Selon que vous serez Cahuzac ou misérable…

"Libres propos" par Régis de Castelnau

… Condamné pour fraude fiscale, l’ancien ministre du Budget devrait échapper à la prison

par Régis de Castelnau

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La décision d’appel concernant Jérôme Cahuzac vient de tomber. Condamné à trois ans de prison ferme en première instance, il a vu sa peine ramenée à quatre ans dont deux fermes. Ce qui veut dire que ses supplications ‘pleurnichantes’ à la barre, bruyamment relayées par Paris Match et les médias audiovisuels, ont été entendues. Le quantum a été fixé de manière à éviter l’incarcération puisque jusqu’à deux ans, l’exécution de la peine ferme peut-être aménagée en évitant la détention à celui qui en est frappé.

Haro sur le Cahuzac ?

À ma grande surprise, après la décision, il s’est trouvé beaucoup de gens pour la justifier. Ceux-ci se sont répartis en trois courants que je propose d’examiner :

On nous a, tout d’abord, expliqué qu’il ne fallait pas céder au »populisme judiciaire »et que Jérôme Cahuzac ayant déjà subi un déshonneur public, il était inutile d’en rajouter pour complaire à la foule. Brutaliser les »gros »parce que l’on brutalise les »petits »n’est pas un argument. Ceci est tout à fait recevable et ceux qui me lisent savent qu’au contraire je souhaite que l’on ne brutalise personne. Le problème est que l’utilisation de ce raisonnement dans cette affaire particulière va rendre un signalé service au populisme judiciaire.

On nous a dit ensuite que la jurisprudence ne prononce pas, en général, de peines de prison ferme pour les fraudeurs fiscaux, et qu’il n’y avait pas de raison d’appliquer à l’ancien ministre du Budget chargé de la lutte contre la fraude fiscale un traitement particulier. Dans ce cas, pourquoi la loi prévoit-elle des peines de prison ferme pour les fraudeurs ? Il est osé de tirer une règle générale d’une jurisprudence pour exonérer de tout risque d’incarcération ceux qui volent la collectivité. Une jurisprudence ça évolue, et on rappellera quand même que, dans les affaires politico-financières – et l’affaire Cahuzac en est une belle – un certain nombre de cols blancs, et non des moindres, ont connu la paille humide.

On a, aussi, évoqué la question de la prison. On sait que l’incarcération est une expérience très dure aggravée par l’état scandaleux du système carcéral français et la brutalité du changement de statut qui vous fait passer de petit-bourgeois privilégié à… rien. Quand il s’agit de l’infliger à l’un des siens, tout le monde redevient laxiste.

Un éléphant ça pompe énormément 

Alors, que penser de cette décision ? Je tiens à prendre la précaution préalable d’indiquer que je me moque complètement du sort de Jérôme Cahuzac. Qu’il aille se faire voir ailleurs et se débrouille avec sa conscience et son absence d’amour propre.

Pour comprendre pourquoi l’arrêt du 15 mai est déplorable, il est cependant nécessaire de revenir sur quelques éléments qui concernent l’homme que la Cour de Paris vient de gratifier de sa mansuétude. Nous avons là un des apparatchiks du PS dont tout le monde connaissait les rapports avec l’argent. Rappelons que l’existence des courants organisés au sein du Parti socialiste impliquait que chacun d’entre eux ait son trésor de guerre. Appartenant au courant rocardien, il fut, semble-t-il, très concerné, il l’a lui-même évoqué lors de l’audience de première instance. Ne faisant que confirmer d’ailleurs ce que tout le monde savait. Il est un peu étrange que lors de la »découverte », en mode secret de polichinelle, de ses comptes bancaires à l’étranger on ne se soit pas beaucoup étendu sur l’origine des fonds. La situation matérielle occulte de Cahuzac était également la résultante finale de la corruption des années fric dans laquelle le Parti socialiste au pouvoir (comme bien d’autres) s’était vautré.

Qu’il le veuille ou non, au moment de la révélation publique de sa fraude, pour l’opinion, Jérôme Cahuzac incarnait cette trahison. François Hollande, l’ennemi de la finance qui aime tant les riches, l’avait nommé ministre des impôts avec comme mission principale la lutte contre la fraude fiscale ! Cela fit ricaner dans les couloirs de Solférino, mais cela ne l’empêcha pas d’aller tout fringant, étaler morgue et arrogance sur les plateaux de télévision ou à l’Assemblée nationale. Sous les applaudissements de la presse néolibérale.

Le problème est que Jérôme Cahuzac s’était fait beaucoup d’ennemis, et que, parmi eux, il s’en est trouvé qui disposaient d’un dossier établissant la matérialité de ce que beaucoup savaient : c’était un fraudeur fiscal. Dossier déposé dans toutes les rédactions et aux sièges des partis politiques. On connaît l’histoire, c’est Mediapart qui s’y colla, Edwy Plenel accompagnant sa campagne de délation d’une lettre au procureur lui demandant de bien vouloir s’activer ! Tout le monde se rappelle les dénégations télévisées, la polémique et la terrible séquence devant l’Assemblée nationale, pour aboutir à l’aveu final.

L’exemplarité sauce Hollande

Résumons-nous : François Hollande nouvellement élu à la présidence de la République, ayant proclamé son aversion pour les riches et la finance, nomme ministre du Budget chargé de la lutte contre la fraude fiscale, un personnage qu’il savait discuté pour ses rapports avec l’argent, qui finit par reconnaître disposer d’importantes sommes à l’origine obscure et les avoirs planquées à l’étranger. Aveu succédant à plusieurs semaines de dénégations et de mensonges, en particulier en qualité de ministre face à la représentation nationale, »les yeux dans les yeux ». Était-il possible de faire pire ? En bon français, il ne serait pas excessif de qualifier cela de forfaiture.

La justice entreprit de juger cet homme-là. Pour la faute qu’il avait commise, qui contenait tous les éléments ci-dessus décrits. Il serait ridicule de considérer qu’il s’agissait d’une simple fraude fiscale concernant le patron d’une PME.

Défendre et protéger ?

Depuis des années je me suis engagé contre le populisme judiciaire et pour que l’indépendance réclamée par les magistrats soit d’abord l’outil de leur impartialité. Je sais aussi qu’une justice pour l’exemple n’est jamais exemplaire. C’est pourquoi je souhaite maintenant répondre à deux questions : la procédure ayant abouti à l’arrêt de la cour d’appel de Paris était-elle régulière ? La réponse est oui ; fallait-il condamner Jérôme Cahuzac à une peine de prison ferme ? Pour ma part, je m’en fiche, considérant que c’est exclusivement l’affaire des juridictions saisies. En disposant du dossier complet et dans le respect des principes prévus à l’article 132–24 du Code pénal : »Dans les limites fixées par la loi, la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »Le tribunal correctionnel de Paris avait répondu par l’affirmative, et sa collégialité avait infligé à l’ancien ministre une peine de trois ans de prison ferme. Trop élevée, pas assez ? Je ne sais pas, mais ce qui est sûr c’est que trois magistrats l’avaient considérée comme juste.

C’est alors que la procédure a quitté ses rails et que s’est enclenché un processus visant à défendre Jérôme Cahuzac, ce qui est normal, mais aussi à le protéger, ce qui l’est beaucoup moins. À l’approche de l’audience d’appel, on a assisté à une campagne de victimisation de l’ancien ministre assez étonnante. Les médias ont répercuté un »story telling », le présentant comme un pestiféré confronté à la solitude et une terrible détresse morale, en annonçant à grand son de trompe son choix de l’avocat médiatique à la mode, et relayant complaisamment l’expression de »sa peur d’aller en prison »   . Toutes choses répétées lors de l’audience, accompagnées de supplications et pour faire bon poids du chantage au suicide. Dans le passé, Jérôme Cahuzac prétendait avoir consacré son activité politique à l’intérêt général, on sait ce qu’il faut en penser aujourd’hui. S’étant déshonoré il y a cinq ans, il aurait pu vouloir se tenir droit. Mais il a considéré que pour sa défense et éviter la prison, il lui fallait aussi s’abaisser encore un peu plus. C’est son choix et il a été gagnant. N’étant pas dans sa situation, il n’y a pas de leçons à lui donner.

La justice contre elle-même ?

En revanche, il est déplorable que la Cour de Paris, infligeant un camouflet au tribunal correctionnel, ait prononcé exactement la peine réclamée par son avocat. Une peine qui, dans ce contexte vaut absolution, puisque Jérôme Cahuzac lui-même, ses soutiens, ses relais et ses réseaux médiatiques avaient fait de la question de la détention le seul enjeu de la procédure d’appel. Cet arrêt est une mauvaise action, qui va évidemment nourrir le populisme judiciaire.

Que répondre maintenant à ceux qui me disent que la décision rendue le 15 mai est un message envoyé par la haute magistrature à la caste pour lui dire qu’elle n’a pas à s’inquiéter ? À ceux qui me récitent les derniers vers des Animaux malades de la peste ? Ou à ceux qui affirment que cet arrangement auquel la Cour a prêté la main, était souhaité par tous les amis de Cahuzac concernés par ses petits business et que cette mansuétude était le prix de son silence ? Je vais également être obligé de rester muet lorsque mes camarades vont me jouer en ricanant le vieux refrain de la »justice de classe ».

Je n’ai plus d’arguments pour leur dire qu’ils ont tort.

 

7 commentaires sur Selon que vous serez Cahuzac ou misérable…

  1. Difficile pour un chirurgien esthétique de perdre la face !!!Ce nième verdict à la Ponce Pilate permettra donc à la cohorte de ses ex collègues victimes des mêmes maux de pouvoir faire meilleure figure lorsque leur tour viendra de s’expliquer à la barre si toutefois une nouvelle Loi ne vient définitivement écarter ces » infamantes » comparutions pour des élus de la Nation !!! !

  2. Michel Chailloleau // 21 mai 2018 à 10 h 27 min //

    Actuellement, c’est le 2éme gouvernement qui veut nous faire croire à l’honnêteté en politique. Il vaut mieux en rire. Mr Cahuzac était chargé en tant que ministre de la répression de la fraude fiscale. Il est vrai que dans ce domaine il était spécialiste. Une fois de plus, c’est l’inégalité entre les citoyens qui domine. Effectivement, il ne faut pas condamner ce monsieur à de la prison car cela nous coutera encore. Mais il doit être condamné à rembourser la totalité des sommes détournées, à une amende calculée sur ces sommes et bien sûr une interdiction définitive de se présenter à toute élection et aussi d’être nommé à un poste de ministre, de secrétaire d’Etat ou autre fonction de dirigeant.

  3. Défendre la veuve et l’orphelin voilà les enjeux majeurs d’une justice humaine. Ce qui n’est pas le cas de cet ex Ministre menteur tricheur .Alors la Justice s’en lave les mains et propose un verdict à la Pilate !Le peuple appréciera tout comme le concerné.

  4. Dans la logique du populisme judiciaire

    Soit que l’on brutalise, soit que l’on ne brutalise pas les « gros » comme les « petits ».

    Que si l’on ne brutalise pas l’un, il n’y a pas de raison de brutaliser l’autre ; mais que si l’on brutalise l’un il n’y a pas de raison de ne pas brutaliser l’autre.

    Que vous soyez puissant ou misérable, y a-t-il lieu de brutaliser les « gros » et d’épargner les « petits » ou à l’inverse, de brutaliser les « petits » et d’épargner les « gros » ?

    « La jurisprudence » Cahuzac qui est loin d’être un cas isolé, a conforté ce droit qu’à chacun, désormais, de mentir les yeux dans les yeux, en jurant de dire l’entière vérité jusqu’à preuve du contraire.
    En matière de savoir faire de ce grand sport national, on est passé du simple recueil de poésies puisées parmi les envolées lyriques d’orateurs glorieux du temps passé, à d’impressionnants volumes d’une collection de livres faciles pour débutants très entreprenants dans l’art du savoir faire, des apparences et de la dissimulation. Quel régal pour tous ces « Arsène Lupin » des temps modernes !

    C’est donc un quitus moral de soulagement inespéré pour gros et petits caïds, accordé par les plus hautes autorités de ce pays, qui nous font découvrir par la même occasion leurs aptitudes cachées insoupçonnables à transgresser leurs lois pourtant bien publiées au journal officiel, afin de se graisser encore plus copieusement la patte au quotidien. Et si une tête tombe, la relève est toujours assurée.

    Autant dire que ce jeu de loterie, un coup tu perds un coup tu gagnes, devient de plus en plus grisant pour les parrains de la pègre, bercés quotidiennement en toute insouciance par les sirènes hurlantes des représentants chargés de faire appliquer la loi, dirigés volontairement parfois dans des impasses par les acteurs de la criminalité en col blanc.

    Le cas Cahuzac n’est que l’arbre qui cache la forêt. Les dégâts sur l’environnement sont sans appel et bien visibles des populistes qui ne perdent aucune miette des réalités pour en tirer les conséquences.

    RF 18.5.2018

  5. Latini Jacques // 18 mai 2018 à 22 h 51 min //

    On a pas mis de gants avec Tapie et la taule pour ce personnage eu été mérité

  6. Je ne suis absolument pas d’accord avec Régis de Castelnau.

    Je souhaite très vivement que Jérôme Cahuzac ne soit pas incarcéré.

    J’observe tout d’abord que tout en affirmant ‘se fiche » que Jérôme Cahuzac soit incarcéré ou non, Régis de Castelnau laisse entendre clairement qu’il regrette profondément qu’il ne le soit pas. Un peu de courage Monsieur le Procureur.Ne vous bornez pas à demander « l’application de la Loi », précisez votre pensée.

    il est vrai que l’affaire Cahuzac ne peut être comparée à une fraude fiscale d’un patron de PME,mais les patrons de PME qui fraudent le fisc ne passent pas du tout devant les tribunaux pour la plupart d’entre eux.Ils payent de qu’ils devaient, payent une pénalité, payent des intérêts et personne n’entend plus jamais parler de rien. Il en est ainsi, aussi de particuliers modestes, et c’est tant mieux. je ne fais pas partie des gens qui souhaitent remplir les prisons avec ceux qui ont fait des bêtises rattrapables. Ceci est vrai pour les fraudeurs fiscaux comme pour les gamins qui volent quatre choux et deux carottes sur un étal de marché

    Cahuzac a menti aux parlementaires et au Président. C’est très mal. Ce n’est pas prévu par le Code Pénal. Cet élément est bien entendu de nature à soulever l’indignation des convives de dîners en ville, tous en règle bien entendu, pas celle d’une Cour d’Appel.

    Cahuzac n’a pas subi de vraies sanctions. Mon Dieu, ce n’est pas pleurnicher que dire que la fin de sa carrière politique prometteuse et son isolement désormais total constituent déjà des malheurs. Mérités sans le moindre doute, mais des malheurs tout de même.

    Si tous les puissants, tous les animaux qui survivent à la peste, étaient sanctionnés de deux ans fermes et deux ans avec sursis, s’ils portaient tous un bracelet électroniques, les rues des beaux quartiers de Paris auraient un autre aspect.

    Voilà ce que je répondrais à mes amis contestataires s’ils me chantaient La Fontaine. je leur dirais aussi que je reste, invariablement du côté de la défense…
    Pour Jérôme Cahuzac et pour d’autres….

    Etienne Tarride

  7. Jean-Dominique Gladieu // 18 mai 2018 à 15 h 00 min //

    Je ne sais pas s’il faut mettre J. Cahuzac en prison. Après tout, c’est vrai qu’il n’a tué personne et ne représente pas un danger pour autrui. En tout cas pas pour l’intégrité physique d’autrui.
    A part les 4 ans dont 2 avec sursis, que prévoie sa condamnation ?
    La moindre des choses serait qu’il soit astreint à rembourser le montant des fraudes + une amende suffisamment « carabinée » pour lui faire passer l’envie de recommencer + un bon paquet de TIG histoire de lui inculquer la notion d’intérêt général + un peu de semi-liberté.

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