Hervé Gaymard : « La littérature est un extraordinaire viatique »

 

  • Article paru dans LE MONDE – Propos recueillis par Josyane Savigneau

 

 

 

herve_gaymard1 On a le sentiment, dans votre « Pour Malraux » (La Table ronde, 2006), comme dans « La Route des Chapieux. La politique et la vie » (Fayard, 2004), que votre passion pour la littérature vous a permis de résister à tout, notamment à votre démission, en 2005, à 44 ans, de votre poste de ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, après la révélation du montant du loyer de votre logement de fonction de 600 m2 : 14 400 euros mensuels.

A tout, je ne sais pas, mais la littérature est un extraordinaire viatique. Elle donne un recul et une force qui permettent de relativiser et de tenir en cas de coup dur.

Pourquoi alors avoir choisi la politique plutôt que la littérature ?

Pour moi, la littérature est une passion et une vie secrète, et la politique répond à ma soif d’agir. Même quand j’ai traversé cette épreuve, je n’ai jamais songé à abandonner la politique. J’ai continué d’exercer mes mandats locaux avec bonheur. J’ai dit, le soir de ma démission : « La passion de la France dure longtemps. » Cela correspond à quelque chose de très profond.

J’ai eu un engagement politique militant dès l’âge de 14 ans, dans le prolongement du général de Gaulle, André Malraux, Romain Gary, Pierre Jean Jouve… Mais je ne me suis présenté devant les électeurs que la trentaine passée, au début des années 1990.

Toujours des figures littéraires héroïques…

Ces figures littéraires enchantaient la politique, que je trouvais souvent terne et décevante. La sensibilité gaulliste, sans laquelle je ne me serais pas engagé, était, à mes yeux, autant littéraire que politique.

Ni le marxisme sectaire ni la droite classique ne me parlaient. Malraux, mort dans mon adolescence, a été un intercesseur. J’ai eu un des chocs de ma vie en découvrant Les Noyers de l’Altenburg, dans mon lycée d’Albertville. Malraux, c’était la littérature liée à l’action. Ministre de la culture du général de Gaulle, il était un personnage qui réconciliait pour moi la littérature et la politique.

La droite classique, l’UMP, à laquelle vous appartenez, vous parle-t-elle ?

Le projet initial de l’UMP, dont j’ai été l’un des cofondateurs, en 2002, était de rassembler les gaullistes, les démocrates-chrétiens, les libéraux, les radicaux et d’autres, dans leur diversité et la richesse de leurs sensibilités. Aujourd’hui, je regrette – je ne suis pas le seul – que le parti auquel j’appartiens soit dans une posture trop droitière, parfois caricaturale.

Est-on dans un moment historique de liquidation du gaullisme tel que vous l’avez rêvé ?

Depuis la mort du général de Gaulle, il a été liquidé souvent, il renaîtra donc, et quel que soit son nom. Le gaullisme, dans sa triple composante d’incarnation, de projection dans l’avenir, et d’action, reste une idée neuve. A condition de le métamorphoser. Ce qui est mon dessein.

Vous insistez sur la distance avec les apparences que vous donne votre passion pour la littérature. On comprend mal alors cette affaire d’appartement qui vous a fait démissionner.

On devait parler de littérature et c’est plus que lassant de s’expliquer encore sur cette affaire vieille de cinq ans. Je suis arrivé dans ces fonctions de ministre des finances en novembre 2004. Je me suis lancé dans le travail à corps perdu. Pris par l’action, je ne me suis pas personnellement occupé du logement de ma famille, avec mes huit enfants. Il y avait quatre ministres, deux logements de fonction à Bercy, et, comme auparavant, deux logements ont dû être loués à l’extérieur.

J’ai découvert, quelques heures avant tous les Français, le prix de la location, dont je comprends qu’il ait pu choquer. J’ai immédiatement présenté ma démission, que Jacques Chirac n’a acceptée que neuf jours plus tard. Cela me semblait évident, conforme à l’idée que je me fais du service de la République. J’ai remboursé toutes les sommes engagées. Dans ces moments de grande solitude, on se sent honoré de certains témoignages d’amitié : celui de l’amiral de Gaulle, de Sœur Emmanuelle, mais aussi de beaucoup de gens anonymes.

Estimez-vous avoir fait une faute, puis avoir été rejeté ? Certains vous considèrent désormais comme un loser.

Un défaut de vigilance assurément. Une faute personnelle, je ne le pense pas, car je n’ai à aucun moment pris de décision qui a conduit à cet engrenage. Mais je ne me suis pas défaussé et j’ai assumé.

J’ai payé à tous les sens du terme. Toujours et encore ? Je me suis reconstruit. Dès le lendemain de ma démission, j’étais chez moi en Savoie, au travail. De retour à Paris, j’ai repris mon vélo, le métro. Je ne suis pas très attaché aux apparences du pouvoir, la voiture, le chauffeur. J’aime cette phrase de De Gaulle : « La vie politique ne se résume pas à la vie ministérielle. Il est stupide de se targuer d’être au gouvernement et de se désoler de n’y être point. »

Loser… J’ai continué ma vie publique normalement. En 2007, j’ai été réélu aux élections législatives au premier tour, tout comme aux cantonales de 2008. Et je suis ouvert à l’avenir. J’ai mis à profit cette relative traversée du désert pour m’investir sur les sujets qui me passionnent, les pays émergents, l’Afrique, le livre et son avenir, les questions sociales.

Pendant cette « traversée du désert », le secours vous est venu de la littérature ?

Elle m’a aidé à supporter le choc. Et, même dans le quotidien de la vie politique, il y a tant de choses ingrates, peu glorieuses, qu’il faut avoir d’autres ancrages intimes… La littérature permet aussi de partager bien plus avec vos concitoyens. Elever la ligne d’horizon, refuser la démagogie et la facilité, remettre les choses en perspective, fait du bien aux gens, ils me le disent. En novembre 2009, un hebdomadaire local, La Tarentaise, m’a demandé un entretien littéraire, plutôt que de politique locale. J’ai été frappé des retours très positifs. Et les conférences que j’organise, localement, sur des sujets de fond, sont très appréciées. J’ai par exemple invité Henry Laurens, professeur au Collège de France, pour parler du Proche-Orient.

Dans « La Route des Chapieux », vous dites vous sentir chez vous au Proche-Orient.

J’ai vécu trois ans au Caire, juste avant de devenir député. Je sillonnais le Moyen-Orient et la Corne de l’Afrique. C’était un poste d’observation passionnant, et, en effet, je me suis toujours senti chez moi dans cette région.

Comment expliquez-vous que le personnel politique français soit de moins en moins cultivé, et se contente de lire des rapports d’experts plutôt que des livres ?

Certains sont sûrement cultivés et le cachent, parce que l’époque le demande. Mais il est vrai que, par rapport à la République des professeurs, des normaliens et des avocats, la République des technocrates prédispose moins à la culture classique. En ayant fait l’expérience, je sais que l’ENA émascule le style et la sensibilité et qu’il faut s’efforcer de lutter contre cela.

Votre goût pour la littérature ne se limite pas aux classiques, vous citez beaucoup d’auteurs contemporains.

J’aime découvrir, être surpris. Je n’ai pas eu la passion des cours de littérature à l’école, je me suis fait mon parcours personnel, une sorte de vagabondage littéraire, qui me permet d’aller toujours vers des auteurs nouveaux. Alexandre Vialatte, Guy Dupré, Jean Paulhan, Mario Rigoni Stern. Eugène Nicole, dont L’Œuvre des mers m’a fasciné, et j’ai été enchanté de le voir réédité récemment aux Editions de l’Olivier. C’est un livre sur Saint-Pierre-et-Miquelon, dont Nicole est originaire, mais c’est Saint-Pierre-et-Miquelon comme métaphore, comme la Sicile de Sciascia. A la base du style, il y a toujours les paysages et la sensualité, une aventure profondément humaine, que j’aime partager.

 

Ouvrages d’Hervé Gaymard

Pour André Malraux  – La route des Chapieux : La politique et la vie

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