Le discret Louis Terrenoire : un destin politique fascinant de ce (très) proche du général de Gaulle

De Gaulle et Louis Terrenoire

Comment de Gaulle a-t-il pu, malgré le déchirement de l’opinion, conduire le pays à la décolonisation de l’Algérie en exigeant comme préalable absolu de passer par les urnes ? C’est cet exploit que l’on peut mieux cerner par ce livre présentant des documents inédits et de première main. Il retrace, dans l’intimité des confidences livrées par de Gaulle à son compagnon Louis Terrenoire, porte-parole du gouvernement, la progression du processus de paix. Chaque semaine, en effet, durant les vingt-six mois qui ont précédé les accords d’Évian, Louis Terrenoire consignait tout ce qui s’échangeait au Conseil des ministres. Plusieurs centaines de pages manuscrites : des annotations prises sur le vif qui ont d’autant plus d’intérêt qu’elles n’étaient pas destinées à être lues.

A partir de ces notes, Louis Terrenoire rédigeait un journal plus personnel. Cet ouvrage éclairé par l’introduction et les annotations d’Hélène Boivin présente à la fois le journal et les notes in extenso prises pendant le Conseil. L’ensemble constitue un document d’une valeur historique exceptionnelle. En plus du processus de paix élaboré pour l’Algérie dans la confidentialité du Conseil des ministres, cette publication fournit un éclairage complémentaire sur la politique de la France de cette époque au regard des relations internationales (Europe, Cuba, Berlin, Congo) et des mutations économiques et sociales.

Les éditions Eurocibles viennent de publier « De Gaulle en conseil des ministres, Journal et notes de Louis Terrenoire, porte-parole du gouvernement ». Les écrits sont présentés par Hélène Boivin. Cet ouvrage retrace les confidences livrées par de Gaulle à Louis Terrenoire.

« Entre le Lyonnais Terrenoire et le silence, il y eut toujours une sorte de complicité » écrit Maurice Schumann. C’est peut-être cette discrétion, non dénuée de détermination et de force de conviction, que le général de Gaulle appréciait chez Louis Terrenoire (1908-1992) et qui l’a incité à lui confier des fonctions ministérielles de 1960 à 1962, après lui avoir accordé d’importantes responsabilités politiques nationales au sein du Rassemblement du Peuple Français (RPF) d’abord, puis de l’Union pour la Nouvelle République (UNR). C’est peut-être aussi cette retenue qui explique qu’il demeure peu connu des Français alors même qu’il occupe, à plusieurs reprises, une place de choix dans l’entourage du Général envers lequel il fait preuve d’une indéfectible fidélité. Cependant, il y a bien une région où Louis Terrenoire reste connu et reconnu, c’est l’Orne. Il figure parmi les personnalités politiques qui ont le plus marqué le département des lendemains de la Seconde Guerre mondiale aux années 1970 en tant que député de l’Orne de 1945 à 1952 puis d’Alençon de 1958 à 1973. 

Lorsqu’il entame la rédaction de son cinquième carnet, en janvier 1960, Louis Terrenoire est président du groupe parlementaire UNR à l’Assemblée nationale, fonction qu’il occupe depuis mai 1959. Il entre au gouvernement le 5 février 1960, à la faveur d’un remaniement ministériel, et remplace Roger Frey au ministère de l’Information. Cette nomination faillit d’ailleurs ne pas avoir lieu. « En devenant ministre de l’Information, écrit Louis Terrenoire, je réalisais un vieux rêve ». Il continue à remplir ses fonctions de maire de Céaucé, même s’il ne peut être présent que ponctuellement. Il est reconduit au sein du gouvernement le 24 août 1961, après avoir été pressenti, selon ses dires, au secrétariat général de l’UNR. Louis Terrenoire change de poste ministériel et devient ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des relations avec le Parlement. Mais il conserve le rôle de porte-parole du gouvernement et reste donc en charge de la conférence de presse qui suit les conseils des ministres ; ce qui ne manque pas de produire un « mouvement de surprise » chez les journalistes.

Pourtant, rien ne laissait présager une telle destinée pour ce Lyonnais d’origine modeste, né en 1908, qui doit mettre un terme à ses études à l’âge de 16 ans pour gagner sa vie. Louis Terrenoire commence par exercer de petits métiers comme vendeur au porte-à-porte de savon de Marseille puis comme grossiste en fournitures industrielles tout en s’intéressant au syndicalisme chrétien. Il trouve là l’occasion d’acquérir une solide formation intellectuelle et fait en particulier la rencontre de Marius Gonin (1873-1937), journaliste et militant actif du catholicisme social lyonnais. C’est par l’intermédiaire de ce dernier qu’il est recruté comme journaliste à L’aube. Francisque Gay lui confie une chronique sur les questions internationales ; mais Louis Terrenoire ne manifeste pas moins un vif intérêt pour la vie politique nationale. Il fréquente, en tant que rédacteur en chef de L’aube, les partis démocrates-chrétiens, le Parti Démocrate Populaire et Jeune République. C’est donc un membre du milieu journalistique que choisit le général de Gaulle pour occuper le poste de directeur des informations et du journal parlé de l’ORTF de juillet à octobre 1958 puis celui de ministre de l’Information de février 1960 à août 1961.

Mais le Général porte également son choix sur un gaulliste venu de la démocratie chrétienne et de la Résistance et qu’il sait fidèle. Refusant la défaite de 1940, Louis Terrenoire fait en effet le choix d’entrer dans la Résistance en juillet 1940 en fondant l’hebdomadaire Temps nouveau avec Stanislas Fumet. Le journal est rapidement interdit. En 1943, il est nommé secrétaire du Conseil national de la Résistance dirigé par l’éditorialiste de L’aube, Georges Bidault. Arrêté une première fois en 1943, Louis Terrenoire est à nouveau arrêté par la Gestapo le 23 mars 1944 et torturé avant d’être finalement déporté à Dachau, où il retrouve le démocrate-chrétien Edmond Michelet. Le rédacteur en chef reprend ses fonctions à L’Aube le 8 mai 1945 et entame peu après une carrière politique sous l’étiquette MRP. Il est élu député de l’Orne aux deux Assemblées constituantes, puis il est reconduit dans son mandat aux élections législatives de novembre 1946. Mais, dès l’été 1947, Louis Terrenoire choisit de rester fidèle au général de Gaulle et rejoint le RPF. Le MRP refusant la double appartenance, il quitte le groupe parlementaire MRP, à la suite de l’exclusion d’Edmond Michelet, le 22 novembre 1947, et prend part à la constitution du groupe des Républicains populaires indépendants qui rejoint le RPF le 25 novembre. Louis Terrenoire quitte également son poste de rédacteur en chef de L’Aube le 15 octobre 1947. Les élections de 1951 sont l’occasion pour lui de faire la preuve de son attachement, voire son dévouement, à la cause du Rassemblement. Le député sortant de l’Orne accepte de se présenter dans les Côtes-du-Nord, à la demande du général de Gaulle, alors même que sa réélection est assurée dans l’Orne. Mais la liste RPF qu’il conduit est battue par celle de René Pleven. Il se voit alors proposer le poste de secrétaire général du RPF en remplacement de Jacques Soustelle, devenu député du Rhône et président du groupe parlementaire RPF. Il sera lui-même remplacé par Jacques Foccart en 1954. C’est aussi le début d’une « traversée du désert » politique pour Louis Terrenoire. Il retrouve son siège de député de l’Orne aux élections législatives de 1958.

1 commentaire sur Le discret Louis Terrenoire : un destin politique fascinant de ce (très) proche du général de Gaulle

  1. DELECOURT Jean-Louis // 4 février 2019 à 15 h 59 min //

    Grâce à votre lien, merci de ce beau portrait. Un oubli, l’action de Louis TERRENOIRE dans le cadre de France Pays arabes.

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