Luc Ferry : « L’abaya est bel et bien un signe politico-religieux »

Luc Ferry. Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro

CHRONIQUE – Quand des femmes meurent sous les coups des talibans pour avoir le droit de se débarrasser de ces oripeaux religieux, il serait quand même paradoxal que le pays des droits de l’homme en encourage le port. (Le Figaro)

Rappelons d’abord le contexte, car c’est peut-être bien l’essentiel dans cette affaire : depuis l’ignoble assassinat de Samuel Paty, les atteintes à la laïcité dans le cadre scolaire ont, selon une note du ministère, augmenté de 120% ! Il est donc assez difficile de nier que le communautarisme islamiste se développe dans notre pays, qu’il gagne du terrain dans les quartiers comme chez les jeunes, et qu’il cherche par tous les moyens à tester les capacités de résistance de la République. Si nous étions dans une situation différente, si nous n’avions pas présents à l’esprit les assassinats des journalistes de Charlie Hebdo, du père Hamel, de Samuel Paty, les agressions contre Salman Rushdie, les meurtres atroces commis à Nice et au Bataclan, si nous n’assistions pas, sidérés, au massacre des femmes en Afghanistan, il est clair que le port des abayas pourrait à la limite n’apparaître que comme un signe un peu exotique d’attachement à une tradition. Reste que pour toute personne de bonne foi, dans le contexte que je viens d’évoquer, ce n’est pas le cas, qu’il s’agit bel et bien d’un signe politico-religieux agressivement hostile à la laïcité républicaine.

Comme le savent et le disent tous les spécialistes de l’islam, il s’agit bel et bien d’un vêtement prescrit par le wahhabisme, en particulier en Arabie saoudite, destiné à couvrir entièrement le corps des femmes afin d’ôter tout ce que la féminité pourrait avoir de séduisant pour les hommes, ce qui explique au passage que dans leurs versions les plus religieuses, les abayas s’abstiennent de recourir à des couleurs vives, considérées comme trop sensuelles, pour se contenter du noir et du beige plus sérieux, pour ne pas dire plus sinistres. Il est donc tout aussi clair que le port de ces accoutrements religieux est contraire à la loi de 2004 qui interdit explicitement les signes politico-religieux ostensibles à l’école.

Je voudrais en profiter pour faire ici une mise au point et rappeler d’abord que cette loi fut bel et bien rédigée au sein de mon ministère et par mon conseiller juridique. Une légende voudrait qu’elle ait été inspirée par mon ami François Baroin, voire par je ne sais quel inspecteur général (on cite parfois le nom de M. Obin). C’est tout à fait faux ; à vrai dire, c’est même à certains égards l’inverse. J’avais en effet à l’époque un souci que, fort heureusement pour moi, le président Chirac partageait jusque dans les moindres nuances : nous voulions tous deux éviter à tout prix que l’on interdise indistinctement tous les signes religieux, la loi devant seulement prohiber les signes agressifs dits « ostensibles ».

Contrairement à son prédécesseur, Gabriel Attal a donc eu mille fois raison de prendre enfin avec courage le problème à bras-le-corps

Contrairement à certains politiques, en particulier les membres du Grand Orient, je ne voulais pas, et le président Chirac était d’une fermeté sans faille sur ce point, que l’on stigmatisât de manière globale toute expression d’une appartenance religieuse du moment qu’elle ne troublait pas l’ordre public et n’agressait personne. Je devais donc me battre sur deux fronts, d’abord et avant tout contre les fondamentalistes, bien sûr, mais aussi contre les extrémistes laïcards. Pourquoi, en effet, interdire une petite croix, une étoile de David ou une main de fatma portées en toute discrétion, ou pire encore, pourquoi empêcher un élève d’exprimer ses croyances dans un cours d’éducation civique ou dans une dissertation du moment qu’il le fait sans agressivité ni prosélytisme ?

Nous voulions donc une loi équilibrée, qui mette un coup d’arrêt au fanatisme sans stigmatiser pour autant les convictions personnelles, qu’elles fussent celles des juifs, des musulmans ou des chrétiens. Ce n’est hélas pas le cas de ces abayas qui, de toute évidence, sont destinées à tester le courage de nos autorités. Face à ces tentatives de déstabilisation, le ministre de l’Éducation ne pouvait pas indéfiniment jouer les autruches, renvoyer lâchement aux chefs d’établissement le soin de se débrouiller tout seul.

Contrairement à son prédécesseur, Gabriel Attal a donc eu mille fois raison de prendre enfin avec courage le problème à bras-le-corps et c’est pitié de voir l’extrême gauche se porter aussitôt au secours de l’obscurantisme religieux, du mépris des femmes et de la haine de la laïcité républicaine. Quand des femmes meurent sous les coups des talibans pour avoir le droit de se débarrasser de ces oripeaux religieux, il serait quand même paradoxal que le pays des droits de l’homme, de la laïcité, des Lumières et de l’émancipation des femmes en encourage le port, non par une saine tolérance, mais en réalité par pure lâcheté!

4 commentaires sur Luc Ferry : « L’abaya est bel et bien un signe politico-religieux »

  1. A Grothenditque…effectivement le mal est profond chez nos politicards dans l’entretien de la confusion intellectuelle entre causes et conséquences ,entre buts et moyens. Nous ne sommes hélas pas prêts de sortir de cette médiocratie galopante où le faire et défaire s’imposent toujours politiquement comme étant le signe que l’on fait tout de même quelque chose !!!!!

  2. GLADIEU Jean-Dominique // 7 septembre 2023 à 13 h 40 min //

    Tout à fait d’accord, pour commencer, avec Luc Ferry quand il fustige à la fois « les fondamentalistes » et ce qu’il appelle « les extrémistes laïcards ».
    La France n’est effectivement pas un pays athée et la liberté de croire ou ne pas croire est (ou doit être) garantie à tous.
    Mais, c’est là où néanmoins le bât blesse un peu, certaines mesures dites « laïques » s’avèrent en fait des attaques contre les musulmans.

    C’est le cas de la loi contre le voile intégral qui n’a (à mon avis) aucune raison d’être puisqu’il existait déjà des dispositions interdisant d’avoir le visage entièrement masqué. Et cela pour des raisons élémentaires de sécurité publique et non pour d’autres motifs !!!
    Qu’est-on aller chercher une loi dont on n’avait nul besoin et qui ne peut qu’être interprétée que comme ce qu’elle est vraiment : une loi anti-musulmane !!!
    Comme disaient les Shadoks : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
    On aurait voulu entretenir un climat de guerre de religion, on ne s’y serait pas pris autrement.

    Visiblement, la loi contre le voile intégral ne suffisait pas. On nous promet maintenant l’interdiction de l’abaya à l’école, au collège et au lycée ! Pendant qu’on y était pourquoi pas à l’université, dans les administrations, voire dans la rue ? Peut-être aussi à la mosquée au point où on en est !!!
    L’école, les collèges, les lycées (enfin, ceux de ces établissements qui ne sont pas privés) sont des lieux publics. Ils appartiennent donc à l’ensemble des français quelle que soit leur religion. Ils y sont donc chez eux.
    Et on veut interdire à des français de s’habiller comme ils le souhaitent chez eux ?

    Par ailleurs, le débat est grand ouvert quant à l’abaya : est-ce un signe religieux, un signe culturel ou quoi que ce soit d’autre ?
    Comme toujours dans ce genre de discussion, il est délicat, voire impossible de trancher. Il me parait donc urgent de ne pas se prononcer à ce sujet …

    Pour finir, la conclusion de Luc Ferry semble un peu excessive (et donc insignifiante). Comparer l’abaya aux taliban, c’est grotesque.
    Ce n’est pas parce que les djihadistes prônent l’abaya que celle-ci devient leur monopole. A ce compte-là, l’Inquisition se réclame du Christ, donc Jésus devient le précurseur de l’Inquisition !!!

    Une petite note rigolote quand même : les directeurs d’école risque de bien s’amuser ! Il va falloir qu’ils se postent à l’entrée de leur établissement avec une règle graduée pour mesurer la longueur des robes des filles. De là à ce qu’ils se fassent épingler par #meetoo# pour attouchements intempestifs ou inappropriés, ils ne sont pas sortis de l’auberge !

    Bon, c’est pas tout ça, quand est-ce qu’on se met à réfléchir sur la véritable manière de contrer l’intégrisme … religieux ou athée ?

  3. GrothenDitQue: // 7 septembre 2023 à 13 h 31 min //

    S’attaquer aux symptômes est contreproductif pour la lutte contre le phénomène sociétal…

  4. Bjr.Avis d’un athe.L’ignoble assassin de Monsieur Paty ne portait pas une abaya,les criminels du Bataclan,Charly hebdo,Monsieur Samuel non plus.D’accord pour éliminer 67 abayas par persuasion sans clairon et sans le oyer oyer à la télé par Mr.le ministre en essayant de stigmatiser une partie des citoyens.

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