27 avril 1969, le général de Gaulle démissionne.

Un alibi contre le remord après le référendum de 1969

Pour terminer cette dernière page de Charles de Gaulle, président de la République, il convient de situer le niveau d’engagement du Général pour le référendum d’avril 1969 et de mettre un terme à l’idée que ce référendum n’était rien d’autre qu’un scénario de sortie à la hauteur de l’homme du 18 juin.

Pour certaines élites politiques, y compris dans son entourage, c’est le scénario facile, celui qui pourrait les dédouaner de leur double jeu et d’avoir parié sur la défaite du Général pour féconder au mieux leur « carrière ».Bien plus tard, Maurice Couve de Murville, dernier Premier ministre du Général, confiait que « la version du référendum-suicide est venue très largement après coup ». Et Jean-Marcel Jeanneney de mettre les points sur les i : « Il est probable qu’en propageant cette version après coup, des gens qui passaient pour des partisans du général de Gaulle, mais qui en fait l’avaient trahi avant le référendum ont voulu se donner à leurs propres yeux un alibi contre le remords[1]. »

Il conteste vigoureusement cette thèse du « suicide politique » : « Il est bien vrai que De Gaulle a consciemment pris le risque d’être battu, mais il n’est pas vrai qu’il a voulu être battu ».

Dans son ouvrage, Arnaud Teyssier ramène tout le monde à la raison : « De Gaulle espérait donner un nouvel élan à la seconde partie du septennat. Avril 1969 n’est pas un suicide politique, c’est un effort ultime pour tenter d’achever l’édifice de la Ve République, de la fortifier durablement contre le retour des partis et des fiefs ».

Aussi au Parti communiste !

Pour certains hommes de gauche, le choix de voter non au référendum n’était pas une évidence. L’histoire, la grande histoire, refaisait surface. Dans son livre Le Jour où de Gaulle est parti, Guy Konopnicki[2] nous divulgue certains événements indispensables à connaître tant ils peuvent expliquer « certaines connexions » entre ce que voulait Charles de Gaulle et les intérêts très partisans du Parti communiste français.

Pour Guy Konopnicki, le 27 avril 1969 représente « la fin du gaullisme », mais « aussi la fin d’une conception de la légitimité politique ». Au-delà d’une reconnaissance un peu tardive de l’ultra sensibilité démocratique du Général qui a toujours fait valider par le peuple ses principales orientations politiques, l’auteur nous précise l’équivoque position des communistes au sein de leurs structures de parti.

Après l’évocation de la maladie de Waldeck Rochet, l’auteur nous livre la réflexion que lui inspire le départ de l’homme du 18 juin. « Tandis que de Gaulle marchait tristement sur une plage d’Irlande, Waldeck Rochet sombrait à jamais dans la déraison. Ces hommes étaient portés par leurs idéaux, leur temps s’achevait, bientôt la politique ne serait plus qu’une affaire d’ambition personnelle, sous divers masques idéologiques. »

Et Guy Konopnicki qui revient sur son propre parcours au sein du parti communiste nous explique : Étant né en septembre [1948], je n’avais pas 21 ans révolus le 27 avril et par conséquent, je n’avais pas le droit de vote. J’ai bien sûr participé à la campagne du non, mais, dans les derniers jours, je me sentais fort mal à l’aise. L’enjeu officiel ne justifiait pas la mobilisation. La régionalisation n’avait rien de monstrueux et la transformation du Sénat n’était pas un crime contre la démocratie, mais ce non à De Gaulle semblait être le prolongement naturel du slogan surgi de la foule du 13 mai 1968, « 10 ans ça suffit ».

Guy Konopnicki avance alors une vérité qui justifie bien des rancœurs dans l’après-De Gaulle : « Nous sentions monter un autre antigaullisme, celui de la vieille droite ripolinée. Les revanchards de l’Algérie française et les nostalgiques de Vichy saisissaient l’occasion d’en finir, ils étaient rejoints par la droite moderne, libérale et atlantiste[3]. Puis Guy Konopnicki nous relate cette réunion des cadres communistes qui se tient au 120 rue Lafayette, siège de la fédération de Paris. « Paul Laurent[4], membre du bureau politique, nous a demandé de retourner un maximum de votes. Après avoir appelé à voter non, nous devions tenter d’éviter le départ du Général, en faisant voter oui. » Mais il était trop tard, reconnaît l’auteur.

Dans son ouvrage, Guy Konopnicki rend également un hommage appuyé au fidèle ami de Charles de Gaulle :

« Si je reviens aujourd’hui sur cet événement majeur de l’histoire, c’est qu’en 1969, nul ne pouvait en mesurer la portée. Pas même André Malraux, qui laissa le seul livre digne de cette épopée, Les chênes qu’on abat. »

De son côté, Edmond Pognon[5] formule son regret de voir de Gaulle échouer si près du but : « Si de Gaulle n’a jamais eu qu’aversion et sarcasmes pour les euro-atlantistes, s’il a traité les communistes de séparatistes et de totalitaires, il a poussé à la construction d’une Europe viable et indépendante et il a voulu faire avancer la justice sociale. Si, le 30 mai 1968, il a relevé en cinq minutes le barrage de Fréjus, ce fut pour y rouvrir tout aussitôt des vannes par où les eaux pourraient, sans ravager la France, l’irriguer et la rafraîchir : loi d’orientation, régionalisation, participation. À tous ceux qui le niaient, il a retiré leurs raisons en s’appropriant, en offrant à la France tout ce que leurs aspirations avaient de raisonnable, ne leur laissant que la démesure. »

La « participation » avant ses 80 ans

Cette soi-disant sortie-suicide du Général n’a d’ailleurs aucun sens. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler qu’avant ce référendum, le chef de l’État voulait aller très vite sur le dossier concernant la « participation », thème qui, contrairement à la régionalisation et la réforme du sénat, ne figurait pas dans les textes soumis à l’approbation des Français pour des raisons purement constitutionnelles, ce sujet ne pouvant faire l’objet que d’une loi.

C’est ainsi que le gouvernement de Couve de Murville avait pour mission de préparer les textes suffisamment en amont du référendum pour que dès le lendemain soient prévus la discussion et le vote d’une loi sur ce sujet.

Le remplaçant de Pompidou à Matignon l’admet en 1976 : « Autant que je me rappelle, le général de Gaulle avait l’intention (il m’en avait parlé avant le référendum) de mettre en discussion au parlement – dont la session devait reprendre normalement après le scrutin – un projet de réforme des sociétés et du régime de gestion des entreprises. » Quant à Maurice Schumann, alors ministre du Travail, il confirme : « Le Général m’a demandé de la façon la plus claire de préparer un projet de loi sur la participation dans l’entreprise. Il estimait que le succès électoral de 68 n’avait un sens que s’il ouvrait en 69 l’ère des vraies réformes. » Anne et Pierre Rouanet en précisent, dans leur ouvrage, les dispositions. Tout d’abord le Général veut un texte complet dont l’application devait être immédiate sans besoin de décrets interprétatifs d’application.

Les articles de ce projet sont déjà rédigés au moment du référendum. De Gaulle veut aller vite et loin.

L’article 1 détermine le champ d’application : toutes les entreprises, privées ou publiques de plus de 100 salariés… et institue des « délégués à la participation » élus (article 2) par les salariés de l’entreprise au scrutin secret et uninominal à un tour, tout salarié pouvant être candidat.

Ainsi, ce texte sépare bien le rôle revendicatif des organisations syndicales de celui de représentant des salariés pour « gérer la participation ». C’est aussi un pas vers la suppression du monopole de candidatures accordé aux seuls syndicats dits représentatifs.

Les articles 5 et 6 déterminent les principes de la négociation du « contrat de participation » et le processus de validation par le personnel.

Les articles suivants traitent de l’information due aux salariés concernant la vie de l’entreprise (production, volume de fabrication, ventes, comptes d’exploitation, les bilans financiers…). Le Comité de participation pourra émettre des avis qui seront communiqués à l’ensemble du personnel…

En fait, ce comité aura tous les moyens pour participer à la vie de l’entreprise, dans tous les domaines, avec le souci d’intéresser l’ensemble des salariés à l’avenir de l’outil de travail. Toutes les observations et suggestions de sa part « doivent faire l’objet d’une réponse motivée du chef d’entreprise sur la suite pouvant leur être réservée », prévoit l’article 12.

La formation économique des représentants du personnel sera organisée par l’entreprise[6] (technique de gestion notamment) et le personnel initié aux problèmes économiques.

La négociation et la validation des accords d’intéressement (application des ordonnances 59 et 67), ainsi que leur application deviennent des prérogatives du Comité de participation (article 14).

Ce projet révolutionnaire avait de quoi effaroucher syndicats et patrons. Mais avant le référendum du 27 avril, les salariés- électeurs connaissent très peu ce projet. « Les ministres n’ont pas relayé le Général. Ils sont allés au référendum sans mener campagne. Ils ont eu peur de perdre plus du côté conservateur qu’ils n’auraient gagné du côté progressiste. À ce calcul-là, ils ont perdu sur les deux tableaux », concluent Anne et Pierre Rouanet.

La rupture avec Georges Pompidou se confirme

Le mercredi 23 avril 1969, alors que le dernier sondage de la Sofres donne 55 % de non, André Malraux lance un avertissement à Georges Pompidou au Palais des sports : « Il est grand temps de comprendre qu’il n’y a pas d’après gaullisme contre le général de Gaulle. On peut fonder un après-gaullisme sur la victoire du gaullisme, mais on ne pourrait en fonder aucun sur la défaite du gaullisme[7]. »

Après le départ de Charles de Gaulle, une partie non négligeable des gaullistes ouvre un front de contestation contre la candidature de Georges Pompidou. En mai 1969, dès connue la date du premier tour de l’élection présidentielle (1er juin), un peu partout en France, des gaullistes affirmés, notamment ceux qui portent l’étiquette gaullistes de gauche[8] prennent position contre Pompidou : « Voter Pompidou, ça n’est pas un moindre mal, c’est trahir l’idéal gaulliste », peut-on lire dans un tract diffusé largement dans le Val-de-Marne.

Alain Kerhervé, Gérard Quéré



[1] Anne Rouanet et Pierre Rouanet, Les trois derniers chagrins du général de Gaulle, Grasset, Paris, 1980.
[2] Guy Konopnicki, Le Jour où de Gaulle est parti, Nicolas Eybalin, Paris, 2012. 3. Il quittera le PCF en 1978.
[3] L’auteur fait certainement référence aux positions prises par les centristes, notamment Valéry Giscard d’Estaing.
[4] Paul Laurent (1925-1990), il adhère au Parti communiste en 1945. Député (1967-1968, puis 1973-1981), il devient par la suite le no 2 du parti alors conduit par Georges Marchais.
[5] Edmond Pognon (1911-2007), auteur de De Gaulle et l’Histoire de France, Albin Michel, Paris, 1970.
[6] Ou par le Conseil national de la participation créé par cette loi. (Article 18).
[7] Max Gallo, De Gaulle, 4, La Statue du commandeur.
[8] Les principaux animateurs sont : René Capitant, Louis Vallon, Jean Charbonnel, Jacques Dauer, Jacques Debû-Bridel, Philippe Dechartre, Edgard Faure, Georges Gorse, Gilbert Grandval, Yves Guéna, Léo Hamon, Jean-Marcel Jeannenay, Joseph Kessel, Claude Mauriac, Yvon Morandat, Edgar Pisani, Christian Poncelet, l’amiral Antoine Sanguinetti, Louis Terrenoire.
 

2 commentaires sur 27 avril 1969, le général de Gaulle démissionne.

  1. LE BRAS YVES // 25 avril 2025 à 15 h 29 min //

    C’est la première fois que j’ai voté. Le résultat était malheureusement joué d’avance. Le cartel des « non » s’est reconstitué pour le vote « non » à ce référendum. Ce cartel des « non » allait de l’extrême droite à l’extrême gauche. Valéry Giscard D’Estaing avait dit qu’il voterait « non » à ce référendum. Le couo de grâce avait été porté par Pompidou lors de son interview de Nantes. Pompidou se présentait comme un successeur possible du Général. Il a été la cause de la perte de 2 000 000 de voix
    Je ma rappelle tous les sénateurs « centristes » du Finistère ont fait une campagne active pour le « non ». Leur organisation politique s’appelait, à cette époque, le Centre Démocrate » (Drôle de conception de la Démocratie). En gros, tous les opposants au Général se sont alliés pour son départ. Il ne restait plus qu’à Pompidou, aux organisations syndicales ouvrières et patronales de modifier la loi sur la participation des salariés aux fruits de l’expansion (Amendement Vallon). Il a été largement suivi par tous les Présidents qui lui ont succédé. Aujourd’hui, cette loi est restée lettre morte. Je ne peux que constater la confusion faite entre la Participation et l’Intéressement (L’intéressement est seulement financier).

    Je finirais en disant avoir entendu Borloo, vers 2020, dire que le vote Non au référendum de 1969 était une belle idiotie. Plus de 60 ans après ce référendum et alors que tous les « amis » politiques de Borloo avaient appelé à voter Non.

    L’idée de la Participation ressortira un jour. J’en suis certain. En attendant, ca plus de 56 ans que je suis orphelin.
    Yves Le Bras

  2. Captivant comme si c’était hier… Combien le général nous manque

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