Le président flop

 

 

Par  François Bonnet – Médiapart.fr

 

Europe, euro, G-20, croissance, crises et tourmentes : le président vous protège. Tel était l’ordre du jour de l’émission télévisée de ce 27 octobre voulue par Nicolas Sarkozy et soigneusement mise en scène à l’Elysée: «J’ai un travail à faire dans une période épouvantablement difficile, je fais ce travail», a-t-il dit.

Tout le monde l’a compris : ce qui figurait sur le carton d’invitation n’était pas le vrai menu. Le président Sarkozy vient de lancer la campagne présidentielle du candidat Sarkozy. Et il l’a fait avec quelques idées fixes: défense de sa réforme des retraites, attaques contre les fonctionnaires et «l’assistanat», dénonciation des 35 heures et des errements socialistes depuis 1981. En parlant d’abord et seulement à un électorat de droite convaincu, et dans un exercice d’autojustification ne laissant pas de place à de nouvelles perspectives.

Nicolas Sarkozy annoncera sa candidature «fin janvier, début février». D’ici là, nous sommes dans cette phase classique de pré-campagne présidentielle, ce temps particulier où se construit la défaite ou la victoire. Ce fut particulièrement vrai en 1995, quand Jacques Chirac entama dans ce moment précis, par un ratissage méthodique du pays, une sortie des tréfonds de l’impopularité, alors qu’un camp Balladur, certain de l’emporter, s’enfermait dans sa bulle.

Ce fut aussi le cas en 2002, quand Lionel Jospin commit probablement l’erreur stratégique de croire que sa position de premier ministre auréolé d’un bon bilan suffirait à le conduire à l’Elysée.

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Six mois de l’élection présidentielle : c’est le moment où se mettent en place les dispositifs de campagne. C’est surtout le moment où s’enclenche un compte à rebours impitoyable qui, progressivement, transforme le champ politique en ring de boxe. Chaque round compte ; et à la fin de chacun, l’opinion compte les points. L’enjeu primordial est la maîtrise de l’agenda médiatique : occuper le débat public, l’organiser, imposer ses thèmes C’est ainsi, semaine après semaine, puis jour par jour, que se construit une victoire présidentielle.

Nicolas Sarkozy le sait sans doute mieux que tous, lui qui, fort de l’expérience du désastre de 1995, a fait en 2006/2007 un parcours sans faute, « en racontant une histoire au pays », comme disaient alors ses conseillers, et en réussissant cette prouesse de se faire accepter par les électeurs comme la « rupture » et « l’alternative » à une droite pourtant installée à l’Elysée depuis douze ans.

Aussi la plus grande des surprises de cette rentrée est-elle l’incapacité du président de la République à reprendre la main, à bousculer l’agenda, à concentrer regards et débats sur sa personne. La réponse n’a pas été donnée, ou des plus maladroitement, ce jeudi soir. Quel nouveau Sarkozy? C’est un exercice certes bien rodé, facilité par l’absence de questionnement pertinent ou seulement précis des journalistes choisis par l’Elysée. Mais la longueur des monologues présidentiels a anesthésié plutôt que dynamisé cette entrée en campagne.

Or cette émission télévisée – la première depuis février 2011 – devait signifier le redémarrage du moteur élyséen. Après une cure de silence accompagnée d’humbles et discrets déplacements en région – et justifiée comme une énième opération de « représidentialisation » par ses conseillers , l’opinion allait retrouver la vista visionnaire du guide… L’obsession dite « pédagogique » du président, soudain devenu professeur ès-crises, n’aura créé ni surprise, ni bouleversement, ni sursaut.

Equation cauchemardesque

Au sortir de ces explications, l’équation demeure tout autant cauchemardesque pour l’Elysée et l’UMP, sauf à croire qu’une très longue opération de reconquête portera in fine ses fruits. Mais l’horloge avance et le constat est autre : semaine après semaine, l’Elysée échoue à marquer des points, à reprendre la main, à imposer son tempo.

Car Nicolas Sarkozy n’a eu que de bien vieux arguments à faire valoir. Reconnaissant «la crise de la dette», il a pu facilement, faute d’interrogations précises, s’en exonérer. Or les menaces qui pèsent sur le fameux triple A de la France sont d’abord la conséquence d’un endettement qui a explosé sous son mandat: depuis 2007, celui-ci a augmenté de plus de 700 milliards pour atteindre 1.650 milliards. Et la crise n’est responsable que du tiers de cette augmentation, selon une récente étude de la Cour des comptes.

Les explications consistant à renvoyer les responsabilités aux socialistes de 1981 (retraite à 60 ans, nationalisation des banques), aux socialistes de 1997 (les 35 heures), aux chiraquiens (l’intégration de la Grèce dans la zone euro en 2001), apparaissent comme autant d’échappatoires, abondamment utilisées lors de la campagne de 2007 et qui paraissent aujourd’hui largement obsolètes.

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On peut ne pas le voir en France mais l’Europe l’a déjà compris. C’est ce qui explique comment, durant l’été, la chancelière Merkel s’est emparée de la conduite des affaires européennes et du pilotage de la crise grecque pour imposer, une par une (du défaut partiel de la Grèce à la mise sous cloche de la BCE, en passant par la recapitalisation des banques) ses solutions, qui répondent d’abord aux intérêts propres de l’Allemagne. Cette dernière semaine de rencontres en urgence et de sommets européens extraordinaires a achevé de mettre en scène un président français affaibli.

L’UMP fait ses comptes et le parti présidentiel voit lui aussi le compteur tourner en sa défaveur. Depuis le début de l’été, les catastrophes succèdent aux catastrophes : affaire Takieddine, scandale des surveillances téléphoniques des journalistes, enquêtes judiciaires sur les proches du président, perte historique de la majorité au Sénat… et primaire socialiste.

Le président peut à nouveau balayer d’un revers de main, comme il l’a fait ce soir, la multiplication des affaires, l’avancement des multiples enquêtes judiciaires en cours. Le financement illicite de la campagne d’Edouard Balladur en 1995, la mise en examen de son ami Nicolas Bazire, les soupçons de corruption sur fond de rétrocommissions ? «Vous inventez la présomption de culpabilité!!!? Naturellement, il ne sortira rien de tout cela et vous le savez.» Etonnant verdict d’un président sur une justice faisant son travail, malgré les innombrables obstacles qui lui sont opposés par ce pouvoir. Défense piteuse, quand les éléments ne cessent de s’accumuler qui provoquent les mises en examen de plusieurs proches du président.

Le camp présidentiel a également largement sous-estimé l’effet de souffle du processus de désignation du candidat socialiste. Il attendait un congrès de Reims à grande échelle : ils ont eu un débat démocratique et citoyen inédit qui a largement intéressé le pays et intelligemment repolitisé cette période. Pire : l’autre effet de cette primaire est d’avoir durant un mois et demi occupé tout l’espace public, laissant quelques miettes aux si voraces Nadine Morano, Jean-François Copé et Valérie Pécresse soudain condamnés à devenir les commentateurs énervés des débats socialistes.

Ainsi, si l’on fait le compte de ces semaines médiatiques occupées, dominées, maîtrisées par l’un ou l’autre camp depuis la fin du mois de juin, le résultat est terrible : UMP et Elysée les ont toutes perdues. La revanche devait venir immédiatement après le 16 octobre et la désignation de François Hollande comme candidat du PS. Mais rien ne s’est passé comme prévu, obligeant le chef de l’Etat à repousser son émission (initialement programmée lundi).

Pire, le week-end passé, qui devait être consacré au dézingage en règle d’un François Hollande « flip-flop », hésitant et inexpérimenté, a été kidnappé par la colère de Rachida Dati passant au Kärcher François Fillon, le parachuté de Paris. Pire encore, la discussion budgétaire, censée illustrer la rigueur juste, laissait échapper une bombe : une hausse de la TVA ! Voir à ce sujet, l’éclat de fureur d’Henri Guaino : « Vous le saurez une fois que nous y serons, et c’est tout!» Ci-dessous, la vidéo de la colère du conseiller spécial de l’Elysée:

La plaisanterie du Guide suprême

Nicolas Sarkozy, submergé par un agenda européen qu’il ne maîtrise plus ; François Fillon organisant d’ores et déjà sa retraite ; Jean-François Copé ne tenant plus un parti à la dérive ; des courants (Droite populaire, droite sociale, droite humaniste, droite centriste, droite gaulliste, droite chiraquienne) parlant dans le désordre ; Brice Hortefeux abonné aux tribunaux et aux juges ; et des parlementaires d’abord occupés à éviter leur défaite aux législatives de 2012. Le spectacle de la droite ne laisse pas de surprendre tant le « projet », les axes et la machine de campagne demeurent incompréhensibles, masqués qu’ils sont par une foire d’empoigne généralisée.

poleIl reste donc Nicolas Sarkozy. L’émission télévisée de ce jeudi a mis en scène sa solitude. Certains à droite y verront la grandeur de l’homme debout, version XXIe siècle du Général. Lui-même entretient cette belle imagerie, abusant du «Je», explicitant ses presque souffrances de président: «Je comprends que les Français sont inquiets, je le suis aussi (…) Je suis là pour faire un travail difficile, complexe et les Français jugeront (…) C’est mon travail (…) Je suis là pour dire la vérité même si elle est difficile à entendre (…) Mon rôle, ce n’est pas de parler, c’est de prendre des décisions.»

Aimable plaisanterie du Guide suprême quand, dans le même temps, Angela Merkel, qui connaît pourtant avec sa majorité des difficultés similaires, prend le temps de consulter ses alliés, de débattre et d’accepter un vote au Bundestag qui lui est massivement favorable. Plaisanterie et imposture, quand l’opinion veut d’abord débattre, partager et participer – c’est une autre signification de la primaire PS – à des choix fondamentaux qui sont en train, déjà, de corseter l’avenir, celui de l’Europe et celui d’une éventuelle alternance si la gauche l’emporte en 2012.

Mercredi, tandis que le chef de l’Etat s’échinait à faire croire qu’il sauvait l’Europe, un autre record était battu : avec la nouvelle hausse du chômage intervenue en septembre, le cap des 4,7 millions de demandeurs d’emploi (toutes catégories) inscrits à Pôle Emploi est franchi. Pour la première fois. Et le chef de l’Etat n’en a pas dit un mot.

1 commentaire sur Le président flop

  1. PIERRE DOMECQ // 10 novembre 2011 à 15 h 53 min //

    Je suis, dans l’ensemble, d’accord avec votre enoncé sur la situation de notre « superpresident » qui se croit le sauveur, et n’est rien d’autre que le gendarme de GUIGNOL!
    Mais, malheureusement, il n’est pas sur qu’il sera battu, et meme s’il l’était, je ne vois d’amelioration de qualité, ce sera une differente methode mais dans un but similaire, et le declin de LA FRANCE va s’accentuer, a moins que…………………
    Il faudrait que, beaucoup de gaullistes votent pour un Dupont Aignan, pour que cela puisse vraiment changer, malheureusement, meme si les gaullistes de coeur votent pour lui, la grande majorité des profiteurs voteront pour l’UMPS, comme dit Marinette!
    L’AVENIR N’EST PAS BIEN ROSE (sans vouloir me referer au PS) et LA FRANCE A ENCORE A TROUVER SA VOIE, POUR REDEVENIR CE QU’ELLE FUT!
    VIVE LA REPUBLIQUE, VIVE LA FRANCE!

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