Charles Jaigu : « Assimilation, j’adore ce mot ! »

L’écrivain Omar Youssef Souleimane publie son nouveau roman, Être français, chez Flammarion. En librairie le 20 septembre. /Vincent Boisot pour Le Figaro

Ce récit simple et émouvant d’Omar Youssef Souleimane, devenu français, aurait pu s’appeler « Aimer la France ». Il raconte aussi la découverte de ceux qui détestent son nouveau pays …

Par Charles Jaigu

Barbe fine, voix posée, dotée d’un léger accent qui lui vaut parfois la question « Toi, t’es d’où, avec ton accent ? » Il ne le prend pas mal. « Ce n’est pas du tout la question qui me gêne, juste parfois la manière de la poser.» Avec quatre livres écrits dans « la langue d’Éluard », son poète préféré découvert en Syrie, Omar Youssef Souleimane est familier de la langue de son nouveau pays bien plus que ceux qui lui posent la question. Il a été accueilli en France comme exilé politique syrien il y a onze ans. Il est devenu Français. Il est Français. C’est le titre de son livre: Être Français.

«La Syrie est mon passé, la France est mon avenir», nous dit-il. Ils ne sont pas tous comme lui. Il croise de temps en temps d’anciens compatriotes qui n’apprennent pas la langue de leur pays d’accueil et ne postulent pas à l’acquisition de la nationalité. Ce n’est pas parce qu’ils sont rebutés à l’avance par le pénible micmac administratif qui précède l’obtention de la carte d’identité, mais « parce qu’ils vivent dans l’illusion du retour, et l’illusion de l’après-Bachar ».

Du « petit terroriste » à l’enfant d’Éluard

Ce n’est pas le cas de Souleimane. Pourtant il suit au jour le jour ce qui se passe «là-bas». Sa mère et d’autres membres de sa famille y vivent. Et il a bien prévu d’y retourner un jour, si le dictateur tombe. Mais il le fera en visiteur. Après tout, cette possibilité se présentera peut-être plus vite qu’on ne le dit. « Je n’écarte pas un renversement de Bachar, je sais que tout le monde pense qu’il a gagné son pari de se maintenir à tout prix, mais les Russes l’aident moins, et l’inflation fait en ce moment des ravages, l’essence atteint des prix stratosphériques, précise-t-il. Il peut y avoir une insurrection de toute la population face à un tel dénuement. » Ce n’était pas le cas en 2011.

Aujourd’hui c’est la nouvelle génération qui sait comment changer (la Syrie), j’ai essayé avec mes amis, et nous avons échoué.

L’écrivain et journaliste applaudirait et se réjouirait. Il ne reviendrait pourtant pas vivre dans ce pays dévasté où il se sentirait comme un étranger. « Aujourd’hui c’est la nouvelle génération qui sait comment changer ce pays, j’ai essayé avec mes amis, et nous avons échoué », nous dit-il. En ce qui le concerne, il n’a pas l’intention de faire comme si tout pouvait redevenir comme avant. « Je suis condamné à l’exil, d’une manière ou d’une autre », conclut-il. Mais il a choisi de faire de cette fatalité de l’exil une libération.

Il est devenu un autre en parlant une langue nouvelle. Il a vu que les Français n’étaient pas xénophobes, mais qu’ils aiment bien qu’on les aime. Il cite tous ces immigrés devenus français et qui ont fait merveille. Noms connus, et liste longue : Marie Curie, Romain Gary, etc. Il cite Picasso. Hélas non : la France lui a refusé sa naturalisation dans les années 1930. Ce petit livre simple chante ce que les migrants des quatre coins ont apporté à la France, et tout d’abord leur amour de ce pays dont ils ont vu la grandeur, souvent mieux que les Français eux-mêmes. « Assimilation ? J’adore ce mot ! », s’exclame le jeune homme, sans doute inconscient que ce mot a été longtemps pestiféré dans le langage politique officiel.

À l’école, on nous enseignait que la France était un pays ennemi.

On mesure le chemin parcouru par cet homme qui, dans un livre précédent, a raconté comment il avait été élevé par son père, musulman rigoriste, dans le culte de Ben Laden, au point de rêver de devenir un « petit terroriste » – c’est le titre de son livre précédent (Ed. Flammarion). La tentative de dressage a finalement échoué. Tout comme l’endoctrinement antifrançais du régime de Bachar. « À l’école, on nous enseignait que la France était un pays ennemi. Et, tous les 19 avril, jour de fête nationale, on célébrait notre libération du joug des Français (qui exercèrent leur mandat sur la Syrie entre 1919 et 1946, NDLR), mais on le faisait dans une ville dessinée par un Français, devant un Parlement construit par les Français. »

Charmé par la douceur du français

Mais l’assimilation d’Omar Youssef Souleimane à la France ne s’arrête pas là. Elle se transforme en initiation aux zones obscures d’une France à l’abandon : les banlieues. Il a fait son tour de France à l’invitation des collèges et des lycées qui ont été intéressés par son histoire. Il a donné des ateliers d’écriture et tenté de partager l’amour d’une langue dont la douceur l’a charmé.

Son état des lieux s’assombrit soudain. Tout d’abord il note l’écart entre l’admiration qu’il a pour un pays dont l’offre en culture, en santé, en beauté est si riche, et la perplexité à l’égard d’un peuple qui ne semble pas le voir – aussi bien les Français de souche râleurs que les immigrés de la troisième génération. Mais il est particulièrement inquiet de ceux-là. De ces Français d’origine musulmane tentés par le séparatisme.

« J’ai rencontré tant d’enfants de jeunes Français musulmans qui veulent faire le contraire de ce que j’ai fait : ils sont ici et ils veulent vivre ailleurs. » Pourtant là-bas est pire qu’ici, ou là-bas est un mirage qui n’existe pas. « Ils me parlent de retour au bled qu’ils ne connaissent pas, cette Algérie aujourd’hui maudite par son propre peuple, ou d’enclaves riches et musulmanes comme Dubaï ou des Émirats, ou encore du Canada et du Japon », nous dit l’écrivain tuteur.

Contre la « gauche hallal »

À son tour, « OYS », qu’ils respectent à cause de son prénom et son nom, essaye de leur faire comprendre que la France n’est pas raciste. Peine perdue. Quand nous lui demandons si la tentation du séparatisme dans ces écoles est « assez grave, grave, ou très grave », il nous répond : « Très grave. » Les réseaux fréristes – les Frères musulmans – « tiennent des villes entières en France ». Il s’étonne, enfin, de « cette gauche hallal qui s’est engagée pour défendre l’islam à tout prix jusqu’à oser comparer la situation des musulmans avec celle des Juifs dans l’Allemagne nazie, ce qui est dégueulasse ».

Au-delà de l’abaya, il faut s’attaquer à l’esprit de l’abaya.

Bien sûr, il soutient l’interdiction de l’abaya dans les écoles. « Elle est interdite en Égypte, en Syrie, au Liban, où on porte l’uniforme », nous dit-il, en ajoutant « au-delà de l’abaya, il faut s’attaquer à l’esprit de l’abaya ». À ses ex-amis de gauche qui lui reprochent, sempiternel refrain, de « faire le jeu de l’extrême droite », il répond en utilisant l’une des premières expressions qu’il a entendues en France quand il est arrivé en 2012 : « Je n’en ai rien à foutre de ce qu’ils pensent. »

« Ce qui est important, c’est de dire ce que l’on veut dire à propos de tel ou tel sujet, sans penser à qui cela plaît ou déplaît. » Sagesse à laquelle il est bien difficile d’accéder, sauf quand on vient d’un pays où la liberté d’expression n’existe pas. Ainsi se conclut notre conversation. « Il suffit de vivre ailleurs pour savoir dans quel paradis on vit ici, mais les Français ne le voient pas et je connais tant d’autres peuples qui vivent en enfer qui sont plus heureux que les Français. »

3 commentaires sur Charles Jaigu : « Assimilation, j’adore ce mot ! »

  1. BAUGUIL Jean-Louis // 16 septembre 2023 à 17 h 50 min //

    bravo pour votre assimilation qui contredit ce que le roi du Maroc Hassan 2 a dit et rapporté par les médias français que l’asimilation était impossible pour des gens VENANT D’UN AUTRE COTINENT QUE CELUI DE L’EUROPE et encore moins à la France et la laïcité. Le continent africain d’une autre culture et traditions aux entipodes des Européens. et il conclut un Marocain sera toujours un marocain et n’acceptera jamais les lois des Français en particulier la laïcité.

  2. Il serait tant d’évoquer la politique d’immigration construite par les gouvernements successifs de Charles de Gaulle !

  3. Didier Bernadet // 16 septembre 2023 à 13 h 26 min //

    Il m’est difficile de dire ce que je veux dire, tant le personnage est attachant et nous rappelle d’autres époques…Mais (ah, ce mais…) ce ne sont malheureusement pas les jeunes Syriens qui changeront quoi que ce soit dans un pays où les « troubles » ont été fomentés d’ailleurs, en se servant qui plus est des « islamistes » et du terrorisme. La géopolitique qui décide de son sort est hors de portée pour des jeunes enthousiastes et légalistes, sauf à suivre les usurpateurs… Un peu d’ailleurs comme ce qui se passe chez nous et qu’il n’a apparemment encore pas constaté en profondeur. Peut-être faudrait-il, quitte à tempérer un peu ses élans, lui dire que ce paradis est en perdition et qu’il faudra quitter le stade de la béatitude pour entrer dans celui du combat…

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