Europe, libéralisme, arme nucléaire : les propositions chocs d’Édouard Balladur

Édouard Balladur. Fabien Clairefond

Le XXIe siècle sera rude pour la France. Elle n’est pas seulement menacée, mais déjà victime d’un déclassement économique, social, culturel, diplomatique, militaire.

On sait bien ce qu’il faut faire : réduire un endettement désastreux, exclure toute hausse d’impôts, revoir tout le système de transferts sociaux, faire au moins 30 Mds de réduction des dépenses publiques par an et sans doute bien davantage, les évaluations changent tous les jours.

Aura-t-on la clairvoyance et le courage d’agir ? J’en doute. Le nombre de fonctionnaires a augmenté d’un million en vingt-cinq ans. Les dépenses publiques représentent 57 % de la richesse produite. L’endettement public a augmenté de 1.000 milliards d’euros en sept ans, il atteint désormais plus de 3.000 milliards d’euros au total. En outre, la France croule sous les interventions autoritaires de l’État, la complication, l’alourdissement des règles et des contraintes bureaucratiques découragent la liberté d’initiative.

Le gouvernement s’obstine à affirmer que le retour au plein-emploi réglera tous les problèmes. Nul ne voit comment. Des projections jusqu’à la fin du siècle montrent qu’alors la France ne sera plus que la 25ème puissance économique au monde et non plus la sixième ou la septième. Je n’ai pas l’espoir de voir sa situation s’améliorer de mon vivant, d’autant que la violence s’aggrave au sein de la société, la jeunesse refuse les contraintes et l’autorité, y compris celle des parents, les Français dans leur grande majorité pensent qu’on doit y porter remède, ils appellent au retour de l’ordre et déplorent l’action des juges qu’ils estiment trop timide. Ils ne s’y résigneront pas.

Dans le même temps, le désordre et la guerre s’accroissent dans le monde. L’Ukraine, agressée par la Russie, est en danger, l’Europe s’est portée à son secours, elle lui propose de l’intégrer tout de suite à l’Union européenne, ce qui est une erreur, elle n’en a ni les moyens financiers, ni les moyens militaires. Il lui suffirait dans une première étape de conclure avec elle un accord, dans le cadre de la théorie des cercles selon laquelle tous les pays européens ne sont pas en mesure d’exercer en commun les mêmes compétences au même moment, qui permet à l’Union de diversifier son rôle avec ses voisins et de l’adapter aux circonstances.

La France doit réagir avec rapidité et énergie. Il y va de son destin même. Outre le redressement intérieur qu’elle doit opérer d’urgence, elle doit agir dans trois domaines : l’Europe, le libéralisme économique, l’armement nucléaire.

1/ S’agissant de l’Europe,

J’ai publié il y a quelques mois, grâce à Fondapol, mes réflexions. Tout est dit dans le titre « L’Europe est nécessaire, la France aussi ». Il ne s’agit pas de les opposer l’une à l’autre, mais de les amener à coopérer dans un respect réciproque.

En 1992, j’ai voté la ratification du traité de Maastricht conclu entre douze États membres. À mes yeux, il avait un contenu précieux et utile : la création de la monnaie européenne, une politique commerciale commune, un grand marché commun avec libre circulation des hommes, des produits et des capitaux.

Malheureusement, on ne s’en est pas tenu là. Ont régné la confusion des responsabilités, l’égalité de la représentation des États sans tenir compte de leur importance, la fuite en avant, les compétences de l’Union étant étendues à la défense, à l’immigration, à la compétitivité, la proposition d’accueillir une dizaine au moins de nouveaux membres aussi exigeants que mal préparés.

Le traité de Lisbonne, conclu le 13 décembre 2007 entre vingt-sept États membres, reprend l’essentiel du traité de Rome de 2004 établissant une Constitution pour l’Europe, rejeté par référendum par le peuple français. Son orientation générale consiste à s’éloigner du caractère intergouvernemental des institutions européennes pour se rapprocher d’un mode de fonctionnement plus intégré. C’est ainsi que, tout en étendant au bénéfice de la Commission les champs d’application du droit européen, il renforce l’indépendance du président de la Commission par rapport aux États. Il prévoit que la Commission, qui cesse d’être responsable devant le Conseil, est investie, et peut être censurée par le Parlement. Chaque État membre ne dispose plus que d’un commissaire et le Conseil européen perd son rôle prépondérant. En d’autres termes, du traité de Maastricht à celui de Lisbonne s’est opéré, sous l’effet des élargissements successifs de l’Union et du rôle accru reconnu aux petits États, un glissement sensible vers le fédéralisme, marqué par le renforcement, dans le fonctionnement de l’Union, des institutions les plus éloignées de la légitimité du suffrage populaire.

Tentons de mettre ordre et clarté dans un débat tellement confus.

L’Union européenne est mal organisée, soit elle se réformera elle-même, soit elle éclatera.

Il ne faut pas opposer l’Europe et la France, les deux ont leur place dans les institutions européennes, ce n’est pas tout l’un ou tout l’autre.

Il ne faut pas se précipiter et élargir à toute force l’Union européenne à des pays de l’Est européen, mais observer une pause.

Déclarer la souveraineté de l’Union dans certains domaines exclut la souveraineté des États membres de l’Union. En la matière, il n’y a pas possibilité de partage. L’élargissement des compétences de l’un exclut les compétences de l’autre.

S’agissant de la réglementation de l’immigration c’est à la France de décider souverainement qui est compétent pour ce faire. Cela ne peut être que le peuple français, auteur exclusif de nos institutions. En la matière, il n’y a de légitimité que la sienne. La décision revient au référendum afin de modifier la Constitution et de préciser les pouvoirs de chacun.

Les institutions de l’Europe ne doivent laisser aucune place au fédéralisme qui comporterait le vote à la majorité substitué au vote à l’unanimité.

Il faut faire revenir le Conseil constitutionnel à sa compétence naturelle, y faire revenir aussi les diverses institutions nationales, européennes ou internationales qui s’arrogent le droit de créer un droit européen nouveau en interprétant les traités à leur guise avec pour effet sinon parfois pour but l’affaissement de la souveraineté de la France. Il s’agit du Conseil d’État, du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation, de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de Justice de l’Union européenne.

Comme le propose l’appel de cinquante personnalités sur le « tour de vis fédéraliste » de l’Union européenne qui est désormais officiellement projeté, le saut qualitatif dans l’inconnu d’un système supranational qui minore l’existence des nations au profit d’une Commission qui porterait officiellement le titre d’ « Exécutif », coiffé d’un « Président de l’Union européenne » doit être soumis au référendum. L’objectif est clair : exclure le fédéralisme, réguler l’immigration.

J’en ai conclu pour ma part qu’il fallait différer tout nouvel élargissement en attendant d’élaborer un code clair et précis des compétences de l’Union et des États-membres.

Il nous faut surtout retrouver notre souveraineté nationale en matière de contrôle de l’immigration, l’avenir même de la France en dépend. Jadis en tant que Premier ministre, s’agissant du droit d’asile, j’ai eu recours à un véritable lit de justice afin d’imposer au Conseil constitutionnel la primauté souveraine du peuple français, seul à détenir la légitimité nécessaire pour décider quelle doit être sa Constitution, et qui doit être autorisé à entrer sur son sol. Nous enregistrons chaque année une immigration de près de 500.000 personnes qui, pour des raisons juridiques diverses, ne peuvent être contraintes au retour dans leur pays d’origine. C’est la raison pour laquelle doit être organisé un référendum pour modifier l’article 11 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel sera contraint de s’incliner devant le peuple souverain.

2/ Retrouver un véritable libéralisme

On croit rêver : selon l’opinion couramment répandue, la France souffrirait d’un excès de libéralisme économique qui l’affaiblirait dans la compétition internationale. De qui se moque-t-on ? Ce dont souffre la prospérité de la France, c’est de tout le contraire.

Depuis quand un des endettements publics les plus graves au monde (3000 milliards d’euros dont 1000 milliards de plus ces sept dernières années), une pression fiscale des plus lourdes, une redistribution sociale les plus généreuses sont-ils la marque de la santé et du dynamisme et la preuve du libéralisme ? C’est tout le contraire qui est vrai.

Jamais la France n’a adhéré à la conception anglo-saxonne du libéralisme, marquée de tous les excès : apologie exclusive du règne du marché, censé avoir toujours raison ; limitation du rôle de l’État, accompagnée du règne universel du dollar, permettant d’alimenter tous les déficits publics.

Ma conception du libéralisme était tout autre, il s’agissait d’un libéralisme français, dans lequel la liberté du marché n’est pas la règle suprême, le rôle de l’État demeure important pour fixer la règle du jeu et en assurer le contrôle par le juge, le libre-échange commercial respectant les principes de transparence et d’équité sous le contrôle du GATT.

C’est ce libéralisme français que j’ai mis en œuvre de 1986 à 1988 comme ministre de l’Économie. Qualifié d’expérience française du libéralisme la plus accomplie, il a fait l’objet d’un rapport de plusieurs centaines de pages du CNRS. Il s’agissait d’un libéralisme contrôlé par l’État, astreint à respecter des règles pour éviter l’anarchie, d’un libéralisme partagé au profit de tous grâce à la participation aux résultats, à l’actionnariat salarié, au développement de l’actionnariat populaire par la privatisation des entreprises nationalisées.

3/ La capacité nucléaire de la France demeure indispensable à sa sécurité, à sa survie même.

Cela dit, il faut prendre conscience des nouvelles réalités :

  • L’Occident est affaibli, l’ordre hérité de 1945 a pris fin, les conflits militaires sont innombrables dans le monde.
  • L’armement nucléaire se répand : aujourd’hui en droit cinq puissances sont autorisées à le détenir et quatre le détiennent en fait : le Pakistan, l’Inde, la Corée du Nord et Israël. Dans les années à venir cinq à six pays nouveaux en seront sans doute détenteurs, parmi eux l’Arabie saoudite, l’Iran, la Turquie, l’Afrique du Sud, d’autres encore.
  • La France est le seul pays de l’Union européenne à détenir à la fois une capacité nucléaire et un siège au Conseil de sécurité. Pour autant, elle n’est pas en mesure d’utiliser cette capacité afin de défendre tous les pays de l’Union en cas de danger. Cela ne la dispense pas de conserver son armement nucléaire en demeurant seule juge de son usage sans jamais le préciser, ce qui suppose la maîtrise de sa politique étrangère et la possibilité de financer l’adaptation de ses moyens au progrès de la technique. L’influence réelle exercée au sein de l’Union par chacune des nations qui la composent en est modifiée.

De tout cela, certains déduisent que l’Union européenne doit se doter de l’armement nucléaire afin de se défendre elle-même dans sa totalité sans plus dépendre des décisions des États-Unis, de la Grande-Bretagne ou de la France. , alors que depuis plus d’un demi-siècle jamais la France n’a précisé ses intentions à cet égard

Voilà qui poserait de nombreuses questions :

Qui serait autorisé à déclencher l’arme nucléaire européenne ? Le Président en exercice de l’Union européenne, qu’il soit Maltais, Luxembourgeois ou Letton ? La bureaucratie européenne, c’est-à-dire la Commission, sans aucune légitimité ni capacité ? Ce serait absurde.

  • Si la France conservait ses capacités nucléaires, comment se ferait la coordination entre elle et cette autorité européenne ; devraient-elles se consulter l’une l’autre avant toute décision de recourir à l’arme nucléaire ? Si la France renonçait à décider seule, quelle garantie aurait-elle d’être défendue en toutes circonstances ?
  • Il y a dans ce recours à l’arme nucléaire une rapidité indispensable pour faire face aux événements. Or, sur le plan strictement national, le pouvoir de recours à cette arme est moins solitaire qu’on ne le dit, il suppose de multiples étapes permettant la coordination entre le Président et les chefs militaires, sans négliger en France le rôle du Premier ministre qui, d’après la Constitution elle-même, est responsable de la défense nationale.
  • En cas de transfert au niveau de l’Union le rôle des États les plus importants devrait être décisif dans les décisions à prendre et supposerait une étroite relation entre la France, l’Allemagne et sans doute aussi la Grande-Bretagne, bien que celle-ci ne fasse plus partie de l’Union européenne et dépende étroitement des États-Unis dans le recours à l’arme nucléaire.
  • Nous allons vivre dans un monde dangereux, personne ne renoncera à un moyen quelconque pour affronter le danger. L’Iran, la Turquie, l’Arabie saoudite, pourraient se doter de l’armement nucléaire et la France y renoncerait ? Ce serait pure folie.

À toutes ces questions, il n’existe pas de réponses simples, il faut que dans les années qui viennent les États concernés en débattent sérieusement et sans interférence de la Commission européenne qui n’a aucune qualité pour participer à cette réflexion commune.

Finalement, de quoi s’agit-il ? De l’âme même de la France. Voilà quinze siècles qu’elle existe, qu’elle symbolise aux yeux du monde entier, malgré son affaiblissement actuel, quelque chose d’unique s’agissant de la pensée, de l’art, de la culture, de l’organisation de la paix dans le monde. Quel Français, quelle que soit son origine, souhaiterait y renoncer ?


Lire aussi sur Gaullisme.fr : L’appel de 50 personnalités pour un référendum sur « le tour de vis fédéraliste » de l’Union européenne


 

2 commentaires sur Europe, libéralisme, arme nucléaire : les propositions chocs d’Édouard Balladur

  1. Kerhervé // 8 mai 2024 à 16 h 32 min //

    Avec l’autorisation de l’auteur.

    « Pas un mot sur la substitution galopante en cours de l’anglais euro-atlantique à la langue française, mais des généralités sur la culture qui, hélas, n’engagent à rien.

    Un sursaut souverainiste qui ne peut que se heurter aux PDG du CAC 40, que M. Balladur ne veut surtout pas nationaliser, à l’inverse de ce qu’avait fait en 45 de Gaulle, stimulé par ses ministres PCF Thorez et Marcel Paul, sans égards pour les trusts collabos de son époque.

    Et surtout, aucune empathie pour les classes populaires qui souffrent incomparablement plus de la casse continue des retraites, de la Sécu, des services publics et des acquis sociaux que les couches nanties toujours à gémir sur leurs impôts sans cesse allégés…

    Que ne comprend-il que la source profonde de la dette française est dans la destruction méthodique du « produire en France » par les rapaces du grand capital piétinant la vie de millions d’ouvriers, d’ingénieurs, d’artisans, d’enseignants et de paysans pour gonfler leurs profits à coups de privatisations et de délocalisations bénies par l’UE ! Si on ne produit plus rien, il faut importer, donc s’endetter, puis devenir insolvable… Et faire payer la note à l’ouvrier, au paysan, au prof, à l’infirmière qui n’y sont pour rien !

    Cela dit, si Balladur veut s’opposer si peu que ce soit au fédéralisme européen et au va-t-en-guerre Macron, tant mieux, c’est déjà beaucoup pour une figure de proue de l’oligarchie encore partiellement nationale…

    Mais il ne sera pas suivi par sa classe, la grande bourgeoisie qui, dans sa masse, a toujours préféré son portefeuille à sa patrie.  »

    Salutations républicaines,

    Georges Gastaud, militant communiste, patriote et fils d’un Résistant gaulliste.

  2. à Jacques KOTOUJANSKY… »bla,bla,bla ya qu’à faut qu’on.. » c’est hélas un mal bien ancré chez tous les politicards trans échiquier politique.L’Europe qui marche de travers comme la France du en même temps,un libéralisme octroyé généreusement aux pays tiers avec en prime un carcan normatif pour les memebres de l’UE,à la tête de notre Défense un gamin qui croit jouer les gros bras avec une démarche stratégique creuse, résumés dans le propos introductif au pensum de Mr Edouard Balladur , « Le XXIe siècle sera rude pour la France. Elle n’est pas seulement menacée, mais déjà victime d’un déclassement économique, social, culturel, diplomatique, militaire. ». Cette agitation neuronale ne constitue à nos yeux qu’un catalogue de conséquences désatreuses sans qu’aucune analyse sérieuse des causes politiques profondes ne soit abordée. Toujours la même confusion intellectuelle !!!!

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