Réformes: Sarkozy persévère … et perd sévère!
Même s’il perd aux Régionales, Nicolas Sarkozy assure qu’il ne remettra pas en cause ses réformes. Mais, pour Roland Hureaux, le terrain de la Réforme ne sera pas celui du rebond politique, comme le montrent les exemples de la Justice ou des collectivités locales.
On croit connaître déjà la réaction du président de la République au lendemain des élections régionales, annoncées comme une défaite retentissante pour le pouvoir : « Ce scrutin à caractère purement local n’est qu’un épisode qui ne saurait nous ébranler : il ne nous détournera pas de notre « travail » : continuer sur la voie des réformes, poursuivre inlassablement la modernisation la France. »
« Travail » : le président travaille, paraît-il, beaucoup. Un patron sarkoziste des Hauts-de-Seine, nous disait il y a quelques mois : « Au moins, ce n’est pas un fainéant : il bosse et il connaît ses dossiers ». Laissons pour le moment de côté nos doutes sur la connaissance des dossiers, la vraie qui est, par-delà les notes administratives, la perception des réalités humaines sous-jacentes. Produire des lois, de plus en plus de lois, au point d’engorger la procédure parlementaire, ouvrir de plus en plus de « chantiers », faire de plus en plus de réformes, de manière obsessionnelle, cela peut passer en effet pour les travaux d’Hercule.
Ne pas dévier du cap à la suite d’un revers électoral, pas même pour changer un ou deux ministres, cela peut passer pour du courage : « Nos réformes sont impopulaires, donc elles sont nécessaires et courageuses. Nous ne nous laissons pas ébranler par l’impopularité, nous persévérons sur la voie tracée. »
Que ces réformes soient tout simplement mauvaises n’est nullement envisagé.
Il faut le dire : une telle démarche se heurtera cette fois à des difficultés considérables. Le hasard du calendrier fait qu’un gouvernement particulièrement délégitimé aura en « chantier », après les élections régionales, les projets les plus foireux, les plus douteux et les plus contestés qui soient depuis le début du quinquennat.
Nous ne parlons pas de la réforme des retraites, dont seul l’aveuglement sur les questions démographiques peut occulter la nécessité, mais qui précisément parce qu’elle est urgente et exige du courage a été reportée à l’automne.
Nous perlons de la réforme judiciaire et de celle des collectivités territoriales.
Sur chacune pèse un lourd soupçon d’arrière-pensées politiques : pour la première, celle de vouloir, en supprimant le juge d’instruction, mieux contrôler les dossiers politiques ; pour la seconde, en réformant totalement les scrutins régional et départemental, celui de remettre en cause le résultat des élections locales que l’on viendra de perdre.
Toutes deux sont inspirées par des modèles étrangers – ou plutôt par l’idée qu’on s’en fait : la procédure contradictoire à l’anglo-saxonne, jugée on se demande pourquoi, plus moderne, une géographie des pouvoirs locaux supposée plus simple ailleurs. En réalité, on s’interroge dans les pays anglo-saxons pour savoir s’il ne serait pas utile d’y introduire quelque chose comme un juge d’instruction. Le « mille feuilles territorial », que l’on dénonce n’est pas propre à la France : on le retrouve en Allemagne ou en Italie. Les 36 000 communes que les auteurs du projet de loi ont aussi dans le collimateur sont certes une spécificité française mais dont personne n’en a, à ce jour, démontré sérieusement les inconvénients. Loin de témoigner d’une vraie « connaissance des dossiers », ces projets reflètent les préjugés sommaires de l’establishment français : haut-fonctionnaires mais aussi chefs d’entreprise ou journalistes, toujours persuadés que ce qui se fait ailleurs est mieux, préjugés jamais remis en cause, tant il est vrai qu’en France, ceux qui se croient le plus ouverts à l’international sont généralement ceux qui le connaissent le moins.
Mais cette volonté de persévérer sans « faiblir », dans un processus de réformes très mal engagé est aussi le signe d’une grave faiblesse : l’absence totale, non seulement d’une équipe de rechange mais d’une politique de rechange. Les présidents de la Ve République avaient toujours veillé, en début de mandat, à avoir au moins deux fers au feu, deux politiques non pas contradictoires mais qui soient comme des variations sur le même thème, suffisamment proches pour ne pas donner l’impression du reniement, suffisamment démarquées pour que l’une succédant à l’autre fasse l’effet de la nouveauté. En 1959, De Gaulle choisit Debré, mais tenait Pompidou en réserve. Chaban-Delmas et Chirac incarnèrent chacun à son tour la réforme sociale mais Messmer et Barre revinrent à une certaine orthodoxie. Mauroy dut appliquer le programme commun de la gauche, Fabius réhabilita le libéralisme etc. Deux politiques, deux équipes, cela suppose un minimum de réflexion, cela implique des équipes qui se préparent dans l’ombre, cela suppose surtout un vivier suffisamment riche pour qu’on puisse, tout en gardant une partie des ministres, donner, le jour venu, l’impression d’un certain renouvellement des hommes et des idées. Or nous touchons là une des graves faiblesses du pouvoir actuel : l’absence d’équipes de rechange, reflet lui-même de l’assèchement des talents dans les hautes sphères de l’Etat. Un Etat, où il n’était pas possible, parait-il, de trouver à EDF un patron moins exigeant qu’Henri Proglio, ou un premier président de la Cour des comptes issu de la majorité ! Un Etat où ont triomphé le conformisme, l’esprit courtisan et la pensée unique et qui a éliminé au fil des ans toutes les formes d’originalité – et donc les vrais talents. Dans la grisaille généralisée, les nominations dites d’ouverture, autant que l’effet d’un dessein politique, ne sont-elles pas le moyen de donner un semblant de couleur aux promus ?
Ce n’est pas parce que Fillon est populaire qu’on ne le remplacera pas. En 1968, Pompidou, pourtant soutenu par l’opinion, fut remplacé par Couve de Murville. De même Chaban par Messmer en 1972. Marie -France Garaud qui suivit cette dernière affaire de près, dit une fois que c’est précisément parce que le premier ministre était devenu trop populaire qu’il fallait le remplacer, pour préserver le président de la République. Chaban était populaire par son action. Il se peut que Fillon le soit pour son inaction. François Fillon est sans doute plus populaire que Nicolas Sarkozy pour la même raison que René Coty l’était plus que Guy Mollet. Dans le « couple » exécutif, l’un décide de tout, l’autre de rien, sauf que les rôles ont été inversés.
Faute de capacité de renouvellement, il ne faut, hélas, s’attendre à aucune interrogation en profondeur sur la pertinence des réformes engagées au cours des derniers mois. A aucun moment on ne se demandera si l’impopularité du président ne viendrait pas du fait , non qu’il réforme mais qu’il réforme mal, de manière bouillonne et sans suivi : combien de réformes contre-productives, qui compliquent au lieu de simplifier, brouillent au lieu de clarifier, renchérissent au lieu de faire faire des économies, combien de lois annoncées avec fracas jamais suivies de décrets d’application? Combien de lois où on s’est contenté d’apposer le tampon politique sur de vieux invendus sortis des remises technocratiques ?
Le problème est que beaucoup de ces réformes sont mauvaises pour la France. Le lycée à la carte y relâche encore les disciplines, la « modernisation des politiques publiques » fait faire un peu d’économies (et encore pas toujours) et démobilise gravement les fonctionnaires, la fusion des universités (au nom du classement de Shanghai, autre leurre bien français) les rendra encore plus inhumaines et massifiées, le rapprochement de la police et de la gendarmerie les rend plus coûteuses et plus hostiles l’une et l’autre, la réforme annoncée de l’administration territoriale, va encore accroître la confusion des pouvoirs locaux etc.
S’il ne remet pas en cause complètement le processus réformateur dans lequel il est engagé, sinon dans son principe, du moins dans sa méthode, non seulement Nicolas Sarkozy risque d’atteindre 2012, mais il laissera un champ de ruines.
Roland Hureaux
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