Échecs de Sanofi et de l’Institut Pasteur : d’où vient le retard de la recherche française ?

Après le retard annoncé par Sanofi sur son vaccin au mois de décembre, l’Institut Pasteur a annoncé ce lundi 25 janvier avoir jeté l’éponge sur son propre projet. L’échec français n’est-il qu’un accident de parcours, ou existe-t-il des raisons structurelles permettant de l’expliquer, au moins en partie ?
Par Louis Nadau (Marianne)

Une institution décatie, un colosse aux pieds d’argile : au gouvernement, le récit politique de l’échec des recherches vaccinales des champions français que sont l’Institut Pasteur et le mastodonte Sanofi est cousu de fil blanc, et le coupable est tout trouvé : le conservatisme et la timidité d’une industrie pharmaceutique sclérosée, trop déconnectée des start-ups innovantes.

« En matière de recherche scientifique, il faut que la France retrouve le goût du risque. Il faut de l’audace« , estimait ainsi sur Radio Classique le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, ce mercredi 27 janvier, appelant notamment à « continuer à investir dans nos start-ups » et à tisser « un lien plus étroit entre recherche fondamentale et développement industriel« . « Regardons ailleurs ce qui a réussi, ne restons pas les deux pieds dans le même sabot. » Le Haut-commissaire au Plan, François Bayrou, appelait simultanément sur France Inter à investir dans la recherche pour éviter la fuite des cerveaux, « signe d’un déclassement » de la France « inacceptable« .

C’est vrai, l’échec est cuisant : lundi, l’Institut Pasteur expliquait que « les réponses immunitaires induites » par son candidat vaccin lors de la première phase de test « se sont avérées inférieures à celles observées chez les personnes guéries d’une infection naturelle ainsi qu’à celles observées avec les vaccins autorisés« . Sanofi, dont le principal projet de vaccin accuse désormais un retard de cinq à six mois, déplorait mi-décembre que la réponse immunitaire provoquée par son vaccin était elle aussi insuffisante, notamment chez les personnes âgées, mettant en cause la qualité trop faible des réactifs utilisés pour mesurer les volumes d’antigène dans ses essais.

SANOFI ET PFIZER, MÊME COMBAT ?

Peut-on cependant résumer ces revers à une attitude pusillanime de Sanofi, et à une trop forte étanchéité entre le monde de la recherche et les start-ups ? C’est un peu plus compliqué que ça : si l’on compare l’écosystème de Pfizer-BioNTech, de Sanofi et de l’Institut Pasteur, on constate que les différences ne sont pas si importantes. On retrouve à chaque fois un modèle similaire : une structure universitaire pour la recherche fondamentale, une start-up pour la recherche appliquée, des géants pharmaceutiques signant des partenariats permettant de bénéficier de leur force de frappe en termes de production et de logistique, et un investissement d’origine publique ou privée.

Ces associations ignorent les frontières : dans le cas de l’Institut Pasteur, il s’agissait d’une collaboration avec des chercheurs de l’université de Pittsburg, le géant américain Merck, et le ministère de la Santé américain. En plus de son alliance avec le groupe britannique GSK pour son premier candidat vaccin, Sanofi a en outre misé sur l’entreprise américaine de « biotech » Translate Bio, elle aussi spécialisée dans l’ARN messager.

Notons au passage que Pfizer n’est pas elle-même une entreprise plus « innovante » que Sanofi – moins de 25 % de ses médicaments ont été développés en interne – et a également supprimé des emplois dans sa branche R&D. « Les grandes entreprises peuvent être en situation de veille technologique et attendre de sélectionner de jeunes entreprises innovantes afin de s’associer avec elles. Toutefois, de récents travaux ont mis en évidence les incitations possibles des grandes entreprises à acquérir une start-up avec l’objectif de tuer dans l’œuf une innovation qui menacerait leur position, d’où le nom d’acquisition tueuse« , relève d’ailleurs une note publiée le 26 janvier par le Conseil d’Analyse Économique (CAE) – think tank indépendant chargé de conseiller Matignon.

5% DE RÉUSSITE

Il y a une part de « chance » dans le pari (rationnel) gagnant de Pfizer et Moderna : « L’idée de partir de quelque chose qu’on connaît bien, comme Sanofi avec son vaccin contre la grippe, pouvait être une stratégie pertinente. Il y a une part de hasard, de risque dans la recherche« , souligne Nathalie Coutinet, enseignante-chercheuse à l’Université Sorbonne Paris Nord. « D’une manière générale, même si c’est aussi un discours que tiennent les industries pharmaceutiques, lancer des nouvelles thérapies innovantes, c’est toujours un pari risqué« , abonde Henri Bergeron, directeur de recherche au CNRS et sociologue spécialiste des questions de santé publique.

Rappelons que pour la plupart des molécules étudiées par l’industrie pharmaceutique, la probabilité moyenne d’atteindre le marché pour un projet au stade préclinique est inférieure à 5 %. Actuellement, l’OMS dénombre 237 vaccins contre le Covid-19 en cours de développement dans le monde. 173 sont en phase pré-clinique, 64 sont testés sur les humains. Une vingtaine seulement a atteint la troisième phase de tests, et seuls deux ont été pour l’heure approuvés par les autorités sanitaires en Europe. N’oublions pas non plus que le cadre de la recherche vaccinale est encore plus stricte que pour un médicament lambda, dans la mesure où l’injection est faite à une personne en bonne santé : autrement dit, les effets indésirables admis sont encore moins nombreux. Enfin, le choix de l’ARN messager était loin d’aller de soi : début 2020, l’efficacité des vaccins utilisant cette technologie était encore complètement inconnue.

LA RECHERCHE FONDAMENTALE SOUS FINANCÉE

L’échec français n’est-il donc qu’un accident de parcours, ou existe-t-il des raisons structurelles permettant de l’expliquer, au moins en partie ? La note du CAE pointe notamment, parmi les causes probables de notre retard, un cruel manque de moyen de… la recherche fondamentale, c’est-à-dire des universités et de la recherche publique. « L’enveloppe publique française dédiée à la recherche en biologie-santé se réduit tandis que le budget total alloué à la recherche stagne (voire ralentit légèrement) à des niveaux faibles en comparaison de nos voisins européens« , constatent les autrices de l’études, les économistes Margaret Kylea et Anne Perrot.

Ainsi, pendant que l’Allemagne consacre « 3% de son PIB à la recherche« , la France « dépasse tout juste les 2 % dont 18 % seulement sont dédiés à la biologie-santé« . Pire : « Les crédits publics en recherche et développement pour la santé sont par ailleurs plus de deux fois inférieurs à ceux de l’Allemagne et ils ont diminué de 28 % entre 2011 et 2018 quand ils augmentaient de 11 % en Allemagne et de 16 % au Royaume-Uni sur la même période. » De sorte que le « déclassement » pointé par François Bayrou est en grande partie imputable à… l’Etat, qui ne permet pas à la recherche d’irriguer les start-ups chères au cœur de la macronie, en sous-finançant la recherche publique.

Le constat vaut aussi pour la rémunération des chercheurs, qui « partent logiquement à l’étranger trouver de plus haut revenus, mais aussi de meilleures conditions de travail« , d’après Nathalie Coutinet. À pouvoir d’achat égal, « le salaire annuel brut d’entrée moyen des chercheurs en France représentait en 2013 63% du salaire d’entrée moyen des chercheurs dans les pays de l’OCDE« , constate le CAE. À l’autre bout de la pyramide, « le salaire maximum des chercheurs en France représentait 84 % du salaire maximum moyen des pays de l’OCDE« .

Par-dessus le marché, l’argent public n’est pas toujours bien dépensé, allant parfois à des recherches ne répondant pas aux standards internationaux quant à leur rigueur scientifique. « De trop nombreux essais ont des normes scientifiques faibles, notamment car ils sont beaucoup plus souvent non aléatoires (non randomisés) en France qu’ils ne le sont dans d’autres pays. Ce type d’essai ne peut aboutir à une preuve de lien de causalité entre la prise du médicament et l’état de santé subséquent« , note le CAE, citant en exemple « l’essai clinique de Didier Raoult sur l’hydroxychloroquine« .

PATRIOTISME ÉCONOMIQUE

Côté start-ups, le bât blesse surtout sur le financement : en France, il est efficace pour amorcer un projet, mais n’est pas suffisamment suivi dans le temps, alors même que la recherche dans le secteur biomédical se fait sur le temps long. Les investissements privés, surtout nationaux, sont insuffisants : à titre de comparaison, là où la structure capitaliste des entreprises biomédicales américaines reposait à 82% sur des fonds nationaux en 2017 (public et privé confondus), celle des entreprises françaises ne bénéficiait que de 11% de fonds nationaux, selon les chiffres de Biotech France. De sorte qu’on peut parler à cet égard d’un manque de patriotisme économique. Les start-ups françaises lèvent en outre moins d’argent que leurs voisines européennes : pour l’année 2019, 9 millions d’euros en moyenne en France, contre 12 millions au Royaume-Uni et 16 millions en Allemagne. Elle est belle, la « start-up nation »…

 

2 commentaires sur Échecs de Sanofi et de l’Institut Pasteur : d’où vient le retard de la recherche française ?

  1. Dr Serge DESCHAUX // 6 février 2021 à 18 h 23 min //

    Bonjour. Vous avez déjà abordé sur votre site l’épisode prostatique de Charles de Gaulle (presque) conclu par son opération en 1964. Je relate très précisément dans mon livre « Comment allez-vous, mon Général ? – Charles de Gaulle et sa santé  » (Editions l’Harmattan), cette étape emblématique nous faisant découvrir l’homme public et l’homme intime dans l’adversité de la maladie.
    L’anecdote d’un Charles de Gaulle découvrant l’origine américaine de sa sonde urinaire me fait encore sourire (pages 102 à 104). J’ose imaginer sa réaction devant un vaccin Pfizer omnipotent et un couple Sanofi-Institut Pasteur démissionnaire. Une colère mémorable aurait sans doute électrocuté Olivier Véran! …
    Bien cordialement
    Dr Serge Deschaux

  2. Une seule réponse à tous nos déboires dans les secteurs de l’INNOVATION: le manque de volonté politique à financer le RISQUE. Tous les politicards Français se gargarisent de mots à la mode en paradant sur les plateaux de télé et auprès des médias ,le nez dans le guidon des intérêts électoraux à court terme en faisant mine d’être à la pointe du progrès du Made in France. L’exemple de la nomination d’un Monsieur Plan ,d’un Monsieur Vaccin , sont parmi les plus récentes décisions de nos « politicards » l’expression de la garantie annoncée de sombrer encore un peu plus dans l’Incompétence et l’inefficacité de cette Médiocratie aux commandes de l’Etat. Et pourtant le Gl de Gaulle avait été un maître dans l’accomplissement de projets ambitieux pour que la France soit au TOP des pays technologiquement évolués dans le monde et pour que les Français soient fiers de l’emploi leurs impôts, malgré les anti militaristes et autres illuminés de l’époque !!!!!!!!
    Puis les  » charognards » de la politique sont arrivés et se sont employés à choisir la « frime » et le fric comme outils de développement de leur assise électorale entraînant dans leur sillage une population naufragée sur la mer des pays qui comptent économiquement dans le monde. Quand on n’a plus que les châteaux de la Loire ou de Versailles à offrir à un monde ,lequel, nonobstant, les épidémies et les guerres, se développe plus vite, plus fort sur tous les fronts de l’Innovation technologique la France changera t-elle un jour ses choix politiques pour renouer avec l’EXCELLENCE ?!

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