Serge Klarsfeld : « Cette lettre dans laquelle de Gaulle incita Mgr Saliège à protester contre la persécution des Juifs »

Le général Charles de Gaulle (1890-1970) en uniforme pendant la Seconde Guerre mondiale, vers 1942. Alamy Stock Photo

Tribune Le Figaro – Dans une lettre adressée le 27 mai 1942 à l’archevêque de Toulouse, le général de Gaulle évoque un « certain aspect de l’atroce situation dans laquelle se trouve notre pays ». Un document méconnu que le président des Fils et filles de déportés juifs de France reproduit ici en intégralité.


Le 23 août 1942, prévenu de la gigantesque rafle que la police de l’État français de Vichy s’apprêtait à déclencher en zone « libre » contre des milliers de Juifs étrangers, Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, prit l’initiative de faire lire par les prêtres de son diocèse une lettre pastorale protestant contre les persécutions subies par les Juifs.

Cette lettre a connu un retentissement considérable ; elle a été diffusée clandestinement sur tout le territoire et elle a entraîné d’autres prélats, Mgr Gerlier, Mgr Delay, Mgr Théas, Mgr Moussaron (Lyon, Marseille, Montauban, Albi) à s’élever eux aussi contre l’arrestation et la livraison en zone occupée à la Gestapo de cette population juive qui avait fait confiance à la France et qui était vouée à un sort funeste.

Le Figaro a consacré en août deux pleines pages à cet épisode qui a marqué un tournant dans le sort des Juifs : la population française a suivi l’appel de ses guides spirituels ; elle est sortie de son apathie et a exprimé elle aussi sa sympathie pour les victimes juives et bien souvent sa solidarité pour les aider à survivre. Ce qui n’a pas été dit à propos de cette célèbre lettre, c’est qu’elle répond probablement à une demande spécifique du général de Gaulle.

Je m’explique : le chef de la France libre a fait venir de Londres par porteur clandestin une lettre datée du 27 mai 1942 à Mgr Saliège :

« Monseigneur,

Les remous profonds que provoque dans les âmes françaises certain aspect de l’atroce situation dans laquelle se trouve notre pays m’amènent à exprimer en toute confiance à votre Grandeur l’alarme que j’en ressens comme chrétien et comme Français.

Je me garderai d’énoncer aucun grief, mais je crois que l’attitude, fût-elle parfois d’apparence, prise publiquement par une partie de l’épiscopat français à l’égard de la politique et des gens dits « de Vichy », risque d’avoir des conséquences graves en ce qui concerne la situation du clergé et peut-être même de la religion en France après la libération.

Je souhaite infiniment que, tandis qu’il en est temps encore, la voix de nos seigneurs les évêques s’élève assez clairement et fortement pour que le peuple de France perde l’impression d’une sorte de solidarité entre les tendances du clergé et l’entreprise des gens qui ont proclamé, accepté et aggravé la défaite de la France.

Si je m’adresse à vous, Monseigneur, c’est parce qu’il me semble que votre Grandeur a discerné déjà ce que je me permets de lui exprimer et qu’ainsi quelque accord pourrait s’établir entre nous.

Vous pouvez être assuré, Monseigneur, que cette lettre est absolument secrète et que le porteur, seul, sait que je l’ai écrite.

Je prie votre Grandeur d’accepter l’assurance de mon profond respect.

C. de Gaulle. »

Cette lettre révèle que si, en 1967, de Gaulle considérait le peuple juif « sûr de lui et dominateur », en 1942, il avait considéré que la voix des prélats français devait s’élever pour défendre les Juifs et qu’il avait aidé à susciter cette historique prise de parole.

La lettre a été publiée telle quelle sur le site de la Fondation de Gaulle mais

1) elle n’est pas connue du tout et Le Figaro ne l’a, en conséquence, pas évoquée ;

2) et surtout, dans la lettre de De Gaulle transcrite par la fondation, il est écrit : « Les remous profonds que provoquent dans les âmes françaises certains aspects de l’atroce situation » alors que la copie manuscrite de la lettre de De Gaulle dont je dispose dit « certain aspect », au singulier. On peut légitimement penser que de Gaulle écrivant à Saliège en disant « certain aspect » au singulier exprimait son émotion sur un aspect particulier de la politique de Vichy. Si cet aspect n’est pas défini c’est probablement par prudence en cas de saisie de la lettre mais il est évident qu’il s’agit du problème juif ; que de Gaulle ne veut pas le mettre noir sur blanc alors que la propagande collaboratrice l’accuse d’être à la solde des Juifs.

L’évidence résulte aussi des conséquences de cette lettre qui a entraîné la prise de position publique si courageuse de Mgr Saliège sur le problème juif au moment même où trois convois de déportés juifs partaient chaque semaine à destination d’Auschwitz et où les chefs SS réclamaient à Vichy d’accélérer jusqu’à un train quotidien de mille Juifs. Mgr Saliège a réveillé la conscience des Français ; il l’a fait en répondant à la demande du général de Gaulle et il fut d’ailleurs le seul prélat à se voir décerner à la Libération la croix de compagnon de la Libération.

Cette lettre révèle que si, en 1967, de Gaulle considérait le peuple juif « sûr de lui et dominateur », en 1942, il avait considéré que la voix des prélats français devait s’élever pour défendre les Juifs et qu’il avait aidé à susciter cette historique prise de parole.

 

2 commentaires sur Serge Klarsfeld : « Cette lettre dans laquelle de Gaulle incita Mgr Saliège à protester contre la persécution des Juifs »

  1. Didier Bernadet // 30 août 2024 à 17 h 40 min //

    Il n’est pas nécessaire de comparer les positions de 42 et de 67 pour justifier, à mon sens, la position du Général vis à vis du peuple Juif. De même qu’il défendait vigoureusement leur cause en 42(ce quiconque de bien censé se devait de faire) de même son jugement sur la position d’Israël en 67 était lucide et représentait un constat. J’ai adolescent connu cette période des souffrances des Juifs pendant la guerre, avec des gens de ma famille qui les défendaient, notamment pour passer en Espagne. Puis à la fin des années cinquante j’ai participé dans la royale à des opérations au moyen-orient, en faveur d’Israël. J’ai constaté sur place leur fortes capacités militaires et leur engagement pour se défendre et attaquer, mais j’ai constaté aussi leur intransigeance, parfois leur orgueil, leur « agressivité » contre quiconque n’était pas tout à fait d’accord avec certaines façons de procéder. Les temps changent, les situations aussi et donc les jugements avec. Il faut l’accepter et sur ce plan, cela pose toujours un problème, même actuellement.

  2. Dêvacoumarane VILLEROY // 30 août 2024 à 16 h 42 min //

    Le Général De Gaulle a toujours défendu toutes les personnes persécutées en France et dans le monde. Il s’est fait une certaine idée de la France, en d’autres mots, un certain idéal de la France. L’un des philosophes mystiques de l’Inde disait: Les personnes qui ont un idéal peuvent commettre des erreurs mais elles en commettent beaucoup moins que celles qui n’en ont aucun.

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