Conférence sur le « gaullisme social »

Ce 26 mars dernier, je devais participer à une conférence organisée par le Comité départemental du souvenir du général de Gaulle 35 présidé par Christian Rivoal. Pierre MANENTI y a présenté son livre « Histoire du gaullisme social » paru en novembre 2021, aux éditions Perrin. Il y évoque la fondation de la Ve République, les questions sociales et ses héritiers (Jacques Chaban-Delmas, Jean Charbonnel, Philippe Dechartre, Philippe Seguin…)
Pourquoi le général de Gaulle reste-t-il un horizon indépassable de la vie politique française ? Comment expliquer que des personnalités politiques de droite comme de gauche, couvrant tout le spectre politique se réclament de son héritage ? Qu’est-ce que le « gaullisme social », dont tout le monde se réclame sans qu’une définition claire ait été posée jusqu’à présent ?



« …

Il m’arrive bien souvent, d’être interrogé : c’est quoi le gaullisme ?

Jacques de Montalais, rédacteur en chef du journal La Nation, journal « gaulliste » des années 1960, définit le gaullisme en 1969

« Le gaullisme, en effet, est à la fois une philosophie au sens large du terme et une doctrine. Or, une philosophie n’est jamais précise, a fortiori quand il s’agit d’une philosophie de l’action, encore que celle-ci ait abouti à un ensemble d’idées qui constitue désormais une véritable doctrine : la nation ; l’État et les rapports entre l’individu et lui ; le progrès économique et social inspiré aussi bien du socialisme que du libéralisme ; enfin les relations entre les États. »

Cette définition, je la fais mienne. Et elle s’oppose, en ce XXIe siècle, à tous ceux qui s’affirment « gaullistes » mais qui le renient prétextant que le gaullisme n’est rien d’autre qu’une philosophie de l’action et surtout qu’il convient de ne pas faire parler le Général sur les thèmes et actualités politiques d’aujourd’hui.

Pour ma part, pour être encore plus précis, je considère que le « gaullisme », doctrine politique, est né en 1970 lorsque, rappelé à Dieu, le Général n’était plus là pour l’incarner.

Jacques Chirac le confirme aussi en 1969 : « On devait passer du général de Gaulle au gaullisme, c’est-à-dire à l’exigence pour tous Français de se montrer dignes de l’héritage qu’il nous avait laissé. »

Certes, Charles de Gaulle nous a toujours enseigné que faire de la politique c’est prendre en considération les réalités. Mais ce que nous savons pour le moins, pour peu qu’on s’intéresse à son œuvre et à son histoire, c’est ce qu’il voulait faire et surtout ce qu’il refusait à tout prix pour la France.

Peut-on imaginer le Général mettre perpétuellement en cause :

« La France ne peut être la France sans la grandeur »

  • notre politique étrangère et le rôle de la France dans le monde ?
  • peut-on imaginer le Général modifier notre constitution sous prétexte que le personnel politique n’est pas à la hauteur des fonctions présidentielles et gouvernementales ? NON
  • peut-on imaginer le Général subir, comme c’est le cas aujourd’hui, les dérapages et orientations fédéralistes de l’Union européenne voulant nous imposer la domination américaine ? NON (voir De Gaulle et la CED)
  • peut-on imaginer le Général revenir et mettre en cause les principales réformes à caractère social et céder face au capitalisme financier qui refuse la participation des salariés à la vie de leurs entreprises sous prétexte de la mondialisation ? NON

On voit bien que son héritage est un corps cohérent de doctrines et une morale politique qu’il nous importe de défendre dans sa globalité et de développer, notamment dans son œuvre inachevée, spécifiquement dans le domaine social.

D’où ma réticence à employer les différents adjectifs concernant le gaullisme : gaullisme constitutionnel, gaullisme souverainiste, gaullisme européiste ou non, et gaullisme social. Pour terminer sur ce point, vouloir donner une définition partielle, une consistance particulière au « gaullisme social » revient à laisser entendre qu’il peut exister plusieurs gaullismes et donc réfuter la réalité que le gaullisme est un tout.

D’ailleurs, une anecdote vient expliquer et confirmer ma position. Le 9 novembre dernier, les futurs candidats à l’élection présidentielle sont tous passés à Colombey, laissant penser qu’ils sont tous devenus gaullistes. Et dans la liste des adjectifs, Anne Hidalgo en a créé un autre : je la cite. « « je suis une gaulliste du 18 juin ». Et le reste alors ?


Les sources de réflexion qui ont influencé Charles de Gaulle sont nombreuses, mais il faut insister sur les Valeurs chrétiennes
  • Depuis toujours, et notamment dans le domaine de la condition ouvrière, Charles de Gaulle s’inspire des nombreux textes pontificaux (encyclique Rerum Novarum (les choses nouvelles) – Pape Léon XIII du 15 mai 1891

… et ceci se confirme dans

  • Mater et Magistra de Jean XXIII (Lettre Encyclique de Jean XXIII -15 mai 1961) – Concile Vatican II également. « L’État, dont la raison d’être est la réalisation du bien commun dans l’ordre temporel, ne peut rester absent du monde économique ; il doit être présent pour y promouvoir avec opportunité la production d’une quantité suffisante de biens matériels, … et pour protéger les droits de tous les citoyens, surtout des plus faibles, comme les ouvriers, les femmes et les enfants. C’est également son devoir inflexible de contribuer activement à l’amélioration des conditions de vie des ouvriers. »

Dans sa jeunesse, CDG participe à diverses réunions, colloques de même obédience : Jeune république de Marc Sangnier, aux Débats organisés par l’Aube (journal d’inspiration chrétienne) avant-guerre… Il est abonné à Temps Présent. Notons aussi François René de La Tour du Pin, inspirateur en France du catholicisme social.

La condition ouvrière est un thème récurrent de la doctrine gaulliste.

À plusieurs occasions, le Général aborde et définit sa vision. Cela débute notamment le 25 novembre 1941 à l’Université d’Oxford, en pleine guerre, certes devant les étudiants anglais, mais à destination de tous,

Un admirable discours dont il nous appartient de promouvoir le texte et sur lequel il me semble important de s’arrêter.

« Si complète que puisse être un jour la victoire des armées, des flottes, des escadrilles des nations démocratiques, si habile et prévoyante que se révèle ensuite leur politique vis-à-vis de ceux qu’elles auraient, cette fois encore, abattus, rien n’empêchera la menace de renaître plus redoutable que jamais, rien ne garantira la paix, rien ne sauvera l’ordre du monde, si le parti de la libération, au milieu de l’évolution imposée aux sociétés par le progrès mécanique moderne, ne parvient pas à construire un ordre tel que la liberté, la sécurité, la dignité de chacun y soient exaltées et garanties, au point de lui paraître plus désirables que n’importe quels avantages offerts par son effacement. On ne voit pas d’autre moyen d’assurer en définitive le triomphe de l’esprit sur la matière. Car, en dernier ressort, c’est bien de cela qu’il s’agit. »

Et puis rappeler aussi celui du 1er mai 1950

« Un jour, la machine a paru. Le capital l'a épousée. Le couple a pris possession du monde. Dès lors, beaucoup d'hommes, surtout les ouvriers, sont tombés sous sa dépendance. Liés aux machines quant à leur travail, au patron quant à leur salaire : ils se sentent moralement réduits et matériellement menacés. Et voilà la lutte des classes ! Elle est partout, aux ateliers, aux champs, aux bureaux, dans la rue, au fond des yeux et des âmes. Elle empoisonne les rapports humains, affole les États, brise l'unité des nations, fomente les guerres. Car, c'est bien la question sociale, toujours posée, jamais résolue, qui est à l'origine des grandes secousses subies depuis trente-cinq ans. Aujourd'hui, c'est la même question, toujours posée, jamais résolue, qui pousse le monde vers un drame nouveau. C'est elle qui fournit de prétextes la tyrannie qui s'étend sur les deux tiers de l'Europe et de l'Asie. C'est elle qui, chez nous, procure aux séparatistes tant de concours désespérés. C'est elle qui empêche la prospérité de prendre son essor pour adoucir les misères humaines. Ah ! les pays libres peuvent bien déployer leur propagande et se ruiner en armements, l'épée, de Damoclès demeurera suspendue tant que chaque homme ne trouvera pas dans la société sa place, sa part, sa dignité. »

Et pour mémoire rappelons ce qu’il dit le 25 mars 1959, alors qu’il vient de revenir aux affaires

En notre temps, la seule querelle qui vaille est celle de l’homme.
C’est l’homme qu’il s’agit de sauver, de faire vivre et de développer »

3 commentaires sur Conférence sur le « gaullisme social »

  1. Hervé Hanot // 18 avril 2022 à 17 h 21 min //

    Le gaullisme social est, sinon un pléonasme, plutôt le symbole de l’humanisme contenu dans la Pensée Gaullienne à laquelle nous sommes tous ici viscéralement attachés..

  2. Bernadet Didier // 1 avril 2022 à 9 h 31 min //

    Merci pour ces beaux et éloquents rappels. La « machine » de ces temps broyait physiquement les hommes puis l’explosion du numérique a broyé et prétend remplacer les esprits. L’argent était une matière première de l’industrie, c’est l’industrie qui est devenue matière première de l’argent, du « fric ». Tout ceci a conduit à un fait politique bien masqué : il n’y a plus de démocraties, les oligarchies règnent partout. C´est l’antithèse du Gaullisme qui est bafoué, souvent, de « bonne foi » tant l’inculture, les égoïsmes qui en sont la conséquence, prédominent.

  3. Que ferait Charles de Gaulle de nos jours pour la paix en Europe (vision vers l’est pour la sérénité du vieux continent dans mon esprit personnel)

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