Si la croissance de 0,3% enregistrée au deuxième trimestre est une bonne nouvelle, elle doit tout à l’intervention de l’Etat.
Christine Lagarde, qui a pour qualité de mesurer ses paroles, a cédé ce matin à la facilité en annonçant que la France « sort enfin du rouge, après quatre trimestres de récession ». Car, même si la récession est officiellement interrompue, la réalité économique du pays reste dégradée. Pour comprendre, il suffit de savoir que la progression de 0,3% du produit intérieur brut annoncée ce matin par l’Insee est calculée par rapport au chiffre du trimestre précédent. Pour prendre une image, un nageur qui a coulé à pic de 30 mètres dans un gouffre n’est pas sorti d’affaire parce qu’il est remonté de 3 mètres. Et on sait qu’il ne sera sauvé que lorsqu’il sera remonté à la surface et en état de nager.
L’Insee d’ailleurs a calculé la distance qui sépare l’économie française de la surface, appelé « acquis de croissance ». Selon l’Institut de la statistique, cet acquis de croissance s’établit à -2,4%. Ce qui signifie que si aucune variation de croissance (négative ou positive) n’était constatée à la fin de 2009, l’économie française reculerait de 2,4%. Pour être à zéro, il faudrait donc deux trimestre de croissance à +1,5% environ. On le voit, nous ne sommes pas du tout sorti du rouge, même si, à l’évidence, la « surprise » délivrée ce matin sur RTL par la ministre de l’Economie est une bonne nouvelle.
On aurait aimé d’ailleurs que Christine Lagarde s’étende un peu plus sur les causes de ce bon chiffre. En soulignant, par exemple :
1- Que le sursaut d’activité est à mettre directement en rapport avec l’état des comptes publics. Que si on a ce bon chiffre, c’est bien parce que l’Etat a soutenu l’activité, notamment de la branche automobile, qui a permis ce que l’Insee appelle : « la reprise de la production de biens et de services ». 7,8. Il aura fallu injecter 7,8 milliards d’euros pour éviter un effondrement complet de cette branche. De même, si la consommation s’est a peu près tenue, c’est bien à cause du parachute social français, qui permet de limiter les pertes de pouvoir d’achat des ménages. Ceux qui se lamentent si facilement sur « le gouffre du déficit » (- 86 milliards d’euros pour les sept premier mois…) savent désormais où va l’argent…
2- Le problème c’est que l’Insee nous indique que cette situation devrait perdurer, car l’Etat est toujours le seul animateur de l’économie nationale. « L’intervention de l’Etat a permis de contrebalancer le comportement des entreprises qui avaient surréagi à la fin de l’année 2008 en coupant dans toutes les dépenses. Mais pour obtenir un réel redémarrage, il faudrait que les agents privés, les entreprises, les ménages, les marchés, prennent la relève de la dépense publique », explique Henri Sterdyniak, directeur de département mondialisation à études à l’OFCE, qui ajoute : « On peut espérer un miracle ». Car ce que disent aussi les chiffres de l’Insee est plutôt pessimiste : les entreprises ont cessé pratiquement d’investir, afin de garder l’argent dans leurs caisses, et continuent de licencier.
3- Que l’action de l’Etat français aurait été bien insuffisante si nos voisins allemands n’avaient pas puissamment soutenu leur propre économie, créant un appel d’air pour les produits français. Encore une fois, c’est la prime à la casse automobile instituée par Berlin (deux à trois fois plus élevée que celle en vigueur chez nous) qui a drainé des exportations de voitures made in France. En 1920 on disait l’Allemagne paiera, et, bien, c’est fait ! Plus sérieusement on s’aperçoit que deux pays pratiquant le modèle social européen échappent plus vite à la récession que les différents modèles que préfèrent les néo-libéraux : Grande-Bretagne, Espagne, Etats-Unis.
Il faut néanmoins rendre justice à Christine Lagarde. Malgré l’utilisation abusive, hélas répandue, du code couleur statistique, elle a évité le triomphalisme. Nos confrères de RTL n’ont pas relevé son avertissement : « la situation du marché du travail devrait rester difficile au cours des prochains trimestres. » La phrase, d’apparence anodine, ne l’est pas, puisque demain, l’Insee doit publier les chiffres de l’emploi du même trimestre de l’année 2009, dont la ministre doit avoir connaissance. On s’attend à 200 000 suppressions de postes, ce qui évidemment relativiserait grandement tout discours sur « la reprise ».
Pour conclure, et puisqu’il s’agit ici de répondre à la question « qu’est-ce que la reprise ? », laissons au président Barack Obama le soin de répondre, lui qui déclarait dans un discours la semaine dernière : « On ne pourra pas parler de reprise tant que l’économie détruira des emplois. » La sagesse, non ?
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