La question d’agenda qui fait imploser la commission Cahuzac

24 juillet 2013 |  Par Lénaïg Bredoux et Stéphane Alliès (Médiapart.fr)

Les députés UMP ont suspendu leur participation à la commission d’enquête sur l’affaire Cahuzac, après le refus d’auditionner Jean-Marc Ayrault. En cause, la réunion du 16 janvier, où aurait été prise la décision de la procédure d’entraide fiscale, parallèle à l’enquête judiciaire.

Commission parlementaire au bord de la crise de nerfs. Ce mercredi, au lendemain de la deuxième audition de Jérôme Cahuzac, les membres socialistes de la commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements de l’État pendant l’affaire Cahuzac ont refusé d’auditionner le premier ministre Jean-Marc Ayrault, comme le demandait l’opposition. Au terme d’un scrutin serré, 10 voix contre 8, ce refus a entraîné l’ire des députés UMP, qui ont décidé de suspendre leur participation à la commission.

Au centre de ce désaccord, la volonté de lever les doutes au sujet de la désormais fameuse réunion du 16 janvier dernier et la décision de la procédure d’entraide avec la Suisse lancée en parallèle de l’enquête judiciaire. Au vu des auditions, si dysfonctionnement il y a eu au sommet de l’État, ce ne peut être que sur ces deux éléments. Et entendre le premier ministre permettrait sans doute de répondre à la question : entre Cahuzac et le reste du gouvernement, qui ment ?

Devant la commission d’enquête, l’ex-ministre du budget, avec sa morgue habituelle, a feint l’amnésie, puis nié la tenue de cette réunion pour décider d’une demande d’entraide administrative avec la Suisse, en parallèle de l’enquête judiciaire. « Dès lors que je n’ai aucun souvenir dans le bureau présidentiel, pour moi, cette réunion n’a pas eu lieu », a-t-il expliqué. C’est cette procédure qui avait conduit le JDD à titrer sur « Les Suisses blanchissent Jérôme Cahuzac » et qui a été critiquée par le procureur de la République François Molins.

La situation est ubuesque. Car ladite réunion a été racontée par le président de la République en personne à la journaliste du Point Charlotte Chaffanjon, dans son récent livre Jérôme Cahuzac les yeux dans les yeux (Plon, juillet 2013). « Le mercredi 16 janvier 2013, en marge du conseil des ministres, François Hollande et Jean-Marc Ayrault convoquent Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac dans le bureau présidentiel, peut-on lire. Les deux têtes de l’exécutif réclament au ministre de l’économie et des finances de lancer une demande d’entraide à la Suisse. (…) “Puisque tu n’arrives pas à avoir une réponse par la voie personnelle, on va passer par la voie conventionnelle !” expliquent François Hollande et Jean-Marc Ayrault à Jérôme Cahuzac qui n’a pas d’autre choix que d’accepter. »

Pierre Moscovici, le ministre de l’économie, a confirmé ces propos devant la commission d’enquête. Mais en rectifiant le lieu : selon lui, ce n’était pas dans le bureau de François Hollande, mais dans une pièce « attenante » à la salle du conseil des ministres, a-t-il dit en substance. Un détail, mais qui ajoute au trouble sur le rôle de l’Élysée dans l’affaire Cahuzac. Car la revendication par le chef de l’État de cette enquête, dans l’ouvrage de notre consœur, intervient alors que le reste de l’appareil d’État s’escrime depuis quelques semaines à mettre en scène sa « muraille de Chine », défendue à longueur d’auditions par les protagonistes, assurant l’absence de conflits d’intérêts entre le ministre du budget et l’administration fiscale qui enquête sur lui.

Une séparation tellement stricte, que tous défendent la thèse surprenante selon laquelle personne n’a jamais évoqué ou entendu quoi que ce soit sur l’affaire Cahuzac dans les couloirs du pouvoir. Paradoxalement, avec le recentrage des débats de la commission sur cette réunion du 16 janvier, c’est désormais Cahuzac qui défend avec le plus d’intransigeance cette thèse de la « muraille de Chine », en prétendant n’avoir aucun souvenir de cet entretien. Charles de Courson, le président de la commission, n’a pas été convaincu et l’a fait savoir dans la presse, la semaine passée. Ce qui lui a valu une réponse courroucée de Pierre Moscovici. Réponse à laquelle Courson a… répondu à son tour…

Au moment de la révélation de cette procédure, début février, l’opacité est totale, et le sujet semble plus tabou encore que les codes nucléaires. À l’époque, le doute pèse sur les épaules de Mediapart, et non du ministre du budget. Nos questions de l’époque, à propos de la bizarrerie d’une enquête parallèle à la procédure judiciaire lancée par Bercy, ne suscitaient alors, au mieux, que silences gênés ou « je ne sais pas » embarrassés. Aux ministres, conseillers du gouvernement, ou nombreux députés de gauche que nous interrogions à l’époque, nos propos entraînaient des moues de lassitude appuyées. Au lendemain de la publication du JDD, c’était même le n° 4 de l’État, le président de l’assemblée nationale Claude Bartolone, qui intimait à Mediapart « d’arrêter ».

Toutes les réécritures de l’histoire sont possibles

Jérôme Cahuzac à l'assemblée nationale, le 23 juillet 2013

Jérôme Cahuzac à l’assemblée nationale, le 23 juillet 2013© Reuters

Quant à nos demandes officielles, sous la forme de questions par voies écrites à l’Élysée, Matignon et Bercy, elles avaient essuyé une absence de réponse lourde de conséquences aujourd’hui. Car, faute de témoignages recueillis sur le sujet au moment des faits, par nous ou nos confrères, toute réécriture a posteriori des événements est désormais possible, sans pouvoir être contredite par un carnet de notes.

Ce n’est qu’avec la démission de Cahuzac que les langues ont commencé à se délier… Mais les versions n’ont cessé de changer. Fin mars, lors d’un briefing organisé pour la presse à Matignon, le directeur de cabinet de Jean-Marc Ayrault, Christophe Chantepy, avait expliqué : « Moscovici en a parlé au premier ministre, qui lui a dit : “Si ce moyen existe, allons-y !” »

Fin mai, devant la commission d’enquête parlementaire, Bruno Bézard, le patron de la direction générale des finances publiques (DGFIP), a quant à lui affirmé être à l’origine de toutes les procédures administratives et livré une autre date. « Le 14 janvier (soit deux jours avant la réunion à l’Élysée où aurait été prise la décision, ndlr), nous étions en train de préparer notre demande d’assistance administrative », a-t-il dit, sous serment, le 28 mai dernier.

Selon Bruno Bézard, il en informe alors Pierre Moscovici. Et c’est encore lui qui incite le ministre de l’économie et des finances à appeler son homologue suisse Éveline Widmer-Schlumpf pour accélérer la procédure. « Lorsqu’il me demande si l’on peut faire une demande d’assistance administrative, je lui réponds que c’est techniquement possible mais qu’il sera difficile d’obtenir une réponse, compte tenu des statistiques, que cela n’aura d’effet que s’il appelle sa collègue, Mme Widmer-Schlumpf et que, même dans ce cas, il n’est pas certain que nous obtenions une réponse rapide et claire », a expliqué Bézard.

Moscovici avait, mi-avril, raconté à Mediapart qu’il avait bien contacté la ministre des finances suisse à deux reprises. Dans cet entretien, le ministre des finances avait aussi affirmé qu’il était à l’origine de cette procédure. « Quand je lance cette convention d’entraide avec la Suisse, c’est parce que cela fait trop longtemps que la question est posée et est toujours sur la table », explique-t-il alors à Laurent Mauduit et Martine Orange. Il avait à l’époque omis de mentionner la tenue d’une réunion à l’Élysée, en présence de Jérôme Cahuzac – qui ruine toute l’argumentation de Bercy sur la « muraille de Chine ». Ce mardi, Jérôme Cahuzac a, lui, indiqué que la décision de l’entraide fiscale avait été « prise par le président ou le premier ministre, ou les deux en même temps », puis qu’ils s’étaient adressés à Pierre Moscovici.

Le couple exécutif, le ministre des finances et le patron de l’administration fiscale revendiquent donc tous la paternité de la procédure. Cahuzac, Moscovici et Hollande tiennent des propos contradictoires. Qui dit vrai ? Impossible de répondre à ce stade à cette question. Une seule certitude : alors que Pierre Moscovici en a toujours assumé la responsabilité (y compris au nom de son administration), François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont sur le sujet changé d’attitude, après la démission et les aveux du ministre délégué au budget.

Pourquoi ? Pour éviter le reproche d’être restés inactifs pendant quatre mois alors que leur ministre du budget était accusé de fraude fiscale ? Ou bien se sont-ils tus longtemps parce qu’ils avaient été alertés sur le caractère exceptionnel d’une procédure administrative lancée après l’ouverture d’une enquête judiciaire ? Se sont-ils dit finalement que mieux valait montrer leur activisme que d’être accusés d’avoir voulu étouffer l’affaire ? Mystère. Ni le président de la République ni le premier ministre ne s’en sont expliqués.

Par ailleurs, Jérôme Cahuzac aurait pris un risque certain en confirmant mardi la tenue d’une réunion à l’Élysée en janvier alors qu’il avait nié, lors de sa première audition, avoir été informé de la procédure. Les propos devant la commission d’enquête sont en effet tenus sous serment et le président Charles de Courson a plusieurs fois prévenu qu’il n’hésiterait pas à saisir la justice en cas de parjure. Le silence de l’ex-ministre du budget peut aussi s’interpréter à cette aune. Mais il vient du coup souligner combien l’Élysée, Matignon et Bercy auraient dû s’expliquer dès le départ en toute transparence.

2 commentaires sur La question d’agenda qui fait imploser la commission Cahuzac

  1. Que voulez-vous qu’il sorte de cette commission où chacun des membres est juge et partie. Laver son linge sale en famille n’a jamais été un gage d’élévation dans la pratique de recherche de la vérité.
    La France s’honorerait dans beaucoup d’affaires d’éviter l’emploi de ces pratiques archaïques où l’on se fait « juger » par ses pairs .Entre petits arrangements, oublis de complaisance, et vraies fausses déclarations « on patine dans la semoule » de la compromission sans possibilité de remettre en cause le système établi ,même lorsque manifestement, aux yeux de l’opinion publique, tout a déraillé !

  2. gilbert perrin (@gilco56) // 28 juillet 2013 à 14 h 50 min //

    Cette affaire, pourrie de mensonges doit être, dans les conditions acuelles de refus d’audition de la part du premier ministre, être transmise le plus vote possible à la JUSTICE !
    QUEL espoir peut on avoir qu’elle le soit et, surtout qu’elle soit rapidement traitée. Les français en ont marre de constater que chaque fois ils sont trainés dans la farine.
    Nous subissons hélas ce sort depuis 40 ans ….

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