Nucléaire : le rapport parlementaire qui étrille trente ans de « divagation politique »

Le rapport de la commission d’enquête dénonce la sape de l’atout nucléaire.

Par Bertille Bayart


Les conclusions de la commission d’enquête parlementaire sur la souveraineté énergétique rendues publiques ce jeudi dénoncent une politique «inconsciente et inconséquente».

On se doutait que ce serait sévère. C’est encore plus que cela. Comme si, au terme de six mois de travaux et de 150 heures d’auditions devenues virales par les députés, les bras leur en étaient tombés. « Souvent, nous sommes passés de l’incompréhension à la surprise, jusqu’à la consternation », écrit le député Renaissance Antoine Armand, en préambule du rapport de la Commission d’enquête sur les raisons de la perte de souveraineté énergétique, rendu public ce jeudi. « Le récit qui s’est reconstitué devant nous, c’est bien le récit d’une lente dérive, d’une divagation politique, souvent inconsciente et inconséquente, qui nous a éloignés et de la transition écologique et de notre souveraineté énergétique ».

Le rapport de la Commission réunie sous la présidence du député LR Raphaël Schellenberger, dont la constitution a été décidée à l’automne avant un hiver énergétique qui s’annonçait plus terrible qu’il ne l’a finalement été, reconstitue en 372 pages denses « trois décennies » d’errements. Une « histoire de décisions souvent partielles ou différées, voire contradictoires, pour des raisons parfois compréhensibles quand on se replace dans le climat de l’époque, mais qui ont conduit à des retards coûteux ». Et aussi une « histoire de décisions prises à l’envers, sans méthode, sans prospective, aux conséquences lourdes, et qui ne semblaient trouver leur source que dans des maux profonds : l’inconscience et l’électoralisme ».

L’illusion de la surcapacité

L’essentiel des travaux s’est concentré sur le mix électrique qui « s’est comme affaibli de l’intérieur ». Ce sont les capacités de production d’énergies renouvelables qui n’ont pas été développées au rythme qui s’imposait. Et c’est bien sûr la sape de l’atout nucléaire. Le rapport dénonce la décennie perdue (2000-2010) pendant laquelle la France a continué à vivre dans l’illusion de la surcapacité, n’a pas commencé à préparer vraiment la fin de vie du parc installé, et a laissé prospérer trop longtemps la « guérilla fratricide » entre EDF et Areva tout en prélevant d’importants dividendes chez le premier au bénéfice du budget sans donner droit à ses demandes de revalorisation tarifaire. Voilà pour Nicolas Sarkozy, mais aussi pour Lionel Jospin qui n’a pas convaincu les députés du bien-fondé de sa décision de fermer Superphénix. « Sans pourtant produire aucun élément pour étayer ses déclarations et en contradiction avec la quasi-totalité des avis des personnes auditionnées (à l’exception de Mme Lepage et de Mme Voynet, fortement engagées pour la fermeture de Superphénix), l’ancien premier ministre explique que sa décision reposait fondamentalement sur des raisons industrielles, à la fois techniques et financières. » « La filière nucléaire française a perdu là une partie de son avance dans la recherche de pointe qui faisait sa réputation mondiale, et laissé la place à ses concurrents », écrit Antoine Armand.

Le quinquennat Hollande a droit à un traitement particulièrement dur : « la loi de 2015, ses objectifs chiffrés dont les “50 %” et le plafonnement de la capacité de production nucléaire, suite logique de l’engagement politique pris en 2012, constituent un contre-exemple de politique énergétique ». Le rapport fait en effet un bilan désastreux de ce texte porté à l’époque par Ségolène Royal et qui transcrivait en préambule le point clef de l’accord politique conclu entre le PS et EELV en 2011 : la réduction à 50% de la part du nucléaire dans le mix électrique dès 2025, impliquant la fermeture anticipée ou dès leurs 40 ans de nombreux réacteurs. « Le choix de développer les énergies renouvelables électriques sans y adjoindre les moyens industriels nécessaires, et forcément en concurrence du parc nucléaire, s’est visiblement fait avant tout au détriment de la sortie des énergies fossiles. Si cette loi ne peut porter seule la responsabilité de la fragilisation de la filière nucléaire, elle a sans conteste adressé un signal destructeur à un moment crucial… »

Un « mur énergétique »

La politique menée par Emmanuel Macron après son élection en 2017 est également critiquée. Le rapport salue certes le retour d’une forme de rationalité industrielle et technique, et l’élaboration d’objectifs enfin circonstanciés qui « ont conduit, quoique tardivement », à une relance « sans précédent du projet nucléaire enfin concomitant, et non rival, de l’accélération des énergies renouvelables ». Mais il n’oublie pas de faire le bilan de la première partie du quinquennat : « L’arrêt de la centrale de Fessenheim – qui n’était pas une fatalité même en 2017 –, la suspension du projet de 4ème génération nucléaire ASTRID sans alternative industrielle ou expérimentale à la hauteur, la révision seulement partielle de la PPE (report du 50% de 2025 à 2035, NDLR) ont de facto continué à affaiblir la filière nucléaire ». La révision de la PPE en 2018 adresse ainsi toujours à la filière « le signal de fermer quatorze réacteurs en une quinzaine d’années (…) et l’attrition des compétences et de l’appareil industriel ne peut qu’en être aggravée ».

Il était prévisible que la fermeture des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim – confirmée par Emmanuel Macron après son élection et exécutée en 2020 malgré le retard de l’ouverture de l’EPR de Flamanville à laquelle la décision était initialement conditionnée – fasse l’objet de critiques particulières : l’Alsacien Raphaël Schellenberger est député de la circonscription où se trouve le site de Fessenheim. Il était moins évident qu’Antoine Armand se démarque d’une décision que le président de la République a dit « assumer » sans jamais exprimer de regret.

« C’est le choix de la continuité avec le quinquennat précédent qui est retenu et que le rapporteur ne peut que regretter au regard de la production d’électricité décarbonée que les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim auraient sans doute été en mesure d’apporter sur plusieurs décennies encore, au vu du niveau de sûreté indiqué et de la prolongation aujourd’hui envisagée du parc actuel », écrit le député Renaissance. Il estime surtout qu’il « n’était pas impossible de lancer les études et travaux préalables à la quatrième visite décennale et au retour d’expérience de Fukushima et donc de renoncer à la fermeture de la centrale » en 2017.

Le discours de Belfort de février 2022 qui lance officiellement le chantier de la construction de six voire quatorze nouveaux EPR a changé la donne. Associé aux objectifs de décarbonation, de sobriété et d’accélération du développement des énergies renouvelables, ainsi qu’à la prise de conscience des vulnérabilités du système énergétique français, il ouvre la possibilité d’un redressement. Défi immense : « Nous nous trouvons donc aujourd’hui face à un mur énergétique inédit qui ne se résoudra que par la sobriété et l’efficacité énergétique et par l’augmentation de notre production d’énergie décarbonée, au premier rang notre production d’électricité ».

Trente propositions

Antoine Armand recommande de ramener le portefeuille de l’énergie au ministère de l’Industrie et préconise de refondre la doctrine de sécurité d’approvisionnement du pays. Les députés de la commission d’enquête, affirmant qu’il faut « assumer un besoin croissant d’électricité pour la fin de la décennie, à l’horizon 2050 et au-delà », prennent date pour la prochaine loi de programmation énergie climat (LPEC) censée être examinée d’ici l’automne. Le rapport souhaite « une loi aux objectifs étayés par les enseignements des institutions scientifiques et techniques, qui couvre plusieurs décennies et qui fait l’objet d’une préparation et d’un suivi par le Parlement ». Il esquive – ce n’est pas le lieu – la complication supplémentaire créée par le contexte politique : rien ne garantit que cette loi, qui sera à la fois favorable au nucléaire (combattu par LFI et EELV) et aux renouvelables (détestées sur les bancs du RN et très souvent chez LR), puisse passer l’épreuve du Parlement sans recours au 49.3 qu’Elisabeth Borne exclut désormais…

Ensuite, le rapport « insiste sur l’impérieuse et urgente nécessité de réformer l’ensemble du cadre européen : la France doit cesser de subir des règles économiques qui fragilisent son industrie au mépris du principe de subsidiarité et sortir, le temps de négocier la réforme, du mécanisme de l’ARENH ; notre pays doit en tout cas défendre son patrimoine hydroélectrique et électronucléaire ». Antoine Armand, arrière-petit-fils de Louis Armand qui en était l’un des pères, demande aussi le respect et « un nouvel élan » pour le Traité Euratom de 1957.

L’urgence exige des moyens d’exceptions

Les députés tentent aussi de déporter un peu l’attention du seul sujet électrique, qui tend à monopoliser le débat français paralysé par l’opposition stérile entre pro-nucléaires et pro-renouvelables. Il appelle donc à rendre plus efficaces les dispositifs en faveur de la rénovation énergétique, et développer les « énergies renouvelables thermiques, largement sous-exploitées dans leur potentiel ces dernières décennies, alors qu’elles peuvent constituer un substitut direct aux énergies fossiles ».

Condition d’une plus grande souveraineté, le document insiste aussi sur « un soutien sur l’ensemble de sa chaîne de valeur, de l’approvisionnement en ressources (et en particulier en matériaux critiques) ». La France, estime Antoine Armand, doit s’autoriser en particulier à regarder ce qu’elle « a sous les pieds » et donc à exploiter les ressources minières éventuelles de son sol.

Le rapport appelle à « préparer le renouvellement complet du parc nucléaire », et donc à renforcer les moyens consacrés à la filière, notamment dans le domaine du cycle du combustible, et à « rattraper le retard pris en matière de recherche en relançant des programmes d’ampleur sur la cinquième génération ».

Et enfin, « face au mur énergétique qui se présente à court terme », le rapporteur propose, « outre le réinvestissement dans les centrales hydroélectriques, de continuer à accélérer le déploiement des sources renouvelables électriques jugées les plus rentables ». L’urgence exige des moyens d’exceptions : il faut, écrit-il, « lancer dès que possible les appels d’offres pour les 50 parcs éoliens offshore, et rendre contraignante leur installation ».

4 commentaires sur Nucléaire : le rapport parlementaire qui étrille trente ans de « divagation politique »

  1. Christian Picquenot // 1 mai 2023 à 11 h 31 min //

    Il ne faut pas laisser le parc éolien s’agrandir et laisser le fond de pension chinois investir

  2. pas étonnant quand on constate que pas un politique n’a fait une thèse, ete directeur de thèse, inventé quelque chose d’utile. Nous n’avons que des fonctionnaires, hélas

  3. Ne cherchons pas midi à quatorze heures, petit à petit les minorités agissantes anti nucléaires, anti militaristes, anti 5ème République, anti cléricales, ont fini par miner tous les rouages de l’Etat depuis le sommet jusque dans les basses couches de nos organisations territoriales et cela grâce à la complaisance de nombreux électeurs inconscients..
    Sauver la France de la vermine multicolore qui sévit aujourd’hui s’apparente à une lutte contre un cancer généralisé et il n’y a pas de place pour la médecine douce ni pour les bla,bla,bla anesthésiants.

  4. Didier Bernadet // 11 avril 2023 à 11 h 28 min //

    Je me souviens d’une conversation au début des années 90 à Bordeaux avec une grand PDG de EDF (que je ne nommerai pas) qui m’expliquait que l’Etat et les Français se réjouissaient d’avoir l’électricité la moins chère d’Europe, vu les tarifs « imposés » par le gouvernement, mais que c’était une catastrophe à venir car en procédant ainsi on ne prévoyait pas les investissements nécessaires pour la maintenance et les remplacements. Nous y sommes et cela fait donc bien longtemps que nous sommes à coté de la plaque. Aux innocents les mains…vides.

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