Entre de Gaulle et les Etats-Unis, les dessous d’une guerre de 30 ans

Eric Branca

 

Historien et journaliste, Eric Branca a consacré plusieurs ouvrages à l’histoire du gaullisme et des services secrets français. A partir d’archives américaines déclassifiées et de témoignages inexploités, il livre un récit passionnant.

 

« Le départ de De Gaulle devrait permettre une relance de l’intégration politique européenne… » Ce n’est pas le vœu de quelques « européistes » ou « atlantistes » français qui s’exprime ainsi le 7 septembre 1962, bien avant que le Général ne fasse rire aux dépens de ses propres ministres centristes par sa célèbre sortie télévisée « On peut toujours sauter sur sa chaise comme un cabri en criant l’Europe, l’Europe, l’Europe ! Mais ça ne mène à rien ! »*.

C’est un rapport de la CIA.

Une douzaine d’autres notes témoignent, au lendemain des accords d’Évian qui ont mis fin à la guerre d’Algérie et à la veille du référendum par lequel 62% des Français vont se prononcer pour l’élection du président au suffrage universel direct, de la véritable obsession anti-de Gaulle des services américains. Comme si rien n’avait changé depuis que, dix-huit ans plus tôt, Franklin D. Roosevelt voulait tenir l’irascible général français à l’écart du projet de débarquement allié et imposer à la France une administration et une monnaie américaines.

Une douzaine d’autres notes témoignent de la véritable obsession anti-de Gaulle des services américains.

Les Kennedy avec le Général de Gaulle au Palais de l’Elysée, le 31 mai 1961.

Au printemps 1961, pourtant, de Gaulle a reçu à Paris John Fitzgerald Kennedy et Jackie. Un fastueux dîner aux chandelles a été donné en leur honneur dans la Galerie des Glaces à Versailles. Devant toute la cour, le Général a mené à table « la gracieuse Madame Kennedy ». Le jeune et le vieux chef d’État ont sympathisé. Au cours de longs entretiens à l’Élysée, de Gaulle, qui va s’avérer un allié solide lors de la crise de Cuba, a presque réussi à convaincre son homologue américain qu’entre l’Union soviétique et les Etats-Unis, un troisième pôle était nécessaire pour l’équilibre de la planète –oui, une troisième force nucléaire, que la France pourrait maîtriser plus rapidement si l’Amérique consentait à un transfert de technologies.

Mais en coulisses, le Secrétaire d’État Dean Rusk et la CIA manœuvrent contre un tel scénario. « Quant à l’énorme investissement financier déjà réalisé (par la France) en faveur de la force de frappe, insiste un rapport de la CIA qui envisage froidement la disparition du Général, il devrait être rapidement revu à la baisse, voire abandonné avant l’achèvement du programme… » Kennedy assassiné, la « guerre de trente ans » comme l’appelle Eric Branca, qui la raconte dans un livre passionnant, « L’ami américain« , va reprendre plus sournoisement et férocement que jamais entre la France de De Gaulle et l’Amérique de Lyndon Johnson.

Historien et journaliste, Branca a déjà consacré plusieurs ouvrages à succès à l’histoire du gaullisme et des services secrets français. En s’appuyant sur des archives américaines récemment déclassifiées mais aussi sur de nombreux témoignages inexploités jusqu’alors, il nous livre un récit passionnant. Où l’on voit le Département d’État et la CIA tout tenter –du financement du FLN algérien puis de celui de l’OAS et des généraux qui tentèrent d’assassiner de Gaulle, jusqu’à l’appui en sous-main de mouvements anarchistes de mai 1968- pour abattre la résistance française. Où l’on voit aussi, au fil de révélations stupéfiantes, une bonne partie de la classe politique française –d’Antoine Pinay à Dany Cohn-Bendit en passant par Guy Mollet, François Mitterrand et Jean-Jacques Servan-Schreiber, se laisser prendre aux arguments américains selon lesquels il n’est de sécurité possible pour la France qu’au sein d’une Europe comprenant la Grande Bretagne… unifiée sous la tutelle de l’Amérique.

Où l’on voit le Département d’État et la CIA tout tenter -du financement du FLN algérien puis de celui de l’OAS et des généraux qui tentèrent d’assassiner de Gaulle, jusqu’à l’appui en sous-main de mouvements anarchistes de mai 1968- pour abattre la résistance française.

Du même coup, tout un pan de l’histoire de la Vème République s’éclaire. On comprend mieux pourquoi, dans les années 1966-1967, de Gaulle, qui a voulu se représenter à la présidentielle à 75 ans en 1965 pour réaliser son grand dessein et doter la France de sa force de dissuasion, effectue une sorte de tour du monde afin d’ appeler les peuples « non alignés » à prendre leur indépendance: discours de Phnom Penh proclamant, en pleine guerre américaine au Vietnam, « le droit des peuples d’Indochine à disposer d’eux-mêmes », provoquant « Vive le Québec libre ! » lancé du balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal. À l’exception de quelques proches comme Michel Debré et André Malraux, d’ailleurs, la majorité des politiques et des observateurs raisonnables, sans aller jusqu’à épouser la colère des médias d’outre-Atlantique, verront là le signe d’une obstination puérile du Général « C’est un enfant, soupirera le Premier ministre Georges Pompidou, qui joue avec des allumettes… »

Il s’est trouvé pourtant un président américain pour le comprendre et même pour adhérer à sa vision du monde : Richard Nixon. Simple candidat de passage à Paris, celui-ci a été reçu par de Gaulle. A-t-il médité sa phrase « le meilleur allié des Etats-Unis, ce n’est pas celui qui s’aplatit devant eux, c’est celui qui sait leur dire non » ? A-t-il retenu aussi le conseil gaullien de renouer avec la Chine ? En tout cas, la présidence Nixon va marquer un tournant, que son principal conseiller, Henry Kissinger, souligne ainsi : « Lorsque de Gaulle rejeta la Grande-Bretagne du Marché commun en 1963, les attaques dont il fut l’objet à Washington prirent une forme carrément personnelle. Quand il se retira du commandement intégré de l’Otan, en 1966, ces attaques prirent un caractère vindicatif. Au cours de ces années 1960, notre politique européenne consista, en grande partie, à s’efforcer en vain d’isoler la France ». Désormais s’ouvre une nouvelle ère.

Élu président et reçu à Paris en 1969 en ami, Nixon salue en de Gaulle « un géant de l’Histoire ». Cela lui vaut, à Washington, une pluie de critiques. « Le général de Gaulle croit que l’Europe devrait avoir sa propre position indépendante, rétorque-t-il. Et, franchement, je le crois aussi. Je pense que le temps est passé où cela servait nos intérêts que les Etats-Unis soient le partenaire dominant dans une alliance ». En mars 1969, à l’issue des obsèques d’Eisenhower, Nixon confirme même à de Gaulle que, si la France souhaite conclure des accords de coopération nucléaire avec les Etats-Unis, il ne pose plus comme préalable qu’elle regagne les structures intégrées de l’Otan ! Mais trop tard. Le Général va quitter le pouvoir le mois suivant. Et personne ne regrettera l' »ami américain ».

EDITIONS PERRIN – Eric Branca, « L’ami américain », Editions Perrin 2017, 23 €

 



 

3 commentaires sur Entre de Gaulle et les Etats-Unis, les dessous d’une guerre de 30 ans

  1. Jean-Dominique Gladieu // 18 octobre 2017 à 12 h 35 min //

    « G. Pompidou a bien géré aussi ….. !! » selon Henri …
    Mouais !!! C’est quand même sous son mandat que la Grande-Bretagne a intégré la CEE. Ce à quoi le Général s’est toujours opposé car pour lui les Britanniques étaient trop liés aux USA.

  2. G. Pompidou a bien géré aussi ….. !!

  3. DELECOURT Jean-Louis // 12 octobre 2017 à 15 h 20 min //

    Magnifique historique de la confrontation entre les USA et la politique d’indépendance nationale conduite par Charles de Gaulle. Pendant et après, les gaullistes de gauche ont toujours été sur cette ligne politique intransigeante mais juste pour le droit des peuples.

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