Les idiots utiles de la Vichymania

 

  • Eric Conan – Marianne | Samedi 2 Octobre

 

petain-vichy-jpg C’est la mode : on met Vichy à toutes les sauces. Pour un rien, on évoque la délation. Pour une broutille, on renvoie son contra-dicteur dos à dos avec Hitler. Ceux qui pro-fèrent ces inepties comprennent-ils seulement ce qu’ils disent? Ont-ils cons-cience que, ce faisant, ils banalisent le nazisme, le vrai ?

Cela continue. C’est plus fort qu’eux. Vichy, toujours Vichy, devenu le plus petit comparateur commun. Pour attaquer ou pour se défendre. Pierre Moscovici, prétendant semi-déclaré aux primaires socialistes, vient d’évoquer pour parler des projets gouvernementaux, un climat « très pourri, très Vichy ». Depuis, penaud, il a fait son autocritique, mais il n’avait vraiment pas pu s’en empêcher. Et puis Jean-François Copé, embarrassé par sa mise en cause par Martin Hirsch à propos de son cumul de chef parlementaire de la majorité et de membre à temps partiel d’un grand cabinet d’affaires, qui n’hésite pas lui non plus : il s’indigne d’être victime de « délation » et insiste lourdement en expliquant que « pendant la guerre, son père a été sauvé par des Justes».

Voilà où nous en sommes : poser la très légitime question des conflits d’intérêts, c’est donc la même chose que de dénoncer des Juifs sous l’Occupation ! Pourquoi donc hésiter quand on n’a rien d’autre à dire pour se justifier ? Et voilà maintenant que Roselyne Bosch, la réalisatrice de « La Rafle », s’y met. Dans une interview publiée par la revue « Les Années Laser » à l’occasion de la sortie en DVD de son long-métrage sur la grande rafle du Vel’ d’hiv’, Roselyne Bosch explique que « les pisse-froids » qui n’ont pas pleuré devant son film médiocre et bourré d’inexactitudes historiques « rejoignent Hitler en esprit », parce que, savez-vous, c’est ce qu’«il pensait Hitler » : « que les émotions sont de la sensiblerie ».

Cet usage pathologique de l’Histoire, cette « vichysation » de tout débat politique ne sont pas nouveaux. «Revoilà les Sections Spéciales! » s’étaient exclamés dans les années 90 des cadres du Parti socialiste, en accueillant le juge Van Ruymbeke venu perquisitionner le siège de leur parti dans le cadre de l’affaire de financement politique Urba-Gracco. Bernard Tapie, se disant « persécuté » par les magistrats dans l’affaire OM-Valenciennes, avait lui aussi osé déclarer : « On fait comme pendant la guerre pour la rafle des Juifs. On disait : il y a ceux qui donnent et ceux qui partiront. Et on faisait le troc. Tu veux sauver ta famille? Tu m’en donnes dix… C’est ce qu’on veut faire à Eydelie -joueur de l’OM-. C’est ce qu’on veut faire à tout le monde, y compris aux Valenciennois ». De même l’association Act up, partenaire fondateur du Sidaction, s’est permise d’assimiler le sida à l’extermination des Juifs et les malades atteints aux victimes du nazisme et de l’indifférence des Français, accusés d’homophobie criminelle: « En 1940, ils regardaient passer les trains ; aujourd’hui, ils contemplent l’hécatombe! », proclamait ainsi une affiche de l’association. Et l’on se souvient que Pierre Bourdieu traitait Alain Finkielkraut de « collabo », parce qu’il accepte de participer à des émissions de télévision…

Un sommet avait été atteint avec l’organisation d’une manifestation contre les lois Pasqua sur l’immigration à la Gare de l’Est, les manifestants ayant osé défiler en tenue rayée de déporté avec une valise et un baluchon sous des pancartes assimilant Jean-Louis Debré à Pétain. Et déjà, Michel Rocard avait précisé que ces lois de droite réveillaient chez lui « l’angoisse que symbolisent les noms de Bousquet et de Papon ». Aujourd’hui, le même ne fait que récidiver en estimant que Nicolas Sarkozy est digne de « Vichy » et des « nazis ».

A l’époque, ces inepties qui provenaient pour l’essentiel d’une génération qui avait défilé en criant « CRS = SS » et qui voyait en de Gaulle un « fasciste », avaient provoqué les mises au point de quelques acteurs conscients des enjeux véritables du devoir de mémoire. Évoquant des « familles de déportés abasourdies » par ces « abus », Serge Klarsfeld, président de l’Association des fils et filles de déportés juifs de France, avait ainsi précisé que « manifester avec des valises » était grave, « car cela banalise ce qui s’est passé il y a plus de cinquante ans ».

Parce qu’au-delà de leur obscénité, ces raccourcis ineptes risquent d’avoir des conséquences terribles à une époque où l’inculture historique progresse et où les réalités criminelles du XXème siècle sont de plus en plus difficiles à évoquer avec des jeunes générations perméables aux rumeurs les plus dingues. Le propre de la désinvolture avec la vérité historique est d’ignorer le mal qu’elle entraîne. La plupart de ceux qui transforment l’Histoire en libre-service à la disposition de leur bonne conscience ne se doutent pas de l’effet de leurs métaphores. Non seulement ils méconnaissent l’une des exigences minimales du devoir de mémoire – le respect pour le destin des victimes, des morts et de tant de vies brisées -, mais encore ils banalisent dangereusement les événements de ces époques tragiques. Surtout, ils ne voient pas qu’en répétant que la France d’aujourd’hui est à l’image de celle d’hier, ils laissent entendre que, finalement, Vichy et le nazisme n’ont pas dû être si terribles que cela. Les Juifs ? Mais on ne faisait, un peu brutalement, certes, que les renvoyer d’où ils venaient, explique d’ailleurs depuis longtemps le négationniste Robert Faurisson. Dire que les sans-papiers renvoyés chez eux en Afrique et les Roms roumains expulsés en Roumaine connaissent le même sort que les Juifs sous Hitler, ainsi que nous le répètent aujourd’hui tant de dangereux rebelles, c’est dire qu’aucun génocide n’a eu lieu. En vidant de sa réalité une Histoire qu’ils ne respectent pas, ces ignorants font, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, du négationnisme inconscient qui ne peut que renforcer le négationnisme pervers des antisémites. Robert Faurisson doit bien s’amuser. Les idiots utiles travaillent pour lui.

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