Note pour l’Algérie

Dans un courrier adressé à Michel Debré le 29 août 61, le général de Gaulle lui transmet une « instruction au sujet de l’Algérie » pour lui-même et les ministres concernés. Cette note marque bien l’évolution de la pensée du Chef de l’Etat qui prend en compte le poids des réalités politiques. Il y traite notamment du futur Etat algérien, du regroupement des européens de souche et des intérêts français au Sahara.

 

« Vis-à-vis de l’Algérie, notre politique est celle du dégagement. Nous rejetons absolument la conception pratiquée depuis la conquête et suivant laquelle l’objectif consistait à garder, coûte que coûte, la responsabilité politique, administrative, économique et militaire de l’Algérie. Bien au contraire, nous sommes convaincus que c’est là une conception qui, pour avoir été valable en d’autres temps, est aujourd’hui vaine et anachronique et que l’intérêt, l’honneur, l’avenir de la France n’ont rien à voir avec le maintien de sa domination sur des populations qui ne font point partie de son peuple et que tout porte déjà et portera de plus en plus à s’affranchir et à s’appartenir. L’objectif principal et le succès consistent donc pour nous à faire en sorte que la charge d’être des possesseurs ne nous incombe plus désormais sur l’ensemble de l’Algérie.

Cela étant, le problème se ramène à trois termes essentiels : institution d’un État algérien ; rapports de la France avec cet État ; avenir du Sahara.

Pour l’État algérien, c’est de l’autodétermination, c’est-à-dire du suffrage des habitants, qu’il doit normalement procéder, puisqu’il n’y a pas, en Algérie, de légitimité ni de souveraineté antérieures à la conquête et à qui l’on puisse s’en remettre comme cela a été fait en Tunisie et au Maroc. Aboutir, d’abord, à un référendum qui décidera l’institution de l’État, ensuite aux élections d’où sortira le gouvernement, c’est notre but. Nous avons hâte de l’atteindre.

Mais il est d’une extrême importance que la « libre disposition », au cas où elle aurait lieu, ne s’effectue pas sous notre coupe directe. Nous nous trouverions « accrochés » plus étroitement et vainement que jamais.

C’est donc un pouvoir de fait algérien ne procédant pas directement de nous qui doit assurer l’exécution du référendum. Encore faut-il, naturellement, que ce pouvoir ait une consistance et une audience suffisantes et qu’il ait réglé avec nous les conditions dans lesquelles aura lieu l’opération. On pouvait, on peut peut-être encore, imaginer que le FLN, dès lors que tous combats et attentats auraient cessé, participerait à un tel organisme, ce qui, sans doute, lèverait du même coup les réserves des autres éléments musulmans. Faute que cela puisse se faire, la seule source concevable d’un exécutif algérien, c’est l’ensemble des élus réunis en une assemblée et désignant des commissaires avec le mandat de conduire le pays au référendum et aux élections. Ce comité pourrait être étayé par des chefs et des forces d’origine locale formant le noyau d’une future armée algérienne. Afin de laisser ouverte la voie d’un arrangement avec le FLN, le comité exécutif pourrait, pour commencer, ne pas porter le titre de « gouvernement ». Mais il en exercerait les attributs à l’exception de ceux qui appartiennent strictement à la souveraineté : défense, politique étrangère, justice, monnaie, et qui seraient détenus par notre haut-commissaire jusqu’à l’institution d’un État sorti des urnes. Il y aura lieu de réunir en Algérie au mois d’octobre cette assemblée algérienne, de lui préciser la position de la France et de l’inviter à prendre ses responsabilités. Ce sera, sans doute, l’affaire du président de la République en présence du gouvernement.

Enfin, s’il apparaît, d’ici à la fin de l’année en cours, que rien de ce qui est algérien ne peut conduire la population à une autodétermination réelle, nous en tirerons les conséquences. Il s’agira de regrouper, sous la protection militaire, dans une zone à déterminer, les Européens de souche et les musulmans résolus à rester avec la France. Il s’agira aussi de « dégrouper » de cette zone les musulmans mal disposés. Ensuite et en fonction des évènements, ceux de ces éléments qui en exprimeront le désir, ainsi que ceux qui n’auront pas d’utilité dans la zone, seront progressivement transférés dans la métropole où leur implantation et leur situation future doivent être réglées sans tarder. En même temps, nous procéderons partout ailleurs à la récupération de nos forces et de nos autorités -, les barrages aux frontières étant tenus jusqu’au terme de l’opé­ration. Il va de soi que les crédits de fonctionnement et d’investissement concernant les territoires que nous laisserons à eux-mêmes seront bloqués à mesure. Alors, d’autres que nous auront à y répondre de la vie des populations.

Remarquons qu’il en serait de même si l’autodétermination aboutissait, dans la plupart des départements algériens, au rejet de la coopération avec la France et au refus d’attribuer à la communauté européenne les garanties nécessaires. Toutes dispositions doivent donc être prises pour que, dans ce cas, tout au moins les départements d’Alger et d’Oran expriment par le scrutin leur volonté majoritaire de ne pas être inclus dans un État algérien de cette sorte et de suivre un destin différent. De toute manière, il est nécessaire de préparer le regroupement sans attendre davantage.

Quant au Sahara, nous devons suivre à ce sujet une ligne de conduite qui tende à y assurer nos intérêts et tienne compte des réalités.

Nos intérêts consistent en ceci : libre exploitation et privilège de recherche du pétrole et du gaz ; disposition de terrains d’aviation et droits de circulation pour nos communications avec l’Afrique noire ; utilisation, jusqu’à la fin de 1964, de Reggane et du Hoggar pour nos expériences atomiques et, pendant une période de durée indéterminée, de Colomb-Béchar pour nos expériences spatiales. Pour ce qui est des réalités, il nous faut voir que tout Algérien pose et posera toujours en principe que le Sahara doit faire partie de l’Algérie, que l’État algérien, quelle que soit son orientation par rapport à la France, revendiquera sans relâche la souveraineté sur le Sahara, enfin qu’une fois institué un État algérien qui serait associé à la France, la plupart des populations sahariennes seront portées à s’y rattacher, même si elles ne l’ont pas explicitement réclamé d’avance. Il serait donc vain de mener le débat franco-algérien, qu’il reprenne avec le FLN ou qu’il s’ouvre avec un exécutif assumant l’autodétermination, sur la question de la souveraineté. Il s’agit simplement de savoir, – mais cela est essentiel, – comment l’association avec l’Algérie pourrait nous mettre à même de sauvegarder nos intérêts sahariens. C’est seulement dans le cas où une telle association serait refusée du côté algérien que nous aurions à maintenir au Sahara notre autorité directe pour autant et aussi longtemps que cela comporterait pour nous plus d’avantages que d’inconvénients.

Cependant et de toute façon, il faudra que les populations sahariennes soient consultées sur leur propre sort et qu’elles le soient dans des conditions qui répondent à leur diversité, autrement dit chacune pour son compte. S’il était d’abord avéré qu’un État algérien unitaire et associé à la France ne serait pas institué, on ne pourrait exclure l’hypothèse suivant laquelle tout ou partie des populations sahariennes se déciderait pour la création d’une sorte d’État fédéral ou confédéral saharien, qui aurait avec nous des liens particuliers.

Au total, notre action à l’égard de l’Algérie jusqu’à la fin de l’année en cours doit comporter à la fois :

L’encouragement et l’aide à apporter à un exécutif algérien qui se constituerait à partir des élus en vue d’aller à l’autodétermination.

Une rencontre avec le FLN si celui-ci la demande, mais seulement pour prendre note des propositions qu’il voudrait faire et quitte à poursuivre ensuite les pourparlers au cas où cela en vaudrait la peine.

En tout état de cause, la préparation active du regroupement dans une zone à déterminer, non point suivant ce qu’on peut rêver, mais sur une base pratique, c’est-à-dire limitée ; cette zone comprenant toutefois Alger et Oran. »

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