Lettres de Charles de Gaulle à Raoul Salan
Général français (Roquecourbe 1899-Paris 1984).
Directeur des troupes coloniales en 1949, muté en Indochine, il y succède à de Lattre de Tassigny comme commandant en chef des forces aériennes, terrestres et navales (1952-1953). Nommé délégué général du gouvernement en Algérie par de Gaulle après les événements de mai 1958, il se retire en juin 1960. En désaccord avec la politique algérienne du gouvernement, il part pour l’Espagne. Il s’associe au putsch militaire du 22 avril 1961 avec les généraux Challe, Jouhaud, Zeller, passe dans la clandestinité et crée le mouvement insurrectionnel dit « Organisation de l’armée secrète » (O.A.S.). Arrêté à Alger, le 22 avril 1962, il est condamné à la détention perpétuelle. Gracié et amnistié en 1968, il est réhabilité en novembre 1982. Il a publié des Mémoires (4 volumes, 1970-1974).
Au général d’armée Raoul Salan, à Alger – 24 octobre 1958
Mon cher Salan,
Tout va vite en ce moment, au moins en apparence, mais ce n’est pas dans le mauvais sens. L’ensemble de la nation française fait maintenant bloc sur quelques idées simples :
· On ne doit pas lâcher l’Algérie.
· Plus tôt cessera la rébellion, mieux cela vaudra.
· Il faut mettre en valeur ce pays misérable.
· Quant aux affaires politiques (statut, ou non, etc.) on verra cela plus tard. Aujourd’hui ce n’est pas la question.
« En tout cas, la politique, la tactique, à suivre, la responsabilité à porter, c’est le domaine du général de Gaulle. Qu’il fasse ce qu’il croit le meilleur ! »
Cela étant, on pourrait voir, un jour ou l’autre, l’organisation Ferhat Abbas demander à envoyer des « délégués » dans la métropole. En pareil cas, ces « délégués » ne seront pas amenés à Paris. Ils ne verront – dans quelque coin de province – que les représentants du commandement militaire. Ils ne seront admis à parler que du « cessez-le-feu » et ce « cessez-le-feu » comportera nécessairement la remise des armes des rebelles à l’autorité militaire.
Je vous dis cela, à vous seul, pour que vous sachiez à quoi vous en tenir. Naturellement, ne le répétez pas !
J’envoie en Algérie, la semaine prochaine, M. Delouvrier, inspecteur des Finances, très compétent, que je charge personnellement d’aller voir ce qui concerne les perspectives de mise en valeur de l’Algérie, dans le sens du discours de Constantine. Veuillez le bien recevoir et lui donner toutes facilités.
Pour la question Vanuxem, M. Guillaumat a très fortement insisté et j’ai finalement adopté sa manière de voir, tout en regrettant de ne pouvoir vous donner, à vous-même, satisfaction. De toute façon, Vanuxem étant, sur votre propre intention, destiné à quitter son actuel commandement, je ne vois guère d’inconvénient à ce que la chose se fasse dès à présent.
En terminant cette lettre, je tiens à vous dire, mon cher Salan, que les opérations actuellement menées par Gilles, Faure et Janot me paraissent essentielles. Il y a lieu de les poursuivre et, peut-être, d’en entamer d’autres aussi activement que possible. Tout ce qui marquera, sur le terrain, notre résolution, notre activité et notre supériorité, sera, pour l’ensemble, de la plus haute importance.
Soyez, mon cher Salan, bien assuré de mes sentiments de confiance profonde et de sincère amitié.
Au général d’armée Raoul Salan, à Alger – 25 novembre 1958
Mon cher Salan,
J’ai été vivement touché par l’attention que vous avez eue à l’occasion de mes soixante-huit ans. A cet âge, un anniversaire est aussi un avertissement.
Votre lettre me donne toutes raisons de vous redire, sur le plan de l’amitié, que j’apprécie à sa très haute valeur l’œuvre de commandement que vous avez accomplie en Algérie. À tous égards et, en particulier, au point de vue militaire – de beaucoup le principal – vous avez, comme on dit, très bien « réussi ». Songeant à ce que vous avez dû surmonter en fait de difficultés du côté des événements et du côté des hommes, évoquant notamment la grande crise nationale et algérienne de cette année, je vous rends de tout cœur ce témoignage que vous avez parfaitement bien servi et que vous m’avez aidé moi-même le mieux qu’il était possible. Je ne vous tiens pas seulement pour un féal de très grande qualité, mais pour mon compagnon et mon ami.
Comme je vous l’ai dit déjà, la fin de cette année marquera le moment où je vous appellerai à un autre poste, considérant que dans la situation militaire et politique où vous avez amené l’Algérie et sans me leurrer sur ce qui doit être poursuivi à cet égard, l’essentiel va passer maintenant à la « mise en valeur », c’est-à-dire avant tout à l’effort économique et administratif. Dans cette perspective, je juge préférable de confier cette tâche à une personnalité civile spécialisée, le commandement militaire reprenant son caractère antérieur et nul autre ne pouvant après vous assumer, comme vous l’avez fait, toutes les tâches simultanément.
Mon projet est de vous instituer auprès du chef du gouvernement et sans intermédiaire, inspecteur général de la Défense nationale. Faites-moi savoir promptement ce que vous pensez des attributions explicites qui pourraient être confiées à ce bras droit du président du Conseil en matière de « Défense nationale » dont la nouvelle Constitution rend le chef du gouvernement directement responsable.
Comme vous le savez, je compte venir en Algérie le 3 décembre. À bientôt donc, mon cher Salan. Croyez-moi votre bien cordialement dévoué.
Au général d’armée Raoul Salan – 12 décembre 1958
Mon cher général,
Par décret adopté aujourd’hui en Conseil des ministres, le gouvernement a décidé de vous attribuer les fonctions d’inspecteur général de la Défense.
De ce fait, se terminent la mission de délégué général et commandant en chef des Forces en Algérie qui vous avait été confiée le 9 juin dernier’ et celle de commandant de la 10e Région militaire que vous assumiez depuis le 12 novembre 1956.
Au moment où vous êtes appelé à quitter Alger pour servir à Paris dans un poste essentiel, je tiens à vous adresser mon témoignage et celui du gouvernement pour la façon dont vous vous êtes acquitté de la tâche capitale et difficile qui vous avait été confiée.
Vous avez eu à le faire en une période où l’insurrection et les menaces pesant sur les frontières exigeaient de votre part une capacité de commandement réellement exceptionnelle. Il s’est trouvé aussi que certains mouvements de l’opinion algérienne ainsi que le courant national qui a conduit les pouvoirs publics à renouveler les institutions ont mis à l’épreuve votre esprit de discipline et votre autorité. Au milieu de ces événements vous vous êtes, général Salan, comporté avec honneur.
Veuillez croire, mon cher général, à mes sentiments bien cordiaux.
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