Au Maroc, les manifestations se multiplient avec comme cible la corruption
- Correspondance à Casablanca de José Douglas
Deux jours après des défilés rassemblant plusieurs dizaines de milliers de Marocains dans de nombreuses villes du royaume, et après plusieurs heures de négociations avec les syndicats, les autorités ont finalement cédé. 55 euros d’augmentation par mois dès le 1er mai pour les fonctionnaires quand les plus bas salaires stagnent à 200 euros: l’annonce est de taille. Le premier ministre a également annoncé que la pension des retraités ferait un « bond » de 70% pour s’établir à… 90 euros. Le roi est même intervenu pour promettre de choyer les ouvriers agricoles en « revalorisant le SMAG, le salaire minimum agricole » et en leur garantissant une couverture médicale.
Ces ouvertures du régime ont été aussitôt contestées. « Ne nous trompons pas, assure l’économiste Mehdi Lahlou, ces mesures sont un écran de fumée. Ce sont des mesures à la marge. Dans le milieu rural, qui représente plus d’un tiers de la population, les gros exploitants agricoles sont exonérés de l’impôt sur le revenu depuis 1986. Parmi ces gros exploitants, on retrouve le roi, le président de la chambre haute du Parlement, etc. Si on avait voulu une véritable réforme pour les ouvriers agricoles, on aurait rétabli cet impôt en redistribuant les richesses.»
Pour ce professeur à Rabat, les annonces gouvernementales ont principalement pour objectif de « réagir aux demandes de la rue. Ces dernières semaines, les syndicats se sont mis dans la partie, en plus des jeunes du Mouvement du 20 février. Le gouvernement tente de réduire le décalage entre les salaires du privé et du public car on détient le triste record dans le monde arabe. Entre les rémunérations du premier ministre Abbas el Fassi et un smicard, c’est un rapport de 1 à 50 ! ». Selon l’économiste, ces annonces risquent de faire pschitt car « ces mesures concernent essentiellement ceux qui ne descendent pas dans la rue. La priorité pour les manifestants, c’est la révolution constitutionnelle et la lutte contre l’impunité ».
La corruption, justement, tout le monde avait ce mot à la bouche, dimanche 24 avril. Les auteurs, supposés ou réels, des transactions douteuses, ceux qui font partie du « Makhzen économique », les « El Himma », « Majidi », des noms des proches du monarque étaient affichés sur des pancartes avec en dessous : « Dégage ».
Dans le cortège, Aziza, chef d’entreprise dans le textile est venue avec homme et enfants. « Dans mon secteur, tous les appels d’offres sont tronqués. Si vous n’êtes pas fils de… vous n’avez aucune chance », raconte-t-elle. Lasse, elle lâche : « On en a marre, la justice ne doit pas faire de différence de traitement, ce n’est pas normal. » Aziza explique que c’est la première fois qu’elle manifeste alors que le mouvement de contestation a débuté il y a deux mois. « J’ai peur que les choses traînent, que les promesses ne soient pas suivies d’effet. Jusqu’à quand on va attendre la liberté ? J’ai 38 ans, pour moi, c’est fini. Mais c’est pour mes enfants venus avec moi que je me bats ici.»
Son mari, biologiste, acquiesce et ajoute : « Il faut changer les règles politiques et économiques. Mon fils ne doit pas être le “fils de” pour réussir. C’est contre le favoritisme et contre la corruption au niveau des tribunaux, des commissariats que je suis là. Il faut réaliser ce que l’on promet, il faut une retranscription dans nos vies. Beaucoup de gens ne savent pas ce que ça veut dire le changement de la constitution. Mais il faut que ce soit palpable.»
La corruption est vécue comme une gangrène qui touche toutes les couches de la société. Dans la santé, l’éducation ou la justice, pas un secteur au Maroc n’échappe au « bakchich ». « Des clients viennent me voir en me demandant de trouver un juge pour le payer, témoigne Zohra, avocate. On s’en sort pas. Il faut miser sur l’éducation. On n’a pas d’autre choix. En matière d’alphabétisation, on est en retard, on est bien loin de la Tunisie. »
Des anciens patrons d’entreprises publiques accusés de corruption
Le discours de rupture prononcé par le roi il y a un mois et demi paraît aujourd’hui bien loin. Mohammed VI a beau avoir promis une réforme de la constitution, la commission de révision – dont les membres ont été nommés par décret royal – a commencé ses travaux, mais pour le moment sans convaincre. Car beaucoup de Marocains remettent en cause le mode de nomination des membres.
«Ils n’ont pas été élus par le peuple, ils n’ont pas de légitimité, s’emporte Abdelaziz rencontré dimanche à la manifestation à Casablanca. Il faut continuer de maintenir la pression. » Rachid Jankary, blogueur, partage ce constat. «Le mouvement va crescendo depuis deux mois. Si les gens redescendent dans la rue, c’est pour voir dans leur vie du concret. On a l’impression que l’impunité règne. Et les révélations dans ce domaine se multiplient ces dernières semaines.»
En effet, dans son dernier rapport, la Cour des comptes a épinglé un certain nombre d’anciens patrons d’entreprises publiques accusés de continuer à toucher leurs salaires alors qu’ils ne sont plus en activité. La filiale de Veolia, Amendis, est elle aussi mise en cause à Tanger et Tétouan pour des facturations fictives. Il y a deux mois, des manifestants s’en étaient d’ailleurs pris à ses agences dans le nord du pays.
Une autre affaire menace d’éclater. Selon le journal en ligne, Demain Online, nouvellement créé par celui qui fut la bête noire du régime, Ali Lmrabet, le gendarme de la Bourse de Casablanca a saisi le procureur du roi pour une vaste affaire de délits d’initiés. L’un des suspects serait « un important dirigeant du groupe MAMDA-MCMA » qui est aussi administrateur au sein des plus grandes entreprises, dont la holding royal. Autant dire qu’il pourrait être une bombe pour le « Makhzen économique » s’il vient à parler.
Situation que résume Khalid el Hariry, député USFP (parti de gauche), présent lui aussi à la manifestation à Casablanca : « Le constat de corruption n’a jamais été aussi fort. Le sujet a été maintes fois débattu au Parlement, mais il n’a jamais abouti. Maintenant c’est une demande populaire. On associe aujourd’hui des noms à la corruption. Aujourd’hui le système judiciaire ne fonctionne pas et est lui-même corrompu. Il faut rendre le gouvernement entièrement responsable de ses actes. Ce n’est plus au roi de nommer des grands commis de l’Etat, mais au gouvernement. Ainsi, il sera comptable de ce qu’il fait alors que le roi reste intouchable. »
Depuis maintenant deux mois, le Maroc vit au rythme de ce bras de fer entre le pouvoir et la rue. Avant les annonces des hausses de salaires dans le public, le roi avait accordé sa grâce à 190 prisonniers d’opinion. « Mais ça ne suffit pas, répond Abdelaziz, il faut libérer tous les prisonniers politiques .» Les dernières annonces sociales risquent certainement de créer le même effet. Et ne pas apaiser les dizaines de milliers de manifestants. Dimanche dernier, on pouvait lire ce slogan : « Le Maroc avance jusqu’à la victoire de la liberté ». Parions que dimanche prochain, on verra le même.
J exprime ma solidarite avec le peuple marocain dans ses revendications legitimes