alliès

 

 

2 commentaires sur Le PS toujours aussi mal à l’aise avec la Tunisie de Ben Ali

  1. Nostradamus 2012 // 15 janvier 2011 à 12 h 25 min //

    Un grand bravo à DSK pour ce grand moment historique. Il nous montre ainsi dans cette vidéo, la mesure de toutes ses qualités d’homme d’état qui sait arborer une clairvoyance exceptionnelle quand le moment propice est arrivé !. En somme c’est un visionnaire éclairé de la finance l’homme qu’il nous faut pour conduire le pays vers la sérénité. C’est dire ce qui pourrait nous arriver et l’on s’en priverait !?….. Il est surprenant que l’on n’entende pas le PS sur le sujet mais comme l’on dit dans nos campagnes, il n’y a pas de fumée sans feu !…..

  2. Les médias que j’écoute interrogent les ministres français sur les incidents et sollicitent surtout leur opinion et celle du gouvernement sur la répression des émeutes en Tunisie.

    Je laisse de coté la question pourquoi plus la Tunisie qu’un autre pays, mais on peut s’interroger là-dessus et être surpris.

    Ma question est : faut-il laisser les émeutiers prendre le pouvoir, contre le gouvernement en place ?

    J’ignore si M. Ben Ali et son gouvernement sont représentatifs des Tunisiens, la même question pour savoir si les émeutiers sont représentatifs et proposent une autre voie qui satisfasse les Tunisiens mais contre le saccage et la chienlit, le gouvernement tunisien, n’importe quel gouvernement, a le droit et le devoir de rétablir l’ordre.

    Le désordre est la loi du plus fort et est créateur de l’injustice, d’une autre inégalité. L’anarchie qu’il ne faut pas confondre avec la liberté ne peut conduire un peuple à l’épanouissement, si tant soit est que le progrès matériel soit facteur d’épanouissement.

    Il me semble que les journalistes français font un parallèle entre le désamour des Tunisiens pour leur gouvernement et le désamour des Français pour le leur et vivent une révolution souhaitée par Tunisiens interposés.

    La seule réponse qui vaille est celle : comment satisfaire les besoins puis les désirs de tous, mais ça n’importe quel chef de famille se pose la question et a des difficultés pour satisfaire les besoins de sa famille qu’il soit musulman, juif ou chrétien. G

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