Un héros tellement français

  • Jean-François Kahn (Marianne.net)
L’affaire Gérard Depardieu mérite de figurer dans nos annales historiques en tant que date clé. Pour la première fois, en effet, depuis l’instauration de la République, la droite a acclamé le rejet de sa propre patrie par un artiste anarchisant à la culture soixante-huitarde.

DDP IMAGES FILMFOTOS/SIPA

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L’affaire Gérard Depardieu mérite de figurer dans nos annales historiques en tant que date clé. Pour la première fois, en effet, depuis l’instauration de la République, la droite a acclamé le rejet de sa propre patrie par un artiste anarchisant à la culture soixante-huitarde. Au-delà de la droite, une large fraction du peuple français, personnalités médiatiques comprises, l’a spontanément amnistié.

Car, s’il y a une leçon à tirer de cet épisode croquignolet, c’est bien celle-là : une attitude qui, en d’autres temps, eût été massivement désapprouvée – non seulement refuser de payer ses impôts mais, dans la foulée, renoncer à sa nationalité, récuser sa patrie, ce que n’avaient envisagé ni Victor Hugo à Guernesey, ni le général de Gaulle à Londres – a été, cette fois, majoritairement sinon approuvée, au moins justifiée ou excusée. Signe d’un radical et inquiétant changement d’état d’esprit.

Imaginons un instant la même séquence se déroulant aux Etats-Unis… où, de toute façon, même si on s’installe à l’étranger, on doit payer des impôts. Voilà donc un célèbre et emblématique acteur d’Hollywood qui a incarné au cinéma quelques héros exemplaires de la saga américaine, Lincoln ou Washington, par exemple. En désaccord avec la politique économique de son gouvernement, il récuse la nation qui l’a fait une star, répudie son drapeau et prend la nationalité russe. Or, on apprend que, dans un avion de ligne, impatient qu’on lui ouvre la porte des toilettes, il pisse dans les travées quasiment sur les pieds des voyageurs. Puis que, conduisant son scooter bien qu’étant bourré, il accroche une voiture et envoie son poing dans la figure du conducteur.

On aurait peut-être admis, fût-ce de mauvaise grâce, qu’il aille faire des affaires – de mauvaises affaires au demeurant – avec Fidel Castro ; ou qu’il se transforme en panégyriste très intéressé du peu démocrate président ouzbek, Islom Karimov… Mais de là à aller en Tchétchénie faire l’éloge public du gauleiter local de Vladimir Poutine, nul doute que les médias américains, toutes tendances confondues, se seraient déchaînés contre le pécheur.

En France, et c’est nouveau – jusqu’à la provocation de trop, l’hymne à Poutine -, l’accumulation de ses frasques a plutôt joué en faveur de Depardieu. Il n’était pas seulement Cyrano et Obélix, il était Mandrin et Jacquou le Croquant. Le délinquant comme on l’aime, le hors-la-loi tel qu’on l’affectionne, le voyou à qui on pardonne tout.

La gauche est d’ailleurs gênée aux entournures, car bien que ce soit contre elle, contre sa politique, que Depardieu brandit son apatriotisme, sinon son antipatriotisme, il correspond tout à fait à un modèle de personnage dont elle fit volontiers des héros. Mais la droite ?

On l’avait vue, du moins sa fraction néolibérale, encenser le système économique de la Chine communiste (c’est-à-dire le capitalisme sauvage sous direction communiste). Maintenant, face à la gauche, elle considère la Russie comme l’ultime asile. Comme un havre. Hier, mieux valait un cosaque qu’un républicain. Aujourd’hui, mieux vaut Poutine que François Hollande.

Faut-il saluer cette radicale mutation qui, en rupture avec d’«archaïques» valeurs, fait basculer notre droite dans le camp d’une sulfureuse et contestable «modernité», jusqu’à lui faire admettre, sous l’influence d’on ne sait quel prurit ultra-soixante-huitard, que le patriotisme est un concept ringard, que le drapeau tricolore est fait pour se moucher dedans, que la démocratie bourgeoise est une escroquerie, que l’argent a toujours été la seule patrie qui vaille, que les intérêts de classe passent avant on ne sait quel pseudo-devoir national (les vieux marxistes ne disaient pas autre chose), que l’incivilité constitue une manière de résistance, la délinquance, une forme acceptable de contestation, et l’illégalisme, une posture légitimement protestataire ?

Tout de même, y a-t-on songé : Obélix rendant son passeport, c’est comme si une actrice s’étant illustrée dans le rôle de Jeanne d’Arc déclarait sa flamme à l’Angleterre et décidait d’y fonder… un foyer.

Notre star va-t-elle s’installer finalement à Moscou ou à Grozny ? On lui conseille plutôt Coblence… Il pourrait y attendre en paix l’alternance dans l’espoir d’être nommé ministre de l’Identité nationale.

2 commentaires sur Un héros tellement français

  1. Mme Blache , je partage votre analyse : en rejetant le referendum en 1969 et en trahissant J-J CHABAN-DELMAS
    la draite libérale a vendu la FRANCE au monde de l argent facile avec le final SARKO , nous vendant à l OTAN américain et aux vassaux européens des USA .
    Nous voyons aujourd’hui le résultat : nous n avons plus les moyens de nos ambitions internationales , de plus quand nos pseudos alliés nous font des croche-pieds politiques

  2. Geneviève BLACHE // 18 janvier 2013 à 16 h 08 min //

    Quoi d’étonnant ?
    La droite n’a-t-elle pas, alliée objectif des sociaux-démocrates, en 1969 renvoyé Charles de Gaulle à Colombey, mettant au pouvoir la droite de » l’argent » par la place laissée à Pompidou, ami de Rotschild, permettant à « la loi de 1973 » l’enrichissement des banques et la ruine de l’Etat-nation !
    Et ce n’est pas son seul forfait : du rejet de la « Nouvelle société de Chaban-Delmas », à celui de la Participation, elle nous a amené Mitterrand et l’Europe intégrée, qui établit la soumission atlantico-germanique, le retour dans l’OTAN, etc.
    Et la liste de ses forfaits est encore longue ! La trahison, depuis la Collaboration, et avant, continue au nom de son seul intérêt !
    Je ne suis pas « de gauche » d’ailleurs depuis l’assassinat de Jaurès, les socialistes ne sont plus la gauche !

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