Bruno Alomar : « Voulons-nous l’Europe de De Gaulle ou celle de Monnet ? »

Charles de Gaulle en 1962 et Jean Monnet en 1950. AFP /

Alors que les élections européennes se profilent, la tentation est grande, quand on ne parvient pas à convaincre, de prétendre simplifier le choix des citoyens en un « nous ou le chaos ! ». À cette aune, ignorant le mot de Paul Valery « l’histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré », certains se laissent aller à l’invective et aux simplifications douteuses, la plus regrettable ayant été le recours sans nuance à l’adjectif « munichois ».

Veut-on à tout prix « cliver » en matière européenne ? Il est alors une opposition nette qui remonte à l’origine de la construction européenne entre deux visions : celle du général De Gaulle et celle de Jean Monnet. En 1963, Jean Monnet avait, à la grande amertume de De Gaulle, participé à l’ajout au Traité de l’Élysée d’un Préambule rappelant l’importance pour l’Allemagne du lien transatlantique. Autre façon de dire : « l’organisation de l’Europe doit se faire sous égide américaine ». Le Général De Gaulle, dont on conçoit la méfiance à l’égard d’un Traité de Rome négocié sous la IVe République, avait précisément imaginé le contraire : un Traité pour qu’il soit clair que l’Europe serait organisée par et autour de la France et de l’Allemagne, sans autre maître. Cette opposition De Gaulle/ Monnet a donné lieu à un nouvel épisode en 1967. Le Bundestag adoptait alors une motion rédigée largement de la main de Jean Monnet condamnant sans équivoque la vision européenne du Général. Il est remarquable que cette divergence demeure aujourd’hui.

Le moins intéressant, en définitive, n’est pas de constater le cynisme ou l’inculture de ceux qui voudraient d’une Europe gaulliste et en même temps d’une Europe à la Jean Monnet. Il est de rendre à De Gaulle justice de l’équilibre de sa vision. Bruno Alomar

S’il est en effet un domaine dans lequel Emmanuel Macron, que l’on critique souvent pour manquer de constance, n’a pas varié, au moins dans les mots, c’est l’ambition fédérale, fidèle à la vision de Jean Monnet. La perspective en a été tracée par le discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017 sur la « souveraineté européenne ». Depuis, pas une semaine sans qu’Emmanuel Macron ne l’évoque. Or, pour qui comprend le sens du mot, souveraineté européenne et souveraineté française s’excluent. Au-delà des déclarations, les actes suivent, notamment dans deux domaines existentiels. La diplomatie d’abord. La volonté d’Emmanuel Macron – emboitant le pas au discours de Prague d’Olaf Scholz d’août 2022 – de faire passer les décisions de politique étrangère de l’UE de l’unanimité à la majorité qualifiée ne signifie à terme qu’une chose : la fin de la diplomatie de la France. En matière militaire, l’UE, contre la lettre et l’esprit du Traité qui précise que l’organisation des forces armées est une compétence nationale, ne cesse d’empiéter sur les prérogatives nationales (imposition de la directive 2003 sur le temps de travail aux forces armées etc.). Le programme du PPE, auquel appartiennent Les Républicains, héritiers en titre du gaullisme, largement inspiré par la CDU allemande, illustre cette approche fédéraliste. Il prévoit de nouvelles atteintes à la souveraineté des États dans ce secteur vital de la défense notamment en proposant la communautarisation du contrôle des exportations de matériels militaires, qui relève pourtant de la quintessence de celle-ci.

La vision et l’action du Général de Gaulle, restaurateur de l’État, modernisateur des institutions, sont l’exact inverse : assurer coûte que coûte l’indépendance nationale. Ceux qui s’en réclament aujourd’hui tout en épousant – en fait – la vision de Jean Monnet l’ont-ils compris ? Savent-ils que Jean Monnet, parce que le général De Gaulle incarnait l’indépendance, y compris à l’égard de l’allié américain, le qualifiait d’homme « dangereux » et s’est associé sans réserve à la volonté américaine de l’écarter ? Est-il exemple plus parlant, à cet égard, que la politique de la « chaise vide » imposée par le Général de Gaulle du 30 juin 1965 au 30 janvier 1966 par laquelle il s’est opposé au passage à la majorité qualifiée sur les sujets essentiels pour la France ?

Le moins intéressant, en définitive, n’est pas de constater le cynisme ou l’inculture de ceux qui voudraient d’une Europe gaulliste et en même temps d’une Europe à la Jean Monnet. Il est de rendre à De Gaulle justice de l’équilibre de sa vision. Car revenu aux affaires, De Gaulle aurait pu vouloir jeter aux orties le Traité de Rome et faire sortir la France de la construction européenne naissante. Il ne l’a pas fait. Son premier premier ministre, Michel Debré, rappelle ainsi que lors du premier Conseil des ministres, interrogé par lui sur l’attitude à adopter à l’égard de la CEE (l’ancien nom de l’Union européenne), De Gaulle avait su en discerner les aspects économiques positifs, justifiant pour la France d’y demeurer. Il n’était pas contradictoire pour lui de coopérer économiquement avec les autres États européens tout en préservant l’essentiel : la souveraineté française.



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