De Gaulle : “L’ENA, c’est moi”
Le projet d’école nationale d’administration, c’était celui de Michel Debré. Il l’avait mûri avant-guerre, défini à la veille de la Libération. En 1945, de Gaulle lui donne huit mois pour le mettre en œuvre.
Dans son bureau du premier étage de l’hôtel du ministère de la Guerre, le Général fait asseoir devant lui un jeune maître des requêtes au Conseil d’État qu’il avait nommé commissaire de la République à Angers huit mois plus tôt, Michel Debré. Il vient de le faire entrer à son cabinet de chef du gouvernement. De quoi veut-il lui parler ? De « refaire la France », tout simplement. Ses institutions ? Pas seulement : « Pour l’administration, quelles sont vos intentions ? » , demande de Gaulle. Debré n’hésite pas une seconde ; il s’est préparé à l’entretien comme à un concours. Son sujet, c’est « le recrutement de la haute fonction civile »…
Nous sommes à la fin du mois d’avril 1945. La libération du pays est achevée. À Berlin, l’Armée rouge a lancé l’assaut final sur le bunker de Hitler. La fin approche. En France se préparent les élections municipales, auxquelles participent les femmes pour la première fois. Et puis, il est temps d’en finir avec les institutions qui ont mené la IIIe République au désastre. Mais qui est donc ce Michel Debré, pour être le premier interlocuteur consulté par de Gaulle ?
Une génération les sépare ; il est né en 1912. D’autres choses vont les réunir. Après avoir achevé ses études secondaires au lycée Louis-le-Grand, entrepris son droit en faculté et couronné son cursus universitaire par la voie royale vers la haute administration, l’École libre des sciences politiques, il a réussi un brillant doublé : sortir major de Saumur, être reçu au concours de l’auditorat du Conseil d’État.
Sa carrière est tracée ; il a 22 ans. Son père, le Pr Robert Debré, qu’il vénère, lui offre une édition originale de Qu’est-ce qu’une nation ? de Renan. À 25 ans, il fait la connaissance de Paul Reynaud, premier homme politique à avoir compris et soutenu la doctrine militaire d’un colonel de 47 ans, Charles de Gaulle. Deux ans plus tard, Gaston Palewski, le directeur de cabinet de Reynaud, ministre des Finances, l’appelle à son ministère. Le jeune Debré a déjà une idée très nette de cette France « qui n’est pas gouvernée » , où l’université « ignore l’économie » , et l’administration « gère les choses au jour le jour » ; il va bientôt constater qu’un homme comme Reynaud peut redresser les affaires avec autorité et savoir-faire : travailler plus, dépenser moins. Et ça marche, mais n’empêche pas la guerre.
Paul Reynaud aurait voulu le garder auprès de lui. « Un major de Saumur ne peut pas ne pas répondre à l’appel de son régiment », lui répond Debré, qui rejoint le 11e régiment de cuirassiers, se bat durant les premières semaines de mai et juin 1940, est encerclé, capturé. Et réussira à s’évader.
Il n’a encore pas vu ce général de Gaulle dont Paul Reynaud a fait un sous-secrétaire d’État à la Guerre, le 5 juin 1940. Il ne le verra pas non plus à Londres. C’est sur le sol national que Michel Debré entre dans la Résistance en 1943, se lie à Jean Moulin et à François de Menthon, pour assurer la coordination des mouvements du maquis. Se constitue avec lui l’organe qui doit préparer les textes qui entreront en vigueur dès la Libération : le Comité général d’études.
Mais que seraient ces textes sans les hommes pour les mettre à exécution ? Il faut donc prévoir les nominations, former un réseau de hauts fonctionnaires, dans l’ombre de l’administration de Vichy. « De cette Résistance intérieure, écrit Michel Debré dans le premier tome de ses Mémoires ( Trois Républiques pour une France ), je f u s d’abord un membre isolé, puis un acteur inséré dans un groupe, enfin un responsable hissé au niveau des grandes charges. » Le 20 août 1944, alors que la bataille de Normandie n’est pas terminée, le général de Gaulle se pose sur le sol libéré. Le 22, il est accueilli, à Laval, par ce commissaire de la République qu’il vient de nommer à la tête de cinq départements, Michel Debré – Jacquier dans la clandestinité. « Me voici face au général de Gaulle, en ces jours admirables, écrira-t-il. Je suis son représentant à la tête de la région que j’ai choisie. À 32 ans, il me semble que ma vie trouve sa récompense, et presque son achèvement. »
Le Général lui parle du gouvernement qu’il va constituer ; la Libération ne fait que commencer. De Gaulle revient dans la région, au mois de janvier 1945, et c’est le 15 mars que son directeur de cabinet, Gaston Palewski, celui de Paul Reynaud, lui téléphone pour le faire venir à Paris. Le moment de faire valoir son travail au Comité général d’études. Or de Gaulle se sait à la tête d’un pays « ruiné, décimé, déchiré, encerclé de malveillances » …Il faut reconstruire, tâche exaltante mais semée d’obstacles : que faire de l’administration de Vichy, des communistes, « au plus haut de leur élan » , dit de Gaulle, et dont l’ambition est de prendre partout le pouvoir ? Et puis, par quelles réformes commencer ?
Une école d’application
Dans le bureau qui fut brièvement le sien en 1940 et qu’il a retrouvé dès son arrivée à Paris comme chef du Gouvernement provisoire de la République française, le Général écoute Michel Debré. « Il faut aux ministres une administration de grande valeur, c’est-à-dire un corps de fonctionnaires d’une compétence affirmée, confirmée, notamment pour tout ce qui touche les affaires financières, économiques et sociales… » C’est-à-dire ? « Il faut commencer par créer une grande école d’administration pour les futurs jeunes fonctionnaires » , poursuit Debré. « Pourquoi une école ? » , coupe de Gaulle. « Parce que la République forme ses militaires, ses ingénieurs, ses instituteurs et ses professeurs. Mais elle ne forme ni ses administrateurs ni ses financiers… » , réplique Debré.
Il y eut quelques tentatives, la dernière remontant à 1938, sous Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale, toutes avaient avorté devant la force des « corporatismes ». La nouveauté du projet Debré, c’est de créer une « école d’application », après le cycle des études, et une école qui soit ouverte aux jeunes femmes. Les principes étant approuvés par le chef du gouvernement, reste à les mettre en œuvre. Or l’école doit ouvrir avant la fin décembre 1945. Debré calcule qu’il n’a que deux mois, mai et juin, pour la bâtir, avant d’aller en Conseil d’État, au Conseil des ministres et devant l’Assemblée consultative… Mais, « quand une réforme est nécessaire, et que les circonstances permettent de la réaliser, il faut la mener tambour battant » .
Debré fait appel à Gaston Palewski, à Louis Joxe, secrétaire général du gouvernement, constitue des commissions, associe ses anciens du Conseil d’État, sollicite les syndicats, CGT et CFTC de la fonction publique, surmonte les oppositions politiques… Il définit le cadre de la formation : humaine, collective, pratique, avec son long stage de terrain, sans négliger le sport, la préparation militaire, l’instruction civique et morale. Et Debré ajoute : « Un enseignement de l’histoire à la Plutarque et à la Michelet aidera à cette formation dont la conclusion portera sur les grandeurs et servitudes du métier d’État, pour le bien de la nation. »
Les statuts sont prêts au mois d’août 1945, débattus en Assemblée consultative et approuvés en Conseil des ministres en septembre. Le 9 octobre, le Général signe les deux ordonnances, les douze décrets et l’arrêté qui sanctionnent la réforme. Pendant ce temps, Michel Debré étudie les dossiers des candidats au premier concours. Dans la liste figurent déjà trois futurs ministres, Jacques Duhamel, Alain Peyrefitte, Yves Guéna, et un futur inspecteur des Finances de grand talent, Simon Nora. Le 15 décembre 1945, Michel Debré présente au général de Gaulle, dans l’amphithéâtre de l’École des sciences politiques, pour respecter la filiation, l’état-major et la première promotion de l’École nationale d’administration.
De Gaulle souligne que l’État devait disposer de serviteurs recrutés et formés de manière à constituer un corps valable et homogène dans tout l’ensemble de la fonction publique.
En 1959, dans le troisième tome de ses Mémoires de guerre ( le Salut, 1944-1946 ), de Gaulle souligne que l’État devait disposer de « serviteurs recrutés et formés de manière à constituer un corps valable et homogène dans tout l’ensemble de la fonction publique » . C’est ce qui l’a conduit « à créer, en août 1945, l’École nationale d’administration » . L’Ena, c’est lui. La voici frappée de son label devant l’histoire. Deux ans plus tôt, en 1957, Michel Debré, alors sénateur, a publié un pamphlet intitulé Ces princes qui nous gouvernent… , dans lequel il dénonçait l’impuissance des institutions et le retour du népotisme. Dix ans après, en 1967, un ancien de l’Ena, Jean-Pierre Chevènement (qui signe Jacques Mandrin), fera le procès de cette « énarchie » , ces « mandarins de la société bourgeoise » . Procès que le président de la République, lui aussi ancien de l’Ena, vient de rouvrir.
« Mais que seraient ces textes sans les hommes pour les mettre à exécution ? » Elémentaire mo cher Watson…tous nos maux (te partout dans le monde) viennent des hommes qui se croient sortir de la cuisse à Jupiter !!!!!!!!
@ Hecker // 18 mai 2019 à 22 h 29 min // :
La question est moins de savoir si les élus doivent ou non sortir de l’ENA que transformer l’ENA pour que l’enseignement qui y est dispensé permette de former des cadres PRES du quotidien !
L’histoire est telle.
Dans un article du 23 avril 2019, en réponse à l’annonce d’Emmanuel Macron, Hélène Mouchard-Zay rappelle que son père l’Orléanais Jean Zay est à l’origine du projet d’Ecole Nationale d’Administration.
Jean Zay, ministre de l’Education Nationale et des Beaux-Arts du Front Populaire de 1936 à 1939, a été un républicain et anti-fasciste ardent : il représentait ce que le régime de Pétain détestait. Cela lui a valu d’être jugé iniquement pour « désertion » en 1940 et emprisonné à Riom avant d’être, comme Georges Mandel,
assassiné par la Milice à l’été 1944.
Son projet d’E.N.A. visant à assurer le recrutement démocratique des hauts fonctionnaires, a été déposé le 1er août 1936 devant la Chambre des députés et voté en dépit de vives résistances, mais bloqué par le Sénat jusqu’en 1939. Et ce fut la guerre.
Dans le livre « Souvenirs et Solitude » écrit à Riom, il évoque le 8 décembre 1941 une visite ministérielle
de juin 1939 aux Etats-Unis : « On me montra, intégrée à l’Université de Harvard, l’Ecole nationale d’administration américaine… Naturellement vous en avez une… Je ne répondis pas, comment eussé-je avoué que la France restait probablement la seule grande nation à ne point former ses hauts fonctionnaires et que, si l’un de mes plus chers projets était de combler cette lacune, je me heurtais depuis trois ans à une incroyable opposition ». Il illustrait cela d’une formule à faire hurler l’élitisme bourgeois : « Quel enfant du peuple a jamais pu devenir ambassadeur ? »
C’est très juste : Michel Debré a été le créateur de l’E.N.A. sous l’autorité du Général De Gaulle. Le texte de François d’Orcival, qui cite Jean Zay, est
excellent. Il n’y a rien à y ajouter, sinon pour dire que, comme toute institution, l’E.N.A. est perfectible avec la mesure nécessaire.
Jean Zay, c’est le rénovateur de l’enseignement public cinquante ans après Jules Ferry. C’est le vrai premier ministre de la Culture… J’ai fondé le Cercle Jean Zay d’Orléans qui a fortement contribué à faire entrer son nom dans la conscience nationale.
De Gaulle bien sûr, à un autre niveau de notre Histoire, c’est la liberté et la grandeur de la France. EN tant que professeur, pendant des décennies et pour des centaines de collégiens, j’ai exalté l’épopée gaulliste et les valeurs du Général, mes élèves ayant sous les yeux au mur de la classe la reproduction agrandie de l’Appel du 18 juin.
Avoir agi concrètement pour la mémoire de l’un et l’autre, c’est une fierté !
Autant je suis pour le maintien de l’ena, autant je suis contre que des elus sortent de l’ena-ce sont de très bons fonctionnaires mais trop loin du quotidien !!!