Sommet de la francophonie à Erevan : le dilemme perdant-perdant pour Emmanuel Macron

par Roland Hureaux

Il se dit que quand la roue de la fortune tourne, tout ce qu’entreprend un homme tourne à son désavantage. Il semble que ce soit depuis cet été le cas du président Macron.

Il a voulu se donner une nouvelle image en allant visiter les sinistrés de Saint-Martin,  il  en fait trop et des clichés dévalorisants pour lui tournent en boucle dans toute la France.

Encore plus caractéristique est son intervention dans l’élection du secrétaire général de l’Association des pays francophones qui doit se tenir à Erevan (Arménie) les 11 et 12 octobre.

La secrétaire générale sortante ,canadienne d’origine haïtienne, Michaelle Jean est candidate à sa propre succession.

Contre elle, le ministre des affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo soutenue par le dictateur Paul Kagame.

Personne n’a compris pourquoi le président Macron soutient la seconde.

Il y avait tant de raisons pour que cette femme ne soit pas la candidate de la France !

Sur le plan bilatéral, les relations entre la France et le Rwanda sont détestables depuis la prise de pouvoir par Kagame en 1974. Il est à l’honneur de notre pays d’avoir,  seul  mais sans s’engager malheureusement à fond, tenté de faire barrage à cet homme sanguinaire appuyé par toute la galaxie du mainstream mondial , soi-disant libérale, à dominante anglo-saxonne. Kagame vainqueur a supprimé le français au bénéfice de l’anglais dans l’administration et dans l’enseignement. Il a adhéré au Commonwealth. Il couvre d’accusations ignobles l’ armée française dont l’opération d’interposition dite Turquoise, durant l’été 1994, faite à la demande de l’ONU, quoique trop tardive pour changer le cours des choses, fut irréprochable.

Sur le plan moral, ce soutien est beaucoup plus grave. Pendant des années a prévalu l’idée que Kagame était entré dans le pays au moment où la majorité Hutu accomplissait un génocide de la minorité Tutsi et qu’il avait arrêté le génocide et sauvé ceux qui restaient. Pour la doxa internationale, rien d’autre. Or il apparait aujourd’hui de plus en plus que, non content d’avoir provoqué la guerre, puis , en abattant l’avion présidentiel où se trouvait son prédécesseur Habyarimana,  déclenché  le premier génocide, Kagame en a encore accomplie un autre, au cours des années suivantes,  peut-être dix fois plus grave,  à l’encontre les réfugiés de la majorité hutu en fuite au Congo et des Congolais. Cela au travers d’atrocités inimaginables : viols, mutilation de femmes, tortures à mort etc.

Cette thèse , longtemps refusée par les médias dominants , se substitue peu à peu à la première dans le monde anglo-saxon et a reçu une caution forte avec l’attribution qui vient d’être   annoncée,  du Prix Nobel de la Paix au Dr Denis Mukwege lequel, pendant des années a soigné dans l’Est du Congo des milliers victimes de ces sévices et clairement dénoncé   les responsabilités de Kagame.

Dès lors les perspectives ne sont pas très glorieuses pour le président français.

Ou bien la majorité des pays francophones réunis à Erevan refusent de le suivre et ce sera pour lui un désaveu cinglant.

Ou bien il réussit à imposer au forceps la candidate rwandaise et comme tout ce que nous venons d’évoquer commence à se savoir , que Kagame est en voie de perdre ses soutiens internationaux – c’est peut-être le sens du nouveau Prix Nobel, l’appui apporté à Mme Mushikiwabo apparaitra pour ce qu’il est  : la complicité avec le crime le plus énorme de la fin du XXe siècle.

Il resterait à Macron à retirer son appui à la candidate rwandaise en arrivant à Erevan. Mais il s’est tellement engagé pour elle , la diplomatie française a été si active en sa faveur ces derniers jours , Macron ayant même rencontré Kagame à l’ONU, que cela passera aussi pour un échec.

Alors que rien ne l’obligeait à se mêler de près de cette affaire, Macron s’est ainsi enlisé dans un dilemme perdant-perdant. Il ne lui manquait plus que ça.

Roland Hureaux


Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l’auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L’actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l’Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours 


 

6 commentaires sur Sommet de la francophonie à Erevan : le dilemme perdant-perdant pour Emmanuel Macron

  1. Avec tous nos vœux pour que l’année 2019 soit l’année où la France ne se donnera plus en spectacle lénifiant de donneuse de leçons , mais redonnera l’image d’un pays qui sait progresser pour le plus grand bien du monde entier!

  2. Oui, Kagame est arrivé au pouvoir en 1994 : je vous laisse corriger le lapsus calami.

  3. « Le chérubin du palais » aime bien parader, voyager et se montrer au côté des hommes et des femmes de couleur. Quant à relancer la pratique du français dans le monde il ne s’y prend certainement pas de la meilleure façon en prononçant la majorité de ses discours et autres interviews dans une langue étrangère, à commencer par la promotions qu’il fait aux « start-up » !!!!

  4. Kagame n’est arrivé au pouvoir qu’en 1994, ce qui n’est déjà pas mal de temps.

  5. La langue française en partage

    Une partie de l’avenir de la France qui veut garder tout son poids sur la scène internationale dépend grandement de l’emploi de la langue française sur tous les continents, grâce notamment à l’organisation internationale de la francophonie dont le 17ième sommet va se tenir à Erevan le 11 et 12 octobre 2018 en Arménie. L’un de ses ambassadeurs, Charles Aznavour qui vient hélas de nous quitter a merveilleusement et talentueusement chanté pour nous plaire dans la langue de Molière.
    Les enjeux de la langue sont considérables et l’élection au poste de Secrétaire Général(e) de l’OIF n’a rien d’anodin. Il ne faut pas s’étonner du choix du Canada, du Québec et de la France par exemple, en faveur d’une candidate originaire du continent africain, au poste de Secrétaire Générale.
    Et pour s’en convaincre, sur les 274 millions de locuteurs de la langue française, chiffre estimé à travers le monde, plus de 50% sont établis sur le continent africain à forte croissance démographique dont la population devrait atteindre les 2.5 milliards d’habitants d’ici 2050.
    On peut toujours regretter à juste titre des choix et des sacrifices s’agissant de la désignation de représentants d’une institution. Pour autant, une prise de position doit se faire en tenant compte non pas du court terme mais du long terme. Une fonction reste éphémère. En revanche, le destin d’un pays ou d’un continent se construit sur le long terme avec les vicissitudes du moment. C’est grandement possible grâce aux missions de l’OIF même si son organisation et son fonctionnement restent critiquables au demeurant.
    Il ne faut pas perdre de vue également que l’effacement d’un pays qui peut commencer par l’effacement de sa langue se fera au profit d’un autre qui prendra sa place et qui cherchera à étendre sa zone d’influence aux conséquences parfois redoutables.
    RF 10.10.2018

  6. Jean-Dominique GLADIEU // 10 octobre 2018 à 9 h 03 min //

    Il y a déjà, à la base, une anomalie : il s’agit de l’élection du (et en l’occurrence de la) Secrétaire Général de l’Association des Pays Francophones. Alors, certes la France est un pays francophone (pour combien de temps encore ?) mais ne serait-il pas préférable qu’elle laisse les autres pays francophones choisir leur Secrétaire Générale en toute indépendance ? Et donc ne prenne pas partie dans l’affaire ?

    Ensuite, pour ce qui concerne le choix du Président de la République, c’est une fois de plus celui de l’auto-pénitence (la soi-disant complicité française dans les massacres de 1994). Rien de nouveau sous le soleil en définitive. Pauvre France …

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