État d’urgence : une révision constitutionnelle parfaitement inutile

L’article 36 de la Constitution du 4 octobre 1958 indique que l’état de siège est décrété en Conseil des ministres et que sa prorogation au-delà de douze jours « ne peut être autorisée que par le Parlement ». Il fixe ainsi une pure règle de compétence parlementaire complétant celle de l’article 35 selon laquelle « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ». Ces deux dispositions sont liées et figuraient d’ailleurs au même article dans l’avant-projet de constitution. Le régime de l’état de siège est déterminé par une loi du 9 août 1849, plusieurs fois modifiée, applicable seulement « en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection à main armée ».

L’état d’urgence, dont le régime est fixé par la loi du 3 avril 1955 liée aux évènements algériens, est, quant à lui,  applicable « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ou en cas d’évènements présentant par leur nature ou leur gravité, le caractère de calamité publique ». Il n’a délibérément pas été mentionné par les constituants de 1958 tout simplement parce qu’à l’inverse de l’état de siège, il n’est pas lié à une guerre étrangère et ne transfère pas les pouvoirs de police exceptionnels aux autorités militaires. En outre, le général de Gaulle souhaitant pouvoir proroger l’état d’urgence en Algérie par ordonnances ou, le cas échéant, par décision de l’article 16, sans devoir soumettre systématiquement un projet de loi au parlement, ne voulait pas consacrer la compétence du parlement dans la Constitution. Là se trouve la réponse à la question du président René Coty sur l’avant-projet de Constitution : « Est-ce à dessein qu’il est parlé de l’état de siège sans qu’il soit fait allusion à l’état d’urgence ? ». La réponse est affirmative.

Mais sur le fond, l’absence de mention de l’état d’urgence dans la Constitution ne change rien aux pouvoirs de police exceptionnels qu’il consacre et qui peuvent être modifiés, étendus, réduits ou encadrés par une loi ordinaire susceptible d’être déférée (a priori par les parlementaires ou a posteriori par un justiciable déposant une QPC) au Conseil constitutionnel. Il en va d’ailleurs de même de la loi sur l’état de siège du 9 août 1849 qui pourrait aussi être modifiée et actualisée par une nouvelle loi, elle-même contrôlable par le juge constitutionnel. La seule mention de la procédure de prorogation d’une législation d’exception dans la Constitution, ne met nullement le contenu même de celle-ci à l’abri d’un éventuel contrôle. Il est tout de même curieux que l’exécutif prétende vouloir se conformer à l’État de droit tout en prétendant évacuer la garantie minimale que constitue le contrôle éventuel et toujours fort compréhensif du Conseil constitutionnel.

Saisi en 1985 de la loi prorogeant l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie celui-ci avait jugé que « si la Constitution, dans son article 36, vise expressément l’état de siège, elle n’a pas pour autant exclu la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence pour concilier, comme il vient d’être dit, les exigences de la liberté et la sauvegarde de l’ordre public ; qu’ainsi, la Constitution du 4 octobre 1958 n’a pas eu pour effet d’abroger la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, qui, d’ailleurs, a été modifiée sous son empire ». C’est clair, la mention de l’état d’urgence dans la Constitution est parfaitement inutile.

Le projet de révision constitutionnelle mentionne aussi que les autorités civiles peuvent maintenir les assignations à résidence en vigueur après la cessation de l’état d’urgence, s’il demeure « un risque d’acte de terrorisme ». Mais, là encore, il suffit d’introduire dans la loi sur l’état d’urgence une disposition indiquant que les assignations prononcées sous son empire durent jusqu’au terme fixé par l’arrêté du ministre de l’intérieur qui les impose, à charge pour le juge administratif de contrôler la proportionnalité effective de cette durée. En tout état de cause, il est assez paradoxal de prétendre mettre fin à l’état d’urgence tout en constatant cependant que la menace terroriste qui a justifié son application persiste ! Il serait plus cohérent, dans ce cas, de proroger de nouveau l’état d’urgence.

Quant à la fameuse déchéance de nationalité, qui déclenche une étonnante hystérie collective, il convient de rappeler les éléments suivants. La Constitution actuelle est totalement muette sur les conditions d’attribution ou de retrait de la nationalité, elle ne fixe aucun principe en la matière et se borne à indiquer dans son article 34 : « La loi fixe les règles concernant la nationalité ». Le législateur est donc libre en la matière et le Conseil constitutionnel a déjà jugé, dans une décision du 23 janvier 2015, d’une part que « les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation », d’autre part « qu’eu égard à la gravité toute particulière que revêtent par nature les actes de terrorisme » la déchéance de nationalité est « une sanction ayant le caractère d’une punition qui n’est pas manifestement disproportionnée ». L’idée avancée par le Conseil d’État selon laquelle le retrait d’une nationalité obtenue de naissance serait contraire à un « principe fondamental reconnu par les lois de la République » résulte d’une interprétation très constructive que le Conseil constitutionnel n’a pas du tout consacrée. On peut sans doute discuter de l’efficacité et de l’opportunité de cette mesure mais elle n’est en rien contraire à la Constitution et son adoption ne nécessite aucune révision constitutionnelle.

La vérité est que, depuis plusieurs décennies déjà, la Constitution est devenue un instrument de marketing et de communication politiques pour des candidats à la présidence de la République ou des présidents en exercice qui veulent rehausser leur programme ou leur bilan en laissant leur empreinte dans le « marbre constitutionnel ». La révision constitutionnelle fait ainsi office de talonnettes juridiques pour des gouvernants en manque de hauteur politique. La majorité des trois cinquièmes du Congrès, nécessaire pour adopter la révision, sert aussi la stratégie partisane du président en exercice pour gêner l’opposition et la mettre en porte-à-faux. Mais avec ces lamentables jeux politiciens, c’est la qualité même de la Constitution des Français qui se trouve malheureusement dégradée. Ce nouveau projet de révision, parfaitement inutile, illustre encore l’insoutenable légèreté de nos gouvernants. Il convient de le refuser.

21 commentaires sur État d’urgence : une révision constitutionnelle parfaitement inutile

  1. Delaisse Jean-Paul // 19 février 2016 à 12 h 13 min //

    @ lorentz :
    Je confirme sans difficulté, puisque l’ENA n’a fournit que ça (à preuve du contraire….)

  2. radoxalement la FRance qui a longtemps cultivé sa force Démocratique // 17 février 2016 à 17 h 37 min //

    A Lorentz :
    Hélas OUI, car la médiocratie s’est durablement installée en France!

  3. est ce que les français vont remettre au pouvoir des gens qui font des choses inutiles

  4. radoxalement la FRance qui a longtemps cultivé sa force Démocratique // 11 février 2016 à 21 h 01 min //

    Merci à JP DELAISSE lequel au lendemain de ce remaniement ministériel de « tripatouille » politicienne vient conforter le désir ardent de virer tous ces INUTILES et l’augmentation de la pente du toboggan de l’inutilité voulu par la gouvernance de la France accélérera certainement le processus du désastre annoncé.

  5. Delaisse Jean-Paul // 10 février 2016 à 13 h 42 min //

    à JC BAERT : gardons le moral camarade ! le Général a démontré en son temps que rien n’était jamais perdu !!! Une toute petite minorité ayant raison vient à bout de tout ceux qui gardent soigneusement les yeux fermés…

  6. radoxalement la FRance qui a longtemps cultivé sa force Démocratique // 9 février 2016 à 15 h 27 min //

    Sur les 129 députés ayant participé au vote, 107 faisaient partie du groupe socialiste, républicain et citoyen et 10 du groupe Les Républicains, selon l’ analyse du scrutin fournie par l’ Assemblée nationale.
    Par ailleurs, 10 députés du groupe écologistes ont participé au vote, 2 du groupe démocrate et indépendant, 3 du groupe radical, républicain, démocratique et progressiste, 3 du groupe de la gauche démocratique et républicaine et un non inscrit.
    Il est plus qu’ urgent de virer tous ces parlementaires INUTILES qui nous pompent l’ air et notre Fric !!!!!
    Ensemble ,tous ensemble, tous ensemble ,OUI virons tous ces fossoyeurs de la République et de la Démocratie représentative !
    Français, Françaises,ces élus à tous les niveaux (à de rares exceptions) profitent de votre « bienveillance »! Virez tous ces profiteurs de la République qui s’ enrichissent à vos dépens par argent,sexe, voire drogue interposés.
    Tous ces élus multi tâches qui font tache dans cette République démocratique , vantée comme irréprochable par son actuel chef,virez -les, ILS vous mènent à votre malheur !
    Bien à vous dans le désastre annoncé.
    JC BAERT

  7. Démonstration flagrante du parfaitement INUTILE de cette « bouffonnerie »: l’hémicycle quasi désert pour l’entrée en discussion de la déchéance de nationalité.
    Mais la question se corse : tous ces absents de leur charge de représentation du peuple ne seraient-ils pas devenus à leur tour INUTILES ?

  8. Pas de problème vous avez dit l’essentiel :
    « la quais-totalité des français sent bien qu’elle est totalement inutile, inefficace et inapplicable ».
    Circulons sur un pas de Valse ou de Tango ou encore sur un pas de Sire t’a Qui ? Y a plus rien à voir ni à attendre de cette cohorte de NIACS élus ou cooptés par des NIACS ? La FRance se meurt, Vive la France !

  9. Delaisse Jean-Paul // 29 janvier 2016 à 10 h 15 min //

    @ BAERTJC: OK, mais cela va encore plus moins et plus vicieux à mon avis : ces « joyeux drilles » au pouvoir en profites, lors de ces modifications de base de la république, pour faire passer en catimini des modifications visant à retirer à la Consitution ces articles de fonds, qui permettait à la République d’échapper au régime des partis, volonté du Général. Ainsi, comme cela arrange beaucoup le congrès, composé essentiellement des profiteurs et « professionnels » que l’on sait, ces modifications seront sans doute adoptées sans discussions autres que celles relatives à la déchéance. Déchéance dont la quais-totalité des français sent bien qu’elle est totalement inutile, inefficace et inapplicable. Comme stérilité de gouvernance, il n’y a pas mieux !

  10. Comme toujours avec les idéologues socialos (mais aussi avec ceux de droite),quand on veut réviser des textes pour laisser sa marque personnelle dans l’Histoire de la République, on feint de dire,on joue sur les mots,on fait des phrases alambiquées, pour mieux contourner dans les actes et rendre l’application des textes souple et souvent inefficace. Cette révision constitutionnelle est un tissu de circonvolutions intellectuelles que les députés et peut-être sénateurs s’apprètent à voter l’INUTILITE pour rendre la vie de leurs concitoyens un peu plus anxiogène et ouvrir de nouveaux espaces à celles et ceux qui au quotidien ont décidé de pourrir la vie à nos compatriotes.Nous sommes donc lancés sur le tobogan de la stupidité politicienne et on ne voit pas ce qui arretera les protagonistes lesquels, par exemple, ont voté la prolongation d’Etat d’urgence avec le volet interdiction de manifestation sur la voie publique et les manifestations syndicales répandues partout en France dans nos villes et sur nos routes.
    Le droit s’expression syndical est ainsi devenu dans les faits supèrieur à l’Etat d’urgence.
    On marche sur la tête et l’équipe soignante qui devrait prendre en charge le malade France n’a pas encore obtenu son droit d’exercer!

  11. Gilles Le Dorner (Bourges) // 27 janvier 2016 à 20 h 50 min //

    Quant à quelque déchéance-aux-délits-les-plus-graves et sans nommer la bi-nationalité , elle serait plus qu’inutile , elle falsifierait plus largement le Droit établi par et en nation en rejetant la peine hors nation ou modifiant d’un texte constitutionnel les peines , à réagir à chaud en valeurs mais au passionnel , fragilisant encore un peu plus la Constitution socle du Droit , comme de la séparation des pouvoirs .

  12. Delaisse Jean-Paul // 16 janvier 2016 à 22 h 41 min //

    Je me suis énervé un peu, le Général m’aurait regardé de travers ! mais je ne renie pas l’esprit !

  13. Delaisse Jean-Paul // 16 janvier 2016 à 22 h 38 min //

    100% d’accord aussi, sans réserves ! Ce n’est pas la Constitution qui engendre les dérives, ce sont les manigances (perverses ?) de ces gugusses qui détournent son esprit, en utilisant ses possibilités démocratiques. Tout ces « gugusses sont d’ailleurs tous issus de la machine devenus uniquement créatrice d’inaptocrates, l’ENA (belle chose au départ, détournée également de ses objectifs) ! Maintenant, je suis contre la contituantion sur ces bases là, qui nous mèneront aux mêmes résultats insupportables. Le Salut Public ? certes, je suis pour ! remettons en état la guillotine place de la Concorde, elle aura du boulôt, ça rappellera des souvenirs, et cela sera plus efficace que les effets de manche sur TF1 de nos valeureux politiciens avides de pouvoirs, mais dénués de capacités. Révolutionnaire ? moi ? non, réaliste !

  14. 100% d’accord avec ce constat éclairé de Alain Kerhervé. La suite c’est quoi ?
    On continue sur les mêmes bases, on fait oeuvre de salut public ou on s’en accomode au pays qui transmet les valeurs de la « fourberie » par élu(e)s interposé(e)s ?

  15. Chacun peut librement s’exprimer sur Gaullisme.fr. C’est votre cas et je ne peux que m’en réjouir. Mais, je ne vois pas en quoi Notre constitution engendre des dérives insoutenables de l’ argent public. Notre constition est un texte et un cadre, ce sont les Hommes politiques qui l’appliquent, et j’en conviens, pas toujours de la bonne façon.

  16. Il est évident que ces propositions et débats inutiles, servent à cacher les vrais problèmes et sont parfaitement inutiles Le plus lamentable dans cette affaire ,c est que le Congres se réunit à Versailles et que chaque participant est indemnisé pour cette séance par une somme rondelette. CQFD: aucun n’ y manquera même pour s’abstenir.
    Notre constitution engendre des dérives insoutenables de l’ argent public sur lesquelles aucun citoyen n’ a pouvoir sinon de les dénoncer.

  17. Mais oui c’est complétement inutile, sauf dans les cerveaux « tordus » qui s’apprêtent à voter un texte fourre-tout à la sauce hollandaise.
    C’est surtout une façon de gaspiller l’argent publique, tout comme les primaires des partis ,mais surtout divertir les Parlementaires de leur devoir d’excellence en matière d’examen en profondeur des projets de Loi en les occupant au transport à Versailles et à l’occupation des plateaux de Télé.

  18. Delaisse Jean-Paul // 11 janvier 2016 à 23 h 17 min //

    Complément : petit à petit, par la faute de ces orgueilleux incapables de vision de l’avenir, la constitution de la Vè est peu à peu dépouillée de son but, et par la suite, vidée de son efficacité. Un vrai délice pour les nostalgiques de la chienlit d’avant…..

  19. Delaisse Jean-Paul // 11 janvier 2016 à 22 h 12 min //

    La conclusion est : lamentable résultat en effet de l’inaptocratie, quelle que soit son bord….

  20. Constitution, devenue un instrument de marketing et de de com …
    Merci de le dire, avec talent, Mme Le Pourhiet.

    Parmi les principaux responsables de ces pratiques mortifères : MM Chirac et Juppé.

  21. Gilles Le Dorner (Bourges) // 11 janvier 2016 à 20 h 34 min //

    Un conseil très raisonnable . Il est vrai aussi que les membres du Conseil Constitutionnel sont tenus au devoir de réserve dans les prises de position ou conseils sur le mode officiel , ce sans exception et même de quelque congé temporaire , et peuvent toutefois récupérer leur liberté de parole en démissionnant . (Ce qui aurait pu advenir en contradiction aux heures d’ un choix de la ratification par le Congrès du mini-traité de Lisbonne .)

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