La liberté de la presse…

La liberté de presse au risque de la communication. Retour sur la déclaration d’Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron, dans sa présentation de ses « vœux à la presse » le mercredi 3 janvier 2018 s’est prononcé en faveur d’une loi contre les « fake news »[1]. Cela a provoqué une certaine émotion, que ce soit sur les réseaux sociaux ou même dans la presse[2]. Il s’en est pris aussi à Internet et il convient de reprendre le verbatim de l’allocution : « Des plateformes, des fils tweeter, des sites entiers inventent des rumeurs et des fausses nouvelles qui prennent rang au côté des vraies. La réalité est qu’il y a là une stratégie, une stratégie financée visant à entretenir le doute, à laisser penser que ce que disent les politiques et les médias est toujours plus ou moins mensonger. » Cela pose plusieurs problèmes, et le premier d’entre eux n’est autre que le fait que toute nouvelle législation serait en réalité redondante avec celle qui existe déjà.

Le Président connaît-il la loi ?

En effet, la question des « délits de presse » est une question délicate. Un équilibre doit être trouvé avec la protection de la liberté d’expression. Or, la Constitution de la Vème République garantit la liberté d’expression[3]. Elle reprend la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, déclaration qui, dans son article 11 stipule : «La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi».

La France s’est dotée, en juillet 1881, sous la troisième république, d’une loi codifiant la liberté de la presse[4]. Cette loi, souvent amendée et mise à jour, est celle qui aujourd’hui encore définit les responsabilités des auteurs et des éditeurs de presse. Or, cette loi prévoit le cas de la diffusion de fausses nouvelles. Dans son article 27 elle précise :

« La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros.

Les mêmes faits seront punis de 135 000 euros d’amende, lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l’effort de guerre de la Nation. »

On ne saurait être plus clair et plus précis, et l’on ne voit pas ce qu’une loi supplémentaire pourrait ajouter de plus sans retrancher aux libertés publiques et individuelles. De fait, on se demande si Emmanuel Macron, Président de la République, connaît le Droit qu’il est censé protéger.

Qu’appelle-t-on une « fausse nouvelle » ?

Un autre problème vient de la définition de ce qu’est une fausse nouvelle. Bien entendu si j’écrivais que le Président de la République à trois bras et deux nez, tout le monde conviendrait qu’il s’agit d’une fausse nouvelle, de ce que l’on appelle aujourd’hui une « fake news ». Mais, quand des éditorialistes écrivaient, à la suite de la presse américaine en décembre 1989[5], que la répression par le régime de Ceaucescu avait provoqué des centaines de morts à Timisoara, montraient même des photos de ces « charniers », alors que l’on a appris par la suite que tout cela était faux, comment l’appeler ? Souvenons-nous : le 22 décembre 1989 Guillaume Durand, sur la chaîne La Cinq, parlait de plus de 4000 cadavres. Le 23 décembre c’était Serge July qui, dans son éditorial de Libération reprenait ce chiffre. Serge Halimi, sur le site Acrimed a recensé toutes ces fausses nouvelles[6]. Pierre Bourdieu avait, en son temps, analysé ce phénomène[7].

Plus proche de nous, quand ces mêmes éditorialistes nous promettent pour 2007 une économie rayonnante, alors même que l’on est au bord de l’une des pires crises financières internationales, comment qualifier cela ? Faut-il parler d’aveuglement ou parler de désinformation consciente, impliquant un trafic de fausses informations ?

Il faut donc revenir au point de départ : qu’est-ce qu’une fausse nouvelle ? Cela peut-être une information qui a été insuffisamment vérifiée, et en ce cas l’excuse de « bonne foi » peut être invoquée. Mais, cela peut être aussi une information dont le journaliste sait pertinemment qu’elle est fausse mais qu’il diffuse quand même car il estime que cette diffusion va servir les idées qu’il défend. Nous sommes là devant un acte délibéré. Mais, c’est justement cet acte que l’article 27 de la loi de 1881 punit. Et donc nous voilà ramené à notre point de départ. Quand une information fausse est sciemment et en toute connaissance de cause diffusée, nous sommes en présence d’un délit qui est déjà punit par la loi.

On le voit, le discours du Président de la République n’apporte rien, n’ajoute rien.

Fausse information et propagande

Alors, on se demande ce qu’a cherché Emmanuel Macron lors de sa présentation des vœux à la presse. En dénonçant les « fake news », mais sans s’interroger sur le processus qui aboutit à une production importante dans les médias institutionnels de « fausses nouvelles », il accrédite une forme de théorie du complot, un thème qui caractérise plutôt l’extrême-droite. En se proposant de faire voter une nouvelle loi, alors que la loi actuelle est entièrement suffisante pour protéger les individus ou l’ordre public tout en garantissant les libertés fondamentales, ne se livre-t-il pas à un exercice de pure gesticulation, de pure communication ?

Le sujet est trop grave pour qu’un Président de la République puisse l’instrumentaliser à son gré à des fins de pure communication. L’outrance du propos pourrait fort bien déboucher sur la forfaiture.

Jacques Sapir


Notes

[1] http://www.rfi.fr/france/20180104-voeux-presse-macron-annonce-loi-contre-fake-news-audiovisuel-public

[2] Le Monde s’en est ému, c’est dire… http://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/01/04/legiferer-sur-les-fausses-informations-en-ligne-les-problemes-que-cela-souleve_5237606_4408996.html

[3] https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution/Constitution-du-4-octobre-1958

[4] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006070722

[5] http://www.nytimes.com/1989/12/23/world/upheaval-east-mass-graves-found-rumania-relatives-missing-dig-them-up.html

[6] http://www.acrimed.org/Les-vautours-de-Timisoara

[7] Bourdieu P., Sur la télévision, Paris, Raisons d’agir, 1996


 

7 commentaires sur La liberté de la presse…

  1. Jacques Sapir résume parfaitement la situation en soulignant qu’un appareil législatif existe déjà pour réprimer les auteurs de fausses nouvelles diffamatoires et que M. Macron n’a rien dit du tout. Il a raison aussi de souligner à quel point le projet tel qu’il se dessine peut être dangereux pour les libertés publiques.
    Un seul problème reste posé, celui de l’anonymat des messages. Il ne devrait pas être autorisé de communiquer sous couvert d’anonymat total, ce qui ne se confond pas avec l’usage d’un pseudonyme, pratique résolument légitime des lors que ce pseudonyme est déposé auprès du responsable du réseau comme il est auprès de la direction des journaux.

    Ce sont les vrais connaisseurs des réseaux sites et blogs qui pourront nous dire comment procéder pour que toute personne violant les lois qui existent d’ores et déjà puissent être averties et sanctionnées s’il le faut.

    Quand se rendra-t-on bien compte, à droite surtout, que l’essentiel de la communication d’Emmanuel Macron vise à éluder les problèmes et non à les traiter ?

    Etienne Tarride

  2. Michel Chailloleau // 10 janvier 2018 à 12 h 19 min //

    Quand des chaines d’informations répètent en boucle que le chômage baisse, que l’économie repart, etc… est on obligé de les croire ou bien avons nous encore le droit de contester ce qui s’avèrent être des mensonges? Le Gaullisme est le droit de dire: NON.

  3. « Le sujet est trop grave pour qu’un Président de la République puisse l’instrumentaliser à son gré à des fins de pure communication. » Mais voyons Monsieur Sapir feindre de ne pas reconnaître au « chérubin du palis » l’art consommé de « faire marcher » les foules des sinistrés intellectuels… serait contre-productif pour la défense de la liberté de la Presse.
    Donner à voir, à lire ,à écouter, à découvrir, à réfléchir, à penser ,à comprendre ,à s’instruire, à ne pas se laisser manipuler le cerveau par des nouvelles qui à défaut de nous enthousiasmer nous font le plus souvent tourner la page, changer de chaine, de média, zapper sur un autre sujet et pour certains se « claquemurer » dans l’ignorance et l’indifférence à tout ce qui est propagé par des entreprise d’influence à défaut d’être des entreprises de transmission de connaissances.
    Gardons espoir, la Presse est aussi capable du meilleur pour la liberté des peuples et en particulier celui de France.

  4. Jean-Dominique Gladieu // 8 janvier 2018 à 11 h 26 min //

    Jacques Sapir a (une fois de plus) raison.
    La loi actuelle permet de lutter contre les propagations de fausses nouvelles. Quel est donc l’intérêt de voter une nouvelle loi ?
    Soit, il s’agit de pur bavardage pour occuper le terrain et le Parlement à des futilités sans que la nouvelle loi apporte quelque chose. Ce serait donc une diversion.
    Soit, le Président a des arrières pensées, notamment renforcer la police de la pensée.
    Dans les deux cas, A BAS MACRON !

  5. Les « fake news « ! Les médias racontent très souvent des âneries , nous le savons , uniquement pour attirer l’attention!! L’affaire FILLON est un excellent exemple de fake news inventée pour écarter un candidat formidable dans son vrai désir de réforme , 39 h etc… On a menti au peuple au non de la transgression perverse de Hollande , des idiots de socialistes ET du centre-droit …!! Le futur non-lieu de ce candidat sera édifiant!! De même lorsque cet abruti de JL Mélenchon déclame des âneries économiques et que 19% d’abrutis français votent pour lui, contre des réformes que les Européens ont déjà faites depuis 20 ans,que nous Français , n’avons PAS encore appliquées et que le fait de les mentionner, embellit les perpectives économiques en France !!! Cette loi sera utile car il faudra apporter la preuve des affirmations ….

  6. Michel Chailloleau // 6 janvier 2018 à 12 h 52 min //

    Il s’agit une fois de plus d’attenter à la liberté de pensée tout simplement. C’est une atteinte à la Démocratie. Il est grand temps comme je le rappelle souvent que les gaullistes se réveillent contre le gouvernement actuel.

  7. Excellent Sapir comme d’habitude !

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