Charles de Gaulle et le principe de souveraineté

CONTRIBUTION / OPINION. Dans les moments troubles, il faut revenir aux fondamentaux, à savoir la vision de la souveraineté selon Charles de Gaulle. par Philippe OLAGNIER

Dans ses Mémoires de guerre, Charles de Gaulle écrit : « Cette Nation à qui, depuis 1500 ans, aucune tempête, pas même celle-ci, n’a pu ôter sa souveraineté ni arracher ses dernières armes. » En 1940, il est parti pour Londres, estimant que ceux qui avaient choisi une autre voie avec l’occupant n’étaient plus précisément l’incarnation souveraine du peuple, mais sa trahison.

En 1958, pour défendre en tous points la souveraineté d’un État stable, représentant le peuple de France, et plaçant la défense de ses intérêts au-dessus de tout, il dota la nation d’une Constitution fondatrice. Quand on le relit, un pincement au cœur nous saisit, car la souveraineté, il la déclinait sur tous les plans : institutions, défense, économie, énergie, technologie… Force est de constater qu’il aura, lui, et jusqu’à Georges Pompidou, travaillé à ce que sur chacun de ces sujets, notre pays soit doté d’atouts solides ! Hélas, sous l’impulsion de Maastricht, comme de la faiblesse qu’a eue la droite à défendre ses fondamentaux historiques, au nom de l’économie de marché telle que le concevait le modèle européen, tout a été très largement mis à mal.

Dans ses Mémoires de guerre, le général cite le terme de souveraineté pas moins de 75 fois ! Et il lui associe, aussi, assez souvent, celui d’indépendance, car son obsession était claire : la souveraineté devait rendre la France et son peuple le moins dépendants possible de quelque nation que ce soit. Sa pensée devrait donc nous inspirer, car c’est bien plus qu’une pensée, c’est le principe absolu, d’un État qui ne sert pas, mais sert d’abord et en priorité, sur tout sujet, la France et ses Français. C’est une posture de vrai politique et d’homme d’État, principe qu’il aura posé dès la Libération, ou ne reniant pas l’aide fournie par les alliés, il sut néanmoins leur faire comprendre, qu’il n’entendait pas reconstruire un pays en la vassalisant à ses libérateurs : « Nous redresserons la France, et nous reconstituerons l’unité nationale par la guerre aux côtés d’alliés, mais sans rien sacrifier de notre indépendance »

Sentant venir le projet européen, déjà évoqué a la fin des années 40, qu’il ne réfutait pas, comme on le lui a trop rapidement reproché, il se contenta de rappeler qu’une nation, c’est un État, et un État fort. Et il y a fort à parier qu’il se serait insurgé contre tous les abandons de souveraineté que nous avons trop vite concédé au nom de l’Europe : « Pour marcher droit vers un but, il faut que la Nation soit guidée par un État cohérent, ordonné, concentré, capable de choisir et d’appliquer impartialement les mesures commandées par le salut public. »

Il a rappelé aussi de nombreuses fois que la souveraineté ne se partage pas : il nomme ceci le principe d’indivisibilité ! Selon lui, la souveraineté consiste à conserver, pour ceux qui gouvernent, un pouvoir de décider de manière aussi autonome que possible, tout simplement parce qu’ils le font en vertu de la volonté populaire et au nom du principe de salut public. Pour lui, la souveraineté est un principe protégeant la démocratie : « La démocratie se confond exactement, pour moi, avec la souveraineté nationale. La démocratie c’est le gouvernement du peuple par le peuple, et la souveraineté nationale, c’est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave. »

Pour lui un État souverain, c’est « le lien le plus direct possible entre celui qui l’incarne et le peuple ». Il incarnera ce principe par son usage des référendums dont il tirera courageusement les enseignements quand, précisément, il sentit ce lien défaillant.

On peut facilement envisager ce qu’aurait été sa posture et sa dignité dans la crise actuelle. Il considérait qu’on ne peut, ni ne doit, gouverner contre le peuple que l’on représente, même si celui-ci est parfois difficile à comprendre. Jacques Chirac reprendra cette posture dans la crise du CPE, et du mouvement de révolte qui en résulta. La Ve République était pour lui, d’abord, donc un régime de souveraineté sur tous les sujets sur lesquels l’État entendait, au nom du peuple, et pour le peuple exercer son autorité.

Charles Pasqua dans son opposition à Maastricht, avec Jean-Pierre Chevènement gaulliste de gauche, ou Philippe Seguin, gaulliste social, estimèrent que cette étape de traité européen, enterrait le principe fondateur de la souveraineté nationale. Je leur donne raison ! De Gaulle savait ce principe contesté, fragile et soumis aux vents et marées des influences internationales et même souvent d’intérêts privés qui entendaient surpasser la sphère du politique !

Les dernières lignes de ses mémoires montrent combien il était réaliste sur ce sujet, mais le vieil homme resta un combattant par la plume nous exhortant à « garder une posture d’efforts pour préserver notre sphère de souveraineté contre les pressions externes, contre la tentation du renoncement », et de ce qu’il nomma « les ferments de la dispersion ».

Il n’aura été ni entendu ni écouté, et nous en payons le prix fort aujourd’hui, car tous les piliers de notre indépendance sont à reconstruire, un à un. Il martèle dans toutes ses œuvres écrites que la souveraineté est indissociable de la Nation, de son territoire, de son histoire. Les pages concernant la souveraineté du peuple sont édifiantes, en ce moment de crise que traverse le pays !

Le pouvoir se doit d’être souverain pour être l’expression directe, sincère, sans entrave de cette volonté populaire. Tout obstacle, corps constitué, groupement d’intérêt particulier qui s’insère dans cette relation y fait donc obstacle. La souveraineté repose largement sur le caractère épuré de cette relation : le pouvoir choisi par le peuple peut en retour lui demander efforts et sacrifices, au service de l’intérêt commun dont il est le garant. « La démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple, et la souveraineté nationale, c’est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave. » ; « La souveraineté, la dignité d’une grande nation doivent être intangibles. »

La souveraineté, c’est, pour de Gaulle, doter le pays technologiquement, industriellement et de manière agricole de tous les actifs économiques garantissant son indépendance ! Il ne cessera de rappeler que cette construction n’est jamais acquise, qu’il faut redoubler de vigilance, investir et rechercher sans cesse, innover et que ce soit dans tous les domaines de l’énergie comme dans la filière nucléaire que nous venons de massacrer, il faut être pionnier et constant dans son effort ! Pourtant, il faut aussi ne pas accepter de voir son idée de souverainisme comme inadaptée au monde moderne et à l’interconnexion des marchés qu’il voyait poindre déjà ! Souverainiste, mais pas nationaliste. Dès les années 1960, il indique qu’il est nécessaire de prendre en compte la réalité d’un monde qu’il qualifia, d’« interférent ». Il souligna qu’il en acceptait les règles, sans toutefois oublier que le principe souverain de l’intérêt de la nation française devait présider à toute orientation. N’est donc pas gaulliste qui veut ! Il ne suffit pas d’aller déposer une gerbe et poser devant les photographes à Colombey pour se déclarer héritier du grand chêne du gaullisme. Précisément, je pense que tous ceux qui ont collaboré à ce grand démontage, à cette solderie de la souveraineté nationale et qui n’œuvrent pas d’abord à sa reconstruction sont indignes de ce lieu !

Il y a dans le message du général, dans sa haute conception de la politique, dans son respect du peuple, de la nation, de son histoire, de sa culture, une source à laquelle, pour redresser le pays, nous serions inspirés de retourner nous abreuver !

9 commentaires sur Charles de Gaulle et le principe de souveraineté

  1. Gilles Le Dorner // 29 août 2023 à 12 h 41 min //

    « c’est une guerre mondiale » , en rappel d’ un appel . Et en leçon léguée , laissant dans la mélasse de quelque en-même-temps les atermoiements ou palabres ou cris d’ orfraie , il est temps comme il y a lieu , comme en rappel du Vietnam , de se mettre assis en tables plutôt qu’ une guerre de civilisation d’ un jour ou de 7 ou 100 ans . Sortir de la logique d’empires

  2. Gilles Le Dorner // 22 août 2023 à 7 h 15 min //

    Europe , OTAN ou hybrides des 2 …. Et les nations et les peuples ? Qui parle , comme pour certains commissionner, décide même d’armer et de payer avec nos sous , et au nom de qui ?

  3. Sans FOI, ni LOI, aux mains d’anti cléricaux et d’antimilitaristes notoirement reconnus, l’œuvre du GL de Gaulle est ainsi placée sous l’étouffoir.
    le Peuple de France n’en a semble-t-il que cure, sinon il le ferait savoir manu militari !!!!!!

  4. Il faut poursuivre votre engagement en défendant l’héritage du général et en militant pour poursuivre son oeuvre inachevée, notamment la Participation, projet révolutionnaire du Général

  5. chailloleau // 12 juin 2023 à 11 h 00 min //

    La Souveraineté du peuple de France c’est la Démocratie. Or actuellement c’est la Commission Européenne non élue par le peuple qui dirige tous les peuples d’Europe. Il faut sortir rapidement de cette Europe. De plus, il faut se souvenir que deux des fondateurs de l’Europe, le général de Gaulle et Konrad Adenauer, voulait une Europe afin de supprimer les guerres. On voit que ce désir de paix, n’est plus le souhait majeur de nos dirigeants européens mais une guerre qui rapporte surtout aux groupes financiers notamment américains. Non à cette Europe de la guerre. Revenons vite aux idées du Général de Gaulle. Dans ma jeunesse j’ai milité activement pour notre général.

  6. GENTY Jean Claude // 11 juin 2023 à 9 h 20 min //

    Vincent RB Blazy :  » Et surtout, c’est bien parce que la souveraineté se confond avec la démocratie, que celle-ci peut d’une part partir de la base locale, d’autre part être partiellement mise en commun entre Nations comme nous le faisons actuellement sous la forme de l’Union « . Votre commentaire est entaché d’une erreur fondamentale. L’unoin européenne actuelle nb’est pas une union de nations, mais un « gloubi boulga de « landers » dirigés par des personnages non élus (ou missionnés par des lobbyes uniquement soucieux de leurs intérêts) qui asservissent les nations européennes.Si vous n’avez pas vu celà, vous êtes totalement aveugle.

  7. Bel article mais j’émets deux bémols : J.-P.Chevènement fut un opposant au général de Gaulle; en effet, il soutint F. Mitterrand lors de la présidentielle de 1965 et il fut candidat socialiste lors des élections législatives de 1968 avec une profession de foi anti-gaulliste. Quant à P. Seguin, il changea d’avis sur la monnaie unique et vota en tant que député pour le traité d’Amsterdam.

  8. « il faut laisser chaque peuple disposer à sa façon de son propre destin ».
    Discours de Phnom Penh, 1er septembre 1966 .

  9. Vincent R.B. Blazy // 10 juin 2023 à 11 h 45 min //

    D’accord avec presque tout. N’oublions nonobstant deux choses au moins: «celui qui incarne» le pouvoir et la souveraineté, ce n’est pas une personne unique. C’est un État, sa chefferie, son Gouvernement, son Parlement, son autorité judiciaire. Et surtout, c’est bien parce que la souveraineté se confond avec la démocratie, que celle-ci peut d’une part partir de la base locale, d’autre part être partiellement mise en commun entre Nations comme nous le faisons actuellement sous la forme de l’Union: ce qui ne doit pas l’empêcher, bien au contraire, de satisfaire à cet échelon à tout ce qui est sagement prescrit dans cet article pour défendre avec force sa, notre souveraineté populaire commune!

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