Une force nucléaire nationale de dissuasion : pourquoi ?

« Ignorer l’Histoire, c’est ignorer le loup qui est derrière la porte. »

 

  • par l’Amiral C. Gaucherand

 

bombeA Chaque citoyen est parfaitement en droit d’avoir une opinion sur un tel sujet. Encore convient-il que cette opinion s’inscrive dans un champ de réflexion cohérent.

Par exemple si l’on pose en principe que le nucléaire en général et le nucléaire militaire en particulier constituent un mal qu’il faut éradiquer de la surface de la Terre et que la France a vocation à donner le bon exemple, non seulement il ne faut pas entretenir notre outil ni le perfectionner mais il faut bien au contraire le ranger dans le tiroir des articles inutiles.

Autre exemple, si l’on pense que les Etats Unis et l’OTAN ont vocation à assurer notre sécurité et à préserver pour les décades à venir un mode de gouvernement démocratique sans que la France, la seule nation de la communauté européenne, ait encore à entretenir un outil aussi inutile que coûteux, il va sans dire que l’on aboutit en toute cohérence à la conclusion : pas de dissuasion nucléaire nationale.

Ce genre d’exemple peut être multiplié à l’envie : des gens parfaitement honnêtes, de bonne foi, se disant attachés à la France, au moins le soir du bal du 14 juillet, ou bien humanistes, écologistes, économistes de progrès, libéraux-libertaires, européïstes convaincus, chômeurs de longue durée, sans domicile fixe, banquiers internationalistes, pacifistes, généraux à de multiples étoiles, anciens Premiers Ministres de droite ou de soit-disant gauche etc. peuvent tenir ce genre de raisonnement ou un autre avec un point commun en conclusion : voilà pourquoi il faut détruire la force de dissuasion nucléaire nationale.

Alors, pourquoi ne faut-il pas ce faire mais tout au contraire entretenir l’outil nucléaire avec le plus grand soin, le perfectionner pour lui garder sa crédibilité aux yeux des plus puissants comme au regard de beaucoup de ceux qui le sont beaucoup moins mais détiennent pourtant un pouvoir de nuisance élevé ? Pourquoi faudrait-il reconsidérer c’est à dire remettre en question le concept national de dissuasion nucléaire pour le tenir en cohérence avec l’évolution du monde et de ses menaces ?

Pourquoi ? Pour un faisceau convergent de motifs dont le tout premier est qu’il est quelques leçons de l’histoire qu’il convient de ne pas oublier.

Lorsque en 1925 Aristide Briand, ministre des affaires étrangères de notre République rencontrait à Locarno ses homologues européens, l’allemand Gustav Stresemann, le britannique Austin Chamberlain, l’italien Benito Mussolini, un esprit de paix régnait sur l’Europe : la SDN allait être le garant d’un avenir paisible, la Grande Guerre était sans aucun doute possible la Der des Ders…

Quelques années plus tard, la crise économique mondiale était passée par là et, avec l’aide de la grande finance étatsunienne et celle de la City, le National-Socialisme avait pris les rênes à Berlin, constituant aux yeux du capital le rempart le protégeant du péril rouge. Nous connaissons tous la suite qui nous inspire les réflexions suivantes :

· Une politique de Défense qui n’est que le chapitre « défense » de la politique étrangère d’une nation, s’inscrit dans le long terme. Quel est le devin qui peut nous assurer que l’OTAN et la communauté européenne existeront encore dans cinq, dix, trente ans ? L’exemple du Pacte de Varsovie et de l’URSS ou bien celui de la Yougoslavie devraient rester présents à notre esprit. Qui peut affirmer que les Etats Unis ou la Grande Bretagne avec leurs lois sécuritaires et liberticides (Patriot Act 1 et 2 aux Etats unis, lois similaires en grande Bretagne) ne seront pas demain des Etats totalitaires ? Qui peut assurer que l’Allemagne dans dix ans n’exigera pas de reprendre ce qu’elle a par le passé considéré comme ses possessions alsaciennes et lorraines ?

La France connaît ses alliés d’aujourd’hui, la France nous répète-t-on n’a plus d’ennemis à ses frontières. Mais la France a-t-elle des amis ? Non. La France connaît-elle ses ennemis de demain ? Non. La France connaît-elle ses amis de demain, et d’abord en aura-t-elle ? Non et non. Elle aura des alliés peut-être et des intérêts sûrement qui seront éventuellement communs à d’autres ; c’est là tout ce qu’un homme d’Etat devrait pouvoir affirmer aujourd’hui, si toutefois il est intellectuellement honnête et rigoureux.

Pour ceux qui disent, qui pensent , qui professent que l’arme nucléaire est une arme périmée, pour ceux qui croient que les missiles anti-missiles sont la panacée et que donc notre force de dissuasion est bonne à mettre à la casse, il est une autre leçon à retenir de l’histoire, toute récente celle-là : les puissantes armées de Terre et de l’Air de l’Irak, aguerries et sophistiquées, n’ont pas dissuadé les Etats Unis et ses Alliés de les attaquer à deux reprises et de faire en sorte que cette puissance régionale laïque à l’économie développée et à la population – hommes et femmes – instruite revienne en quelques années « à l’âge de pierre » selon l’expression usée par un Secrétaire d’Etat, grand démocrate américain, au prix d’un nombre de victimes s’exprimant en million. Mais avez vous entendu que la petite et sous-développée Corée du nord, mise au ban des nations et suppôt de l’axe du mal, ait eu à essuyer autre chose que le feu des rodomontades de Washington ? Il est vrai que ce modeste pays maîtrise le feu nucléaire et la technologie des fusées.

Alors CQFD ?

Pas tout à fait. Car il en est qui manifestent l’opinion que le monde doit avancer sur la voie du désarmement nucléaire total. Qui ? Le Président des Etats Unis, mais pas tout seul. En France, MM Rocard, Juppé, Norlain sont parmi d’autres ceux qui soutiennent cette idée ; ils en ont bien sûr le droit et proposent que la France montre l’exemple. Imaginons donc une Terre enfin débarrassée des arsenaux d’armes nucléaires et posons nous la question de savoir ce qu’il reste en place…

Eh bien il restera parmi d’autres, une puissance militaire incontestablement plus grande, les Etats Unis d’Amérique, à ce jour une démocratie mais qui a fait la preuve qu’elle est capable de faire une guerre en violation des règlements internationaux ; une puissance qui a inscrit dans sa doctrine en matière de défense la guerre préventive et la volonté clairement affirmée de dénier à quiconque de posséder la maîtrise d’une technologie qui soit égale à celle dont elle dispose elle-même ; une nation qui à elle seule dépense pour sa Défense la moitié de qui est dépensé dans le monde dans ce domaine.

Autrement dit, reléguer la dissuasion nucléaire nationale au rang des accessoires inutiles revient pour l’agneau français à s’en remettre à la bonne volonté du loup nord-américain pour le jour où les intérêts de ce dernier ne coïncideront plus avec les nôtres. D’ailleurs ont-il jamais tout à fait véritablement coïncidé ? Chacun sait ce qu’il en est de la raison du plus fort…

C’est pour tout cela mis bout à bout que nous professons avec certain stratège chinois que l’ombre de la paix s’étend sur le monde au rythme même où s’agrandit la surface des nations qui maîtrisent l’arme nucléaire, celle dont le pouvoir égalisateur décourage de l’utiliser les fous de pouvoir qui constituent l’ordinaire de ceux qui gouvernent le monde, toutes nations confondues.

Dans cette optique, est-il plus ardent acteur de la paix que l’équipage en mission d’un sous-marin nucléaire porteur de ses 16 missiles mer-sol à têtes nucléaires mégatonniques ?

Voilà pourquoi la France doit continuer de disposer d’une force nucléaire nationale de dissuasion.

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