« Assumons l’épreuve de force avec l’Union européenne, réformons la PAC ! »

Un agriculteur au volant de son tracteur à Nantes ce 25 janvier. LOIC VENANCE / AFP

Nous vivons une époque insouciante où l’on se soucie plus de la forme que du fond. Dans la maison France, si les habitants sont malheureux, c’est que les problèmes ne sont jamais réglés : les fissures sur les murs sont dissimulées derrière un papier peint chatoyant. Cette fois-ci, face à la colère agricole, un petit coup de peinture ou un rebouchage des trous à l’enduit ne suffiront pas. Face à des agriculteurs paupérisés et étranglés, le marketing gouvernemental, la communication, le sens inné du casting du « plus jeune Exécutif depuis 1958 » apparaissent comme ce qu’elles sont : dérisoires.

L’erreur, surtout, serait d’offrir de la verroterie pour prétendre soigner un mal-être profond. Bien sûr, le mouvement, né en Occitanie, a des revendications immédiates concrètes, sur le gazole non routier, sur les coûts engendrés par la grippe aviaire qui a décimé des élevages de volailles, ou encore la maladie hémorragique épizootique qui touche les bovins. Bien sûr, ces problèmes nécessitent des réponses adaptées. Néanmoins, comme le carburant pour les gilets jaunes, le problème est structurel et beaucoup plus large. Seuls les aveugles le découvrent aujourd’hui, dans un pays qui voit s’éteindre sa paysannerie à petit feu, dans l’indifférence générale.

Le problème est que ce gouvernement, qui est totalement en phase avec l’idéologie européiste, écologiste et libre-échangiste, est tout sauf légitime pour désamorcer cette brusque explosion de rage, car cela supposerait d’accepter de remettre en cause l’essence même de son idéologie. Or, ma conviction sincère est que tant qu’on n’acceptera pas de remettre en cause certains tabous, rien ne changera, jusqu’à l’explosion ou l’effondrement.

L’un de ces tabous est que l’UE réfléchit comme un marchand, plus exactement comme un grossiste, pas comme les paysans qui la nourrissent. Une des fiertés de la Commission est de négocier des accords commerciaux avec le reste du monde. L’objectif poursuivi au travers des grands accords commerciaux (JEFTA, TAFTA, etc.) semble pour la Commission européenne la suite logique de la constitution du grand marché commun, c’est-à-dire l’essor des échanges, l’accroissement de la diversité pour le consommateur, la pression vers le bas des prix et la volonté de faire de l’UE une puissance exportatrice en matière agricole. C’est une erreur. La logique marchande a un sens, mais elle suppose qu’on commerce « à armes égales ».

Faute de discriminer son « dedans » et son « dehors », c’est-à-dire assumer son identité, l’UE se dilue et laisse entrer sur le marché des produits agricoles parfaitement incompatibles avec nos standards. Julien Aubert

Il suffit déjà de regarder ce qu’a donné en petit la constitution du grand marché commun en matière agricole. Tous les pays membres de l’UE ne respectent pas de la même manière le cahier des charges. Comparons la fraise espagnole et la fraise française : la première est deux à trois fois moins chère que la seconde, mais est cultivée par des immigrées qui vivent dans des bidonvilles fabriqués avec du plastique qui servait auparavant à couvrir les champs de fraises. Elles travaillent par 40 degrés à l’ombre, pour un salaire compris entre 30 et 35 euros par jour avec 30 minutes de pause par jour. Surtout, ne nous mentons pas : la fraise espagnole, gorgée d’eau, n’a aucune saveur. Cette « petite ouverture » a surtout commencé à laminer chez nous les filières les moins productives, provoquant un phénomène de concentration économique et de désertification géographique.

En voulant passer à l’étape supérieure, la Commission va donc créer un problème endémique car les standards économiques et sociaux seront encore plus disparates. Lorsque pour des raisons géopolitiques, on a permis l’accès à l’espace européen de la volaille venue d’Ukraine – un pays dont le PIB par habitant en parité des pouvoirs d’achat est trois fois inférieur au niveau moyen européen – la consommation a explosé en Europe. Les actionnaires norvégiens, américains et britanniques de MHP SE, le principal acteur ukrainien de la volaille, dirigé par un oligarque proche de Zelensky, peuvent féliciter Ursula Von der Leyen : leur marge bénéficiaire nette a bondi de 136% en 2022 !

Faute de discriminer son « dedans » et son « dehors », c’est-à-dire assumer son identité, l’UE se dilue et laisse entrer sur le marché des produits agricoles parfaitement incompatibles avec nos standards : emploi de médicaments pour traiter les animaux, emploi de pesticides, rémunérations des employés très inférieures à nos standards, surdensités dans les parcs et enclos, pratiques brutales…

La vraie réponse structurelle sera de trancher le cou d’un paradoxe hypocrite consistant à intensifier la norme en Europe et refuser de faire du protectionnisme intelligent, c’est-à-dire du commerce équitable. Julien Aubert

Cette première erreur est mise au carré par une seconde : les ambitions en matière environnementales ne sont jamais rapportées aux contraintes économiques. Ainsi, la PAC a été depuis la réforme Fischer de 1998 détournée de son objectif de production pour intégrer toujours plus d’objectifs environnementaux. Ensuite, la Commission s’est engagée dans une politique d’interdiction de produits jugés nocifs pour le consommateur ou l’environnement. Néanmoins, comme l’Europe n’aime pas le risque, elle met ceintures et bretelles à son agriculture, pour la rendre toujours plus qualitative, sans considération pour l’impact productif.

Se pliant à une décision de la justice européenne, la France a ainsi dû renoncer à autoriser par dérogation les néonicotinoïdes pour protéger les semences de betteraves sucrières. Le risque pour les abeilles polinisatrices, avancé par les partisans de l’interdiction, était pourtant tout théorique : que le premier qui a déjà mangé du miel de betterave lève le doigt.

De même, l’Europe a interdit la production d’OGM, mais ces derniers ne sont pas interdits… à l’importation : de nombreux OGM, soja ou maïs notamment, sont autorisés et donc les consommateurs européens peuvent en manger ! On marche sur la tête.

La liste est longue, mais je voudrais livrer un dernier exemple. Député de Vaucluse, j’ai suivi le dossier particulièrement symbolique de la cerise. On a interdit en France le seul pesticide efficace (le diméthoate) pour lutter contre la mouche de la cerise, alors que nos voisins européens ne le faisaient pas, pas plus que nos concurrents internationaux. Moralité, le bilan écologique est nul pour le consommateur français : il mange des cerises turques traitées au diméthoate et les Français arrachent leurs cerisiers. C’est à en pleurer.

On comprendra que je sois pessimiste. Ceux qui ont acquiescé à cette politique absurde sont les mêmes qui désormais parlent de prendre des mesures concrètes ! La vraie réponse structurelle sera de trancher le cou d’un paradoxe hypocrite consistant à intensifier la norme – sociale, écologique, technique – en Europe (ce qui revient à étrangler nos producteurs les moins compétitifs) et refuser de faire du protectionnisme intelligent, c’est-à-dire du commerce équitable.

Lorsque l’UE pond, après moult négociations internes, un texte qui a oublié un point de détail, il n’y a aucun processus démocratique qui permet de la corriger rapidement. Julien Aubert

Au-delà de la réponse structurelle, il y a aussi une attente du monde paysan qui relève de la reconnaissance de la Nation. Nos paysans n’ont pas besoin de fausse sollicitude, d’un surplus d’attention dans l’urgence ou de charognards de la colère. Comme les «gilets jaunes», ils veulent en effet être entendus et surtout respectés.

L’attitude de la Commission européenne a été symptomatique : il n’y a aucun respect, et c’est bien là le problème. Le vice-président letton, Valdis Dombrovskis, s’est permis en pleine crise agricole d’annoncer « une imminente conclusion des négociations avec le Mercosur», alors que la concurrence déloyale avec ces pays bat son plein et que les agriculteurs européens sont vent debout contre cet accord. C’est l’équivalent de la phrase (faussement) attribuée à Marie-Antoinette : « Qu’il mange de la brioche ». Il faut voir dans cette forme d’insolence une forme de syndrome d’asperger politique. L’UE a son propre mode de raisonnement, et c’est un train qui ne dévie jamais de la course mentale et procédurale qu’il s’est fixée.

J’ai eu le loisir d’être confronté au fonctionnement kafkaïen de l’UE qui avait classé l’huile essentielle de lavande, produite par extraction de plante, dans la catégorie « produits chimiques » nécessitant une signalétique de prévention pour le consommateur, au grand dam des petits paysans qui la cultivaient. L’application de la réglementation REACH procédait d’un télescopage entre un règlement européen un peu ancien, pris à une époque où l’extraction à froid n’était pas pratiquée, et le fait que la molécule chimique de lavande avait été classée sous la pression d’un pays nordique comme potentiellement allergène, l’UE ne faisant pas de différence avec la molécule « naturelle ».

Ce premier problème aurait pu être aisément résolu dans un État démocratique, mais la norme n’est pas la loi. Lorsque l’UE pond, après moult négociations internes, un texte qui a oublié un point de détail, il n’y a aucun processus démocratique qui permet de la corriger rapidement. Le président de la Commission d’alors, José Manuel Barroso, à qui je m’étais ouvert du problème de la lavande, avait trouvé ceci stupide mais à la différence d’un État normal, cela n’avait rien remis en cause car il faut une énergie politique folle pour remettre en cause un processus européen qui va vers la simplification et l’harmonisation.

C’est parce que l’agriculture est l’âme d’un pays qui ne veut pas mourir, qu’il faut que nous la défendions bec et ongles. Il faut donc assumer l’épreuve de force au niveau européen. Julien Aubert

Il faut donc en revenir aux fondamentaux. On en a oublié des choses simples : le paysan est d’abord un acteur d’un territoire, son métier est de produire, et il fait un choix de vie difficile en travaillant beaucoup pour une rémunération faible en rapport de son volume horaire. Le paysan part peu en vacances. Il subit les aléas climatiques qui peuvent détruire le travail d’une saison. C’est un métier exigeant qui demande de la passion. On a totalement passé par pertes et profits que le paysan, grand ou petit, c’est aussi un jardinier de territoire, l’âme d’une commune, un petit employeur, un fournisseur de circuit court… tout ne se réduit pas à des chiffres.

C’est parce que l’agriculture est l’âme d’un pays qui ne veut pas mourir, qu’il faut que nous la défendions bec et ongles. Il faut donc assumer l’épreuve de force au niveau européen. La France doit, avec la même résolution que Charles de Gaulle au moment du compromis du Luxembourg, dire stop au libre-échange mondialisé sans limites et à la politique de la ferme à la fourchette qui est une machine à appauvrir les paysans. Ce n’est pas un problème de compétence de tel ou tel organe, c’est un sujet politique. L’hygiénisme écologique allié au libre-échangisme va finir par tuer nos agriculteurs, et notre souveraineté alimentaire avec !

Enfin, il faut d’urgence laisser produire et travailler en simplifiant les régimes de subvention de la PAC. Le principe pourrait être simple : rattacher chaque exploitation agricole à un système type. Déterminer avec la profession le niveau de subvention nécessaire pour chaque système type, attribuer la subvention chaque année sous la forme d’une enveloppe globale sans justificatif, réviser tous les 5 ans le rattachement au système.

L’alternative au courage, c’est la capitulation. Une fois nos paysans disparus, Bruxelles régnera sur un vaste désert ne produisant que des cultures d’exportation et nos consommateurs mangeront à bas prix – si les frontières veulent bien rester ouvertes – de la basse qualité – je reste poli – produite au bout du monde. Et si un jour, le prix du CO2 est effectivement intégré au prix réel des importations, nous paierons cher pour manger… moins bien !

3 commentaires sur « Assumons l’épreuve de force avec l’Union européenne, réformons la PAC ! »

  1. Jacques KOTOUJANSKY // 28 janvier 2024 à 21 h 10 min //

    Médiocre tribune, parfaitement hypocrite puisque ne remettant nullement en cause les fondamentaux du malheur paysan : participer à un marché planétaire sans règles autres que le profit à tout prix, système mondialiste dont l’UE est la courroie de transmission. M. Aubert admet comme un présupposé intangible l’appartenance de la France à l’UE et le régime des « subventions »; c’est là le problème ! La corrompue FNSEA en est le symbole, un pied dans les campagnes françaises, l’autre à tous les bouts du monde avec Sofiprotéol@ et autres Avril@, n’est-ce pas M. Rousseau ! Assez de cette comédie des erreurs ! Que les paysans se réveillent et cassent la baraque foraine de l’UE, de la PAC et ses bateleurs… PACIFIQUEMENT, cela va sans dire, avec de vrais représentants qui soient à leur service exclusif, avec un bulletin de vote qui serve à quelque chose, évitant les impasses des partis du système, de LFI au RN! – JK

  2. Excellente tribune.
    Il faut rappeler au passage que la PAC d’origine, celle des années 60, a été très bénéfique à l’agriculture française et au commerce extérieur de la France parce qu’elle offrait aux agriculteurs une garantie de prix pour la vente de leurs produits, élément essentiel qui a disparu. Il est désormais impossible d’obtenir en même temps un revenu correct pour les agriculteurs et la satisfaction de normes augmentant les coûts de production. Il n’est pas possible d’avoir en même temps le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la fermière en plus, n’en déplaise au « en même temps isme » de Macron dont on aimerait qu’il soit en même temps au service de la France et défenseur de son agriculture qui en est un élément essentiel.

  3. Grossière erreur d’interprétation entre conséquences et causes « C’est parce que l’agriculture est l’âme d’un pays qui ne veut pas mourir, qu’il faut que nous la défendions bec et ongles. Il faut donc assumer l’épreuve de force au niveau européen. Julien Aubert  » NON, NON Monsieur Aubert la racine du mal vivre de nos agriculteurs et de bien d’autres citoyens Français vient de chez NOUS .. Virez les « dingos » qui nous gouvernent en France…..et qui nous représentent à Bruxelles.
    Faisons les choses dans l’ordre et cela commence par ne pas confondre conséquences et causes !!!!!

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