Extrait des mémoires de Michel Debré*
Ne pas nourrir pour la France une grande ambition industrielle, c’est accepter son déclin. L’industrie est la clé de l’emploi et du pouvoir d’achat. Elle exige des qualifications qui constituent une promotion humaine et sociale. Elle est la force des nations.
Suffit-il pour réussir de laisser le mouvement naturel des audacieux en bornant la tâche de l’Etat à assurer la confiance politique, la paix sociale, les équipements de base ? A cette interrogation, une réponse affirmative est à la fois nécessaire et insuffisante. Certes, il faut laisser faire la bonne nature des Français. Le premier devoir d’un gouvernement est de créer ou de maintenir ce qu’il convient d’appeler les « lois du marché », c’est-à-dire les conditions politiques, techniques et financières qui permettent et encouragent l’esprit d’initiative. Mais cet environnement de liberté doit être accompagné. Un Etat soucieux de son économie doit sans cesse veiller à la qualité de la formation professionnelle qui, comme l’enseignement général, va du primaire au supérieur. Un Etat démocratique se doit d’établir des règles qui déterminent avec équité les rapports sociaux. Enfin, la République est aujourd’hui responsable du rang de la France : aucun gouvernement ne peut ni ne doit chercher à se dégager de cet impératif national qui lui impose et qui notamment m’impose, en 1959, de fixer les grands objectifs de notre ambition et de mettre en place les moyens qui permettent de les atteindre.
Sur la base de la confiance renaissante et d’une volonté tenace de l’Etat de lutter contre les tendances inflationnistes, je veille donc aux politiques qui me paraissent indispensables. Certaines sont classiques. Il en est ainsi de l’équipement de base qu’il me faut orienter vers un profond renouvellement. C’est l’objet des trois lois de programme promulguées les 31 juillet et le1er août 1959 sur l’équipement général et énergétique, sur l’équipement scolaire et universitaire, sur l’équipement sanitaire et social. Jugeant insuffisant mon quatrième projet sur l’équipement rural, je le reporte à l’année suivante qui verra également de nouvelles lois de programme d’une nature analogue. D’autres politiques, quoique bien connues, doivent être révisées, développées et rajeunies. Il en est ainsi de la formation professionnelle dont je fais un chapitre capital de la promotion sociale. Enfin, deux politiques demandent une volonté jusqu’alors inconnue ou insuffisante : aménagement du territoire, aide à la recherche scientifique et à l’innovation technique. Ces orientations sont l’expression d’une volonté particulière à chacune d’elles, mais entraînent un effet identique : l’augmentation de notre capacité industrielle.
Je n’hésite pas à aller plus loin : une forte industrie constitue une ambition politique pour la France ; Jean-Marcel Jeanneney partage cette conception. Il entend que son ministère soit d’abord responsable de la politique industrielle et que, dans les départements, les Chambres de commerce placent le mot « industrie » dans leur titre. Il voudrait constituer un « bureau de développement industriel », qui prendrait des participations dans les secteurs ou dans les entreprises susceptibles d’apporter, au-delà de la prospérité et de l’emploi, une capacité nationale nouvelle. Voilà qui apparaît au ministère des Finances et aux dirigeants du patronat comme une menace d’étatisation. Jean-Marcel Jeanneney doit renoncer à son projet. Nous conservons cependant tous deux l’idée de l’intérêt et de la volonté que doit manifester le gouvernement, d’une manière ou d’une autre, pour certaines activités nécessaires ou simplement utiles à la force ou au rayonnement de la nation. Il convient d’affirmer la responsabilité de l’État, qui s’exerce par la définition des objectifs, l’accès facilité aux moyens, la cohérence des priorités, et de la distinguer de l’étatisation qui, le plus souvent, n’est pas le bon procédé pour réussir. Il nous faut allier le respect de l’esprit d’entreprise et la charge du bien de la nation qui exige de conduire l’économie.
Cette courte aventure du bureau industriel me renforce dans l’idée que je dois disposer d’une vue globale qui me permette d’orienter aussi bien le gouvernement que l’ensemble des animateurs de la vie économique. Au-delà des budgets, au-delà même des lois de programme, je veux un guide d’action. Je retrouve ainsi l’idée du plan « à la française », c’est-à-dire d’orientations qui, tout en les respectant, se superposent à la liberté et aux règles du marché.
Peut-on mieux exprimer son patriotisme ?
Qu’il est bon de relire ces phrases et ainsi redéfinir les « ardentes obligations » que l’Etat se doit de remplir. L’indépendance, la volonté,le respect des engagements ,la grandeur et le rôle de la France dans le monde, autant de notions qui sont sacrifiées sur l’autel de la mondialisation, de la pensée unique et l’Europe qui ne saute guère comme un cabri mais plutôt comme un animal à l’agonie secoué de soubressauts.
Mais c’est aujourd’hui veille de Noël et faisons le voeu que tout recommencera et ainsi le proclamait le Général dans son dernier discours que comme » tous ceux qui me soutiennent et qui de toute façon détienne l’avenir du pays » , nous soyons fiers, offensifs et opiniatres pour le renouveau de notre « cher et vieux pays »
Bonnes fêtes à tous