La défense européenne : le clash ?

1954, 2021, même combat ? L’indépendance de la France, fondamentale valeur gaullienne, est bien aujourd’hui l’un des 4 axes[*] essentiels de l’héritage laissé par le Général pour la France du 21e siècle.

L’actualité franco-allemande sur la défense européenne me contraint à revenir 70 ans en arrière.

Dans ces années d’après-guerre, la volonté américaine est claire. Après l’échec de l’AMGOT[1] à la libération, les USA veulent empêcher que la France devienne le leader d’une Europe en gestation.

L’Amérique de Harry S. Truman milite pour une défense organisée en Europe, mais dans le cadre de l’Otan subordonnée, de fait, aux désidératas des USA.

Un projet de soumission

Pour y parvenir, le pouvoir américain peut compter sur l’appui et la docilité de personnalités françaises – Robert Schuman, René Pleven, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Georges Bidault – pour museler la France.

Un projet est alors lancé par ceux que la presse désigne couramment les « père de l’Europe » : la Communauté de défense européenne. Cette CED devient alors la grande affaire des nombreux locataires de Matignon[2].

« Les 40 divisions, une fois prêtes et aptes au combat seraient mises à la disposition du chef des forces atlantiques, le général Eisenhower. Sur le papier, l’armée européenne compterait alors 14 divisions françaises, 12 allemandes, 11 italienne, et 3 néerlandaises. Dans ces conditions, Washington approuve ce projet de CED ».[3]

Les négociations, y compris avec les USA, sont menées en 1951-52 et aboutissent à un accord le 25 mai 1952. « En 132 articles, le fonctionnement de l’armée européenne regroupant la France, L’Allemagne fédérale, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie et le Luxembourg est réglé. Il appartient maintenant aux députés de ratifier ce traité »[4].

La pression américaine est de plus en plus forte. Une CED sous tutelle américaine raffermirait la politique de domination des Américains face au bloc de l’Est.

Une opposition active

Gaullistes et communistes, pour des raisons totalement différentes, le général de Gaulle au nom de l’indépendance nationale, le PCF en soutien au bloc soviétique, s’opposent au projet de CED.

Cette opposition est de plus en plus forte. Henri, Comte de Paris, évoque alors « l’acte d’abdication de la France. Mais également Vincent Auriol, alors Président de la République.

Les socialistes sont divisés ; Mendès-France, président du Conseil, ne veut pas prendre position. Il n’engage pas la responsabilité du gouvernement. Il botte en touche. Alors apparaît François Mitterrand. Je le cite : « A la veille de son départ[5] pour Bruxelles, j’ai passé un long moment avec Pierre Mendès en compagnie de Georges Boris, de JJ. Servan-Schreiber et Simon Nora qui, tous devenus violemment hostiles à la CED l’adjurèrent d’aller à la rupture. J’étais le seul dans le groupe à défendre la thèse opposée. Mendès France était ébranlé… il hésitait »[6].

Et voici, une nouvelle fois, le général de Gaulle :

Charles de Gaulle – 1954

« Dix ans après la libération, il semble qu’une fois encore, un sursaut venu des profondeurs va sauvegarder l’indépendance de la France. La conjuration qui vise à la priver de sa souveraineté, à lui prendre son armée, à la séparer des terres et des États qui la prolongent outre-mer, parait sur le point d’échouer devant le refus national. [Source : Le Monde, 28 août 1954.] »

Le lendemain s’ouvre, au Palais Bourbon, le débat si souvent annoncé et toujours retardé. Pierre Mendès France rappelle avec force sa neutralité, mais aussi que la politique étrangère du gouvernement c’est l’Alliance atlantique.

Par 319 voix contre 263, le traité concernant la CED est rejeté.

… et la même histoire refait un tour.

Le débat sur l’Otan est toujours d’actualité. Dans les colonnes du quotidien Les échos, Hortense Goulard et Ninon Renaud constatent que sur l’Europe de la défense, « l’Allemagne assume sa différence avec la France ».

« Alors que le président français défend l’idée d’une autonomie stratégique européenne indépendante des Etats-Unis, la ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, appelle au réalisme. Un pas de deux compliqué, mais finalement assez classique pour le couple franco-allemand. »

La ministre allemande contredit sans ambages Emmanuel Macron et réplique : « L’idée d’une autonomie stratégique indépendante des Etats-Unis est fausse ».

De quoi pimenter le sujet d’une Europe plus autonome en termes de défense, qui est au centre des discussions entre les ministres européens des Affaires étrangères et de la Défense ! « En réalité, cet échange musclé fait état d’un débat récurrent au sein du couple franco-allemand, entre une France plus idéaliste, héritière de de Gaulle et principale puissance militaire de l’UE post-Brexit, et une Allemagne qui se veut pragmatique et sait ce qu’elle doit aux Etats-Unis. « 

On voit bien que ce débat s’inscrit dans une optique identique à celle de la CED.

Que fera Emmanuel Macron ?

Il est vrai que les propos du chef de l’État sur « la mort cérébrale « de l’Otan et son constat que « le Conseil de sécurité des Nations unies ne produit plus de solutions utiles aujourd’hui », comme dans le passé, sont autant de positions qui peuvent, avec une volonté affirmée, laisser entrevoir un espoir pour que la France recouvre une réelle indépendance nationale. Ces propos seront-ils suivis d’actes forts et déterminés ?

Nous pouvons en douter. Jean-Yves le Drian, notre ministre des Affaires étrangères toujours avec son âme socialiste, et son homologue allemand Heïko Maas s’accordent à aborder ce sujet en prônant un effort « pour défendre notre propre sécurité » mais en rajoutant souhaiter « un partenariat transatlantique plus équilibré pour aboutir à ce que l’Otan et l’Europe soient alors deux dimensions indissociables ». Fermer le ban !

Alain Kerhervé


*Les autres : un État fort, la souveraineté du peuple, l’amélioration de la condition salariale et ouvrière

[1] Mise sous tutelle américaine de la France libérée (1944)

[2] La durée moyenne d’un gouvernement est, sous la IVe république, de 6 mois.

[3] Découvrir, comprendre de Gaulle, d’Alain Kerhervé et Gérard Quéré

[4] id

[5] de Mendès France

[6] Découvrir, comprendre de Gaulle, d’Alain Kerhervé et Gérard Quéré

11 commentaires sur La défense européenne : le clash ?

  1. A Jean Dominique Gladieu… »Le problème n’est pas seulement l’Allemagne mais tous les pays de l’UE qui sont alignés sur les USA ! » Alors selon vous quelle en est la cause ? Pourquoi cette « americanomania » qui nous confinerait à un rôle de « paillasson » ?

  2. Macron ne fera rien de concret, sa politique consiste à communiquer à affirmer tout et son contraire, pour affirmer une politique de défense indépendante, il faut d’abord s’appuyer sur des alliés, au sein de l’UNE et au dehors, par exemple normaliser nos relations avec la Russie, prendre nos distances avec la politique de l’administration américaine concernant la Chine, l’Iran, affirmer notre volonté de nous émanciper de l’OTAN et rompre avec une organisation qui soumet notre défense aux intérêts d’outre atlantique, nous empêche d’avoir une politique extérieure indépendante.
    Cela suppose s’opposer aux intérêts d’oligopoles mondiaux , qui dictent leur exigences à l’administration américaine, cela signifie faire une politique de la chaise vide au conseil Européen, à la Banque centrale, à la commission Européenne.
    Bref remplir certaines conditions, qui demandent du courage politique, une volonté inflexible et un appel à la souveraineté populaire: organiser un référendum sur l’indépendance Européenne, une défense indépendante et une politique étrangère indépendante. L’UE joue son existence, où elle devient une puissance politique indépendante, où elle explosera, un grand marché et une banque centrale européenne ne sont pas suffisants pour renforcer l’UE., au contraire, ils la divisent et l’affaiblissent. L’UE doit devenir une puissance indépendante, le devoir de notre pays est de montrer la voie, à défaut l’UE explosera, elle ne pourra pas gérer ses contradictions: soumission à l’administration US et au gouvernement allemand, quel est l’intérêt de notre pays, des pays comme l’Italie, l’Espagne, L’Allemagne, le peuple allemand est plutôt hostile à l’OTAN, l’Europe à 27 n’est pas viable.

  3. Jean-Dominique Gladieu // 24 novembre 2020 à 22 h 24 min //

    Le problème n’est pas seulement l’Allemagne mais tous les pays de l’UE qui sont alignés sur les USA !
    Et, entre l’Allemagne, les pays issus de l’ex-Pacte de Varsovie, de l’ex-URSS ou de l’ex-Yougoslavie sans oublier ceux qui pataugent dans l’atlantisme depuis 1945, ça fait du monde !
    Alors, soit on se couche et on accepte que l’UE se vautre toujours plus dans la supranationalité et « l’américanomania », soit on réagit et on lutte pour une confédération des états européens indépendants, libres et souverains.
    Ce qui signifiera casser l’UE telle qu’elle est pour bâtir une nouvelle alliance. Cette confédération des états libres devra, en outre, rechercher des partenariats fiables avec la Russie (voire carrément intégrer celle-ci en tant que pays européen), la Chine et autres puissances émergentes (sans s’ériger en donneurs de leçons sur leurs régimes intérieurs) afin de pouvoir ré-envisager le rétablissement de relations normales avec les USA.
    Comme dirait le Général : « Vaste programme » !
    Mais si on ne tente rien alors les USA se serviront de la France comme d’un paillasson … et ils auront raison !

  4. Je viens de corriger. Ce n’est pas moi qui dit cette phrase. Elle est des journalistes. Pour ma part, il faut prendre cette phrase de façon différente. La politique du Général a toujours été de tendre vers un idéal. Mais j’admets volontiers que cette phrase prête à confusion. Merci pour votre commentaire

  5. A Alain Kerhervé…Ce n’est certainement pas dans le panier de crabes politicards actuel qui est mené par le bot du nez par des minorités agissantes et affligeantes qu’un « gaillard » de la trempe et de la stature d’Homme d’Etat surgira et que la France nourrira de nouvelles ambitions stratégiques.
    On ne fait pas des avions supersoniques avec des pièces détachées de bicyclettes !!!!

  6. Vos rappels historiques sont très bien, mais vous évoquez ensuite :

    > une France plus idéaliste, héritière de de Gaulle […], et une Allemagne qui se veut pragmatique et sait ce qu’elle doit aux Etats-Unis

    Cela sonne un peu comme : une France… rêveuse et une Allemagne pragmatique.
    Pas très gaulliste ou gaullien de parler ainsi de la France. La France est vraiment la France quand elle a conscience de ses principes et qu’elle sait faire les efforts nécessaires, toujours difficiles, pour être en mesure de défendre son indépendance, ses intérêts, son avenir.
    Si par « idéaliste“ vous voulez parler des *¿!$ qui ont arraisonné notre Etat, d’accord, mais sont-ils la France ?

    Un angle vraiment gaulliste pour cet article n’aurait-il pas été de pilonner sévèrement

    1. le double langage des squatteurs de nos institutions (lyriques dans la critique, puis confus et pusillanimes dans la décision), et de ne pas s’interroger benoitement
    > Que fera Emmanuel Macron ?
    Puisque nous savons ce qu’il en est de ce perdreau qui a quelques années maintenant.

    2. le double langage de nos voisins qui eux savent défendre leurs intérêts commerciaux avec les US et qui nous baratinent de mille évocations que les pétochards de toutes les époques aiment entendre, mais qui nous ont toujours fait gâcher du temps, nos forces et nos intérêts (plus la France se ratatine, plus nos chers alliés nous dominent).

    Dénonçons (et je me doute que vous êtes d’accord), le fait que nous lanternions comme des adolescents devant une belle… qui en plus de ne pas être si séduisante est retorse (en réalité c’est surtout “nous“ qui sommes couillons).

    Je ne dis pas du tout qu’il faut faire la diva, claquer les portes et humilier les Allemands ou qui que ce soit, mais simplement poser les termes de notre indépendance en principe, identifier les conséquences industrielles et budgétaires, et trouver les chemins à tracer, qui seront toujours difficiles, tout en laissant une porte ouverte selon des conditions claires pour d’éventuels partenaires.

    Mais surtout arrêtons de trouver normal que certains nous embarquent à l’insu de notre plein gré dans des rêvasseries, où l’initiative est abandonnée à des tiers qui ne nous veulent pas nécessairement du bien, là où il faut de la lucidité, de la volonté et de l’agilité dans l’action.

  7. Paul Agratey // 22 novembre 2020 à 18 h 16 min //

    Les Anglais choisiront toujours l’Oncle Sam, les Allemands choisiront toujours l’Otan et leur protecteur US, les Français se retrouvent encore avec ce dilème que de Gaulle avait pourtant Tranché une fois pour toute : la soumission ou l’indépendance et la souveraineté nationale. Macron est désormais au pied du mur, il va devoir choisir à moins qu’il laisse la situation pourrir ce qui équivaudra à une défaite de la France en rase campagne avec toutes les conséquences désastreuses pour notre souveraineté, l’héritage du Général de Gaulle sera alors définitivement enterré et notre liberté d’action sabordée. Une seule option pour la France si elle veut rebattre les cartes à son avantage : quitter au plus vite cette alliance toxique qu’est l’Otan et nous rapprocher de la Russie.

  8. Laurent Bouger // 22 novembre 2020 à 13 h 32 min //

    FREXIT !

  9. Certes, mais il faut une nouvelle ambition pour la France. « De Gaulle » revient !!!!

  10. « La ministre allemande contredit sans ambages Emmanuel Macron et réplique : « L’idée d’une autonomie stratégique indépendante des Etats-Unis est fausse ». » Cela est frappé au coin du bon sens eu égard au fait que pour avoir son indépendance stratégique, il faut s’en donner les moyens et notamment avec une industrie de l’Armement performante. Le GL l’avait compris et nos industriels des secteurs du Nucléaire, de l’Aéronautique, de la construction navale, des armes blindées, des Télécommunications ,de l’Informatique et de l’Espace se sont mis à la tâche avec grand succès. Qu’en est-il aujourd’hui avec des dirigeants politiciens majoritairement antimilitaristes, qui ne jurent que par les coups de menton, le verbe haut du « petit chef », le bla bla bla et les gesticulations sécuritaires ?
    Les Etats Unis, alliés de l’Allemagne « Ich bin ein Berliner » prononcé par JFK depuis la Porte de Brandebourg ,sonnaient la dépendance en armements stratégiques de l’Allemagne au travers de l’Otan et du même coup s’assuraient un débouché Européen pour ses ventes d’Armes. Quant à l’ONU « ce machin » à palabres incessantes force est de constater que la France ,avec son siège de membre permanent du Conseil de Sécurité ,s’y trouve bien pour éviter d’afficher clairement ses opinions et ainsi entretenir les discussions de diplomates qui ne débouchent sur rien de tangible au plan International. Abime de perplexité, mais là encore ,selon nos amis Allemands, en « Absurdistan » il ne faut pas s’étonner du manque d’efficacité stratégique de nos dirigeants COVID ou pas COVID.

  11. Latini Jacques // 21 novembre 2020 à 20 h 02 min //

    Il est clair que l’Allemagne ne veut pas de force européenne avec la France comme puissance nucléaire et qu’elle préfère l’Amérique et ce depuis longtemps ! L’Allemagne n’est pas fiable et de Gaulle le savait

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