Chevènement, les gilets jaunes, Macron…

Jean-Pierre Chevènement « Je me sens avec un gilet tricolore sur lequel on aurait mis ‘unité et fraternité’ aussi bien avec les Gilets jaunes qu’avec les forces de l’ordre »

Q – Comment analysez-vous les raisons de la crise ?

Il y a un malaise très profond dont il ne faut pas du tout sous-estimer la portée. Il tient à une situation sociale profondément dégradée qui résulte de choix erronés effectués dans les années 1980-90.

L’Acte unique, avec d’une part ce primat de la concurrence qui est la substance des trois cents directives de la Commission européenne, et surtout la libération des mouvements de capitaux, la dérégulation, qui instaure une inégalité fondamentale entre le capital et le travail : c’est le 1er janvier 1990. D’autre part, la monnaie unique : l’abandon de notre souveraineté monétaire qui est confiée à une Banque centrale européenne indépendante, qui ne reçoit d’ordre de nulle part – enfin, en principe ! Et enfin le carcan d’un pacte de stabilité qui ne permet pas des politiques contracycliques, c’est-à-dire tantôt un excédent tantôt un déficit. Ce dernier n’a pas été pensé à vrai dire…

Q – Quelle est la responsabilité d’Emmanuel Macron dans cette crise ?

Je ne pense pas qu’on puisse exonérer Emmanuel Macron, mais je veux inscrire cela dans un sillage car il n’est pas juste d’accabler uniquement Emmanuel Macron.

Je voudrais qu’on ne soit pas naïfs : naturellement, Emmanuel Macron a fait imploser le système politique traditionnel. Cela a créé beaucoup de mécontents qui ont une revanche à prendre, et donc il y a une chose sur laquelle ils sont d’accord : c’est Macron ! C’est normal, car ils ne savent plus très bien ce qu’ils vont devenir : leurs carrières sont sérieusement remises en cause ! Le système médiatique a également une revanche à prendre : au départ il était traité de haut, puisque tout se faisait sur le mode vertical. Or le système médiatique préfère l’horizontalité – on y vient d’ailleurs. Emmanuel Macron a donc affaire à forte partie et il en rajoute peut-être : quelques maladresses d’expression me restent dans l’oreille, mais enfin qui ne commet pas d’erreurs ?

Il est très difficile de parler des questions économiques dans tout cela. Au lieu de choisir une politique industrialiste telle que je la proposais en 1983, une politique républicaine qui aurait tenu compte de l’environnement, on a fait une politique du tout libéral, de dérégulation, et on s’étonne du résultat. La colère vient de loin, car il y a une pression sur les salaires – sur les bas salaires particulièrement – donc les gens souffrent et le mouvement des Gilets jaunes, pour autant que j’aie pu l’apercevoir à deux ou trois reprises aux barrages auxquels j’ai été arrêté, est constitué de gens qui travaillent et qui gagnent peu, dans l’ensemble. Il faut prendre la mesure de leur colère si l’on veut apporter une réponse qui soit à la hauteur.

Emmanuel Macron avait fait une proposition : je me mets dans les clous de Maastricht, je comprime le déficit budgétaire, et l’Allemagne renvoie l’ascenseur, Madame Merkel va accepter un budget très consistant qui permettra de faire une relance contracyclique au niveau européen. Malheureusement, tout ça ne s’est pas produit. Madame Merkel n’a pas renvoyé l’ascenseur…./

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9 commentaires sur Chevènement, les gilets jaunes, Macron…

  1. Jean-Dominique GLADIEU // 13 décembre 2018 à 16 h 21 min //

    JPC est un peu difficile à suivre tant il semble ici donner à croire que Macron pourrait rétablir la situation.
    Mais peut-être que finalement, au-delà de sa capacité à voir les choses à long terme, JPC est un grand naïf. N’a-t-il pas, en effet, cru en Mitterrand (dont il a été ministre durant la période 80-90 où précisément s’est opéré le tournant libéral) ? N’a-t-il pas, ensuite, été à nouveau ministre sous Jospin (le gouvernement « gauche plurielle » d’alors a été l’un de ceux qui a le plus privatisé) ? N’a-t-il pas soutenu S. Royal en 2007 ?
    Comment a-t-il pu penser que Mitterrand, Jospin ou Royal pourrait œuvrer pour la souveraineté du peuple ?
    C’est le mystère Chevènement. Car on ne peut le soupçonner d’avoir fait des calculs en vue de soigner sa carrière personnelle.

  2. Je suis d’accord sur le fait que JPC soit un homme honnête, un républicain, mais c’est aussi quelqu’un qui s’est souvent trompé.

    Son péché originel est d’avoir cru en François Mitterrand, et il a eu le mérite de le reconnaître dans son livre « la France est-elle finie ». Comment a t-il pu croire un seul instant que François Mitterrand pouvait devenir un de Gaulle bis « l’homme bis de la nation » disait-il ? 

    Il s’est trompé dans bien des diagnostics ou analyses comme on veut. Il faut se souvenir de l’après élections municipales de 1983. Alors que les Français venaient de sanctionner une politique qui ne leur convenait pas et qui les a amenés à subir un plan de rigueur très dur, il a fait une analyse inverse. Il a déclaré  » Nous avons reçu un message des Français qui nous demandent d’aller encore plus à gauche ». Il n’avait rien compris et les Français lui ont fait savoir en 1986. JPC est un ministre qui a quitté le gouvernement Mauroy qu’il trouvait trop à droite pour revenir dans celui de Laurent Fabius qui l’était bien plus, quelle incohérence…

    Chevénement a soutenu le programme commun de la gauche dans lequel il était dit que » la gauche renoncerait à la force nucléaire si elle parvenait au pouvoir » et plus tard il a été rapporteur du comité directeur du PS avec Mrs Robert Pontillon et Charles Hernu d’un apport qui disait » que si la gauche gagne, elle devra tenir compte du fait nucléaire ». Que de contradictions, et j’en passe.

    Il y a malgré tout un sujet sur lequel il n’a jamais dévié c’est que pour lui la République est d’abord enseignante. A cette époque, l’enseignement été basé sur le constructivisme c’est à dire non pas sur l’enseignement, non pas sur la transmission du savoir mais sur la théorie du « apprendre à apprendre » chère à Bourdieu et on voit où cela nous a mené. Il a été un bon, un très bon ministre de l’Education nationale. Il a essayé de réhabiliter la discipline, le mérite et les devoirs et même, il est celui qui a voulu que les enfants apprennent leur hymne national. Oui, on ne peut pas lui enlever le fait qu’il soit un véritable républicain mais il n’a jamais eu le paradigme d’un Philippe Seguin.

  3. Jean-Pierre Chevènement est un homme d’Etat républicain qualifié pour parler de la situation de notre pays comme l’aboutissement des évolutions de ces dernières décennies. On sait le courage politique dont il a fait preuve, qui n’a pas toujours été bien compris.
    Aujourd’hui, en « homme politique indépendant et libre », il n’est pas dans le jeu politicien. Il n’a aucune vengeance à exercer, il ne prépare aucune échéance pour lui-même.
    Son analyse est honnête, rigoureuse et claire, qui traite de la dégradation économique et sociale du pays, de la relation avec l’Allemagne, du statut de la France dans l’Europe. Une analyse qui, au nom du réalisme, appelle des inflexions par rapport à ce qu’ont entrepris les gouvernements successifs et notamment l’actuel.
    Apprécions également le ton de Jean-Pierre Chevènement : celui d’un citoyen respectueux des institutions républicaines, qui désire la réussite de notre pays, au bénéfice de tous, sous le signe de cette belle formule, « Unité et Fraternité ».
    Le Président Macron devrait le consulter en ces jours d’une gravité particulière et tenir compte de son avis !

  4. Je partage les réserves émises par les commentateurs sur la légèreté de l’analyse de JPC à propos des « quelques maladresses d’expression…erreurs ». Quelle indulgence vis-à-vis des déclarations méprisantes à l’égard de telle ou telle catégorie de français depuis qu’il fût ministre de l’économie de Hollande. C’est pour cela que Macron est haï et que de nombreux manifestants-gilets jaunes réclament sa démission. Le député François Ruffin rapporte bien la haine qu’il a suscité.
    Son peu d’empathie à l’égard des gilets jaunes et de leur forte colère parce qu’ils se sentent abandonnés et laissés pour compte de l’UE et de la mondialisation néolibérales qu’il a renoncé à combattre.
    Décidément JPC, un brillant commentateur mais un piètre politique.

  5. Je partage votre commentaire, mais le texte de JPC n’est pas incompatible avec votre commentaire.

  6. Je suis surpris et déçu des propos de JPC sur cette crise. Depuis MAASTRICHT (aussi regrettable qu’ait été ce Traité et ce reniement de notre pleine souveraineté), il y a eu des politiques publiques qui n’ont pas pour autant été orientées vers la destruction du Pacte social et politique de la Libération autour de ce qu’était le programme du CNR. Certes, des coups de canif réguliers lui étaient parfois portés par la Droite (Sarkozy) mais aussi par la Gauche (Hollande) mais le rapport des forces politiques et le respect sinon l’adhésion d’une partie de la droite au « solidarisme » empêchait la remise en cause fondamentale de ce Pacte, malgré les vents du libéralisme anglo-saxon. Aujourd’hui, il en va tout autrement. Et la responsabilité du Président de La République actuel, même si ses pas s’inscrivent certes dans ceux de ses prédécesseurs (Hollande, Sarkozy), ne saurait être minorée comme pourrait le laisser penser la posture indulgente de JPC. Son ultra libéralisme tourné exclusivement vers les entreprises au détriment des forces du travail avec la énième réforme du Code du Travail par ordonnance, la suppression de l’impôt sur la fortune mobilière (celle qui se voit le moins mais souvent pèse le plus), l’augmentation de la CSG des retraités, la remise en cause des APL, le développement d’une taxe anti-carbone faisant peser essentiellement sur les plus démunis la mutation écologique etc. sont autant de mesures dirigées contre les classes modestes qui peinent et souffrent au quotidien. Une conception de la fonction présidentielle développée de manière hyperbolique sans égard pour ses concitoyens et dans un sens vertical et unilatéral jupitérien (d’ailleurs hautement revendiqué)n’ayant d’égale qu’une fabrication artificielle de la loi sans aucune recherche d’un minimum de consensus social est une offense à la démocratie, gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Ce peuple dont nos gouvernants et notamment le premier d’entre eux (notre Président) ne sont pourtant que les représentants. C’est bien de parler de la France, cher Jean-Pierre Chevènement, mais sans oublier tout de même les Français eux-mêmes et le peuple. N’oublions pas que la France est une belle République incarnée dans son peuple et il ne faudrait pas la désincarner en la coupant de lui au moyen de savantes abstractions intellectuelles. Louis SAISI

  7. Jacques Payen // 8 décembre 2018 à 14 h 37 min //

    Mme Merkel (c’est à dire l’Allemagne) pourrait renvoyer l’ascenseur ?

    Chevènement est un grand (et sympathique) naïf.

    Avec l’Euro-Mark, l’Allemagne a gagné la guerre économique. Elle impose ses choix aux autres, et d’abord à la France.

    Quel esprit rationnel peut-il croire qu’elle va renvoyer l’ascenseur. C’est à dire, en termes très concrets, consentir à puiser dans les énormes excédents qu’elle a fait sur le dos de ses partenaires pour les aider.

    On rêve…

    Mr Chevènement a mis sa confiance en Macron, l’homme des banquiers et de la finance. Tant pis pour lui…

  8. Je crains que J.P Chevènement n’ait pas vraiment compris le déficit de démocratie dont souffre notre nation , déficit encore accentué depuis les dernières élections et le comportement du Président Macron.
    De Gaulle avait institué le référendum, on ne peut que regretter qu’il n’ait pas institué le référendum d’initiative populaire ou citoyenne comme celui dont disposent nos voisins suisses, une manière efficace de rendre vivante la démocratie. J.P C est muet sur le sujet.

  9. Un Homme intelligent respect Monsieur. Merci pour la France.

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