Gilets jaunes : le risque du grand défoulement

par Henri Guaino

Face aux revendications des Gilets jaunes et à la réponse du gouvernement, Henri Guaino analyse les risques que posent le référendum d’initiative citoyenne et le grand débat national voulu par Emmanuel Macron.

Pour calmer la première révolte du pouvoir d’achat de l’après-guerre on a redonné un peu d’argent aux smicards et aux retraités. Aux Gilets jaunes on a dit que c’était beaucoup, à la Commission européenne, et à nos partenaires qui s’inquiétaient des déficits on a dit que c’était moins qu’il paraissait et que l’on se rattraperait sur d’autres dépenses. On verra bien quand chacun fera ses comptes.

En attendant, au milieu du torrent de démagogie que les chaînes de télévision laissent s’écouler sur leur plateau avec délectation, on organise un grand débat national en forme de thérapie collective. Mais l’on ne soigne pas les sociétés démocratiques malades en organisant des groupes de parole comme on le fait pour soigner l’addiction à l’alcool. En guise de débat on risque plutôt d’avoir le grand déballage de toutes les rancœurs les haines et les jalousies que 40 ans d’insécurités économique, sociale et culturelle ont nourri chez tous ceux qui en souffrent. Et ce défoulement qui s’annonce ne va pas guérir toute cette violence accumulée, il risque, au contraire, de l’exacerber. Chacun, aux prises avec ses propres difficultés, ne sera-t-il pas tenté de voir dans l’autre un privilégié et criant «à bas les privilèges!», les vrais et les faux, de nourrir ainsi la guerre qui couve de tous contre tous : citoyens contre élus, salariés du privé contre fonctionnaires, travailleurs contre chômeurs, actifs contre retraités,  non- diplômés contre diplômés, campagnes contre villes, jeunes contre vieux…


Le pouvoir à la base est une vieille promesse qui finit toujours mal

Et cette guerre ne rendra à personne les fins de mois plus faciles et la vie moins dure. Le système qui fait souffrir tant de gens continuera à broyer les vies. Et si la guerre n’a pas lieu, que sortira-t-il de cette parole libérée, sinon les contradictions de millions de gens qui peuvent se coaliser dans le ras le bol mais qui au fond ne sont d ‘accords sur rien pour ce qui concerne les solutions. Ainsi va la vie démocratique d’une nation comme la nôtre : il y faut sans cesse dépasser les contradictions de 65 millions de Français, chacun pétri lui-même de ses propres contradictions. L’idée qu’une telle nation peut être gouvernée par un système où chacun à chaque instant a son mot à dire sur chaque décision est une illusion peut être séduisante en théorie mais dangereuse au regard des leçons de l’Histoire. Le pouvoir à la base est une vieille promesse qui finit toujours mal, c’est celle du pouvoir aux soviets que la révolution russe promettait aux ouvriers et qui devait accoucher de la dictature du prolétariat en attendant le gouvernement du peuple tout entier. Il y eu bien la dictature mais pas celle du prolétariat qui subit la tyrannie totalitaire comme toutes les autres catégories sociales.

Ce fut la même chose avec Mao ou Castro qu’avec Staline. Ce fut pareil avec la Convention et la belle constitution de 1793, adoptée par référendum, qui proclamait (Article 29) que «chaque citoyen a un droit égal de concourir à la formation de la loi et à la nomination de ses mandataires ou de ses agents», qui prévoyait qu’un projet de loi, une fois adopté par le Corps législatif était (Article 58, 59, 60). «envoyé à toutes les communes de la République, sous ce titre: loi proposée. Que, quarante jours après l’envoi de la loi proposée, si, dans la moitié des départements, plus un, le dixième des Assemblées primaires de chacun d’eux, régulièrement formées, n’a pas réclamé, le projet est accepté et devient loi. Et que s’il y a réclamation, le Corps législatif convoque les Assemblées primaires». Elle posait enfin comme principe (Article 35) que : «Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.» Constitution inapplicable et inappliquée : et la Convention laissa le pouvoir du petit peuple des cahiers de doléances de 1789 entre les mains du Comité de Salut Public et du tribunal révolutionnaire.


Sans l’État, qu’aurions-nous à dresser face aux grandes forces économiques et financières

Écartons l’hypothèse que tout cela finisse aussi mal, quoiqu’il ne faille jamais en sous-estimer le risque dans une époque où l’Homme qui se croit, à tort, devenu meilleur que ses aïeux, demeure, comme eux, capable du meilleur comme du pire. Que peut-il sortir de tout cela, sinon tous les nœuds de contradictions de tous les intérêts, de tous les sentiments et de toutes les idées? On verra, on voit déjà, le refus de la dette, le refus des déficits et, en même temps, le refus de l’impôt et une demande accrue de services publics comme on a vu beaucoup de ceux qui dénoncent les fermetures de lignes ou la suppression des arrêts de TGV dans les villes moyennes approuver le changement de statut et la mise en concurrence de la SNCF. On verra dénigrer l’État et tout attendre de lui. On verra réclamer à corps et à cris plus de participation citoyenne par ceux qui n’ont jamais voté de leur vie…

Pour sanctionner une classe dirigeante qui n’a pas été à la hauteur, on réussira seulement à affaiblir l’État. Mais, sans l’État, qu’aurions-nous à dresser face aux grandes forces économiques et financières. Comment combattrons-nous tous les déterministes qui asservissent les gens si nous n’avons plus les États à leur opposer ? Que serions- nous devenus sans les États en 2008 ? L’État, dans ce monde de violence économique, sociale, culturelle, psychologique, physique, il faut le rétablir dans ses prérogatives, son autorité et sa volonté, non l’abattre et faire ainsi le jeu des grandes féodalités qui n’attendent que ça. La Ve République a permis à la France d’être gouvernable. Depuis des décennies, elle est abîmée par des réformes inconséquentes pour suivre l’air du temps, comme le quinquennat, et souvent mal servie par ceux qui en ont la mission, ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain et retourner aux errements des Républiques passées en refaisant la IVe République sous le couvert de la VIe.


Faute de donner la parole au peuple par le référendum, tel qu’il est prévu à l’article 11 de la Constitution, on a créé la frustration qui risque d’engendrer une forme ingérable du référendum d’initiative populaire

La véritable démocratie, c’est une délégation de pouvoir légitimée par le suffrage universel qui permet au peuple de choisir entre des personnalités, des systèmes de valeurs, des projets pour une durée déterminée au terme de laquelle l’élu revient devant les électeurs. Des mandats trop courts empêchent d’inscrire la politique dans la durée. Mais à la démocratie représentative, celle de Condorcet qui disait que les électeurs ne l’avaient pas élu pour qu’il agisse en fonction de leurs opinions mais en fonction des siennes, il faut des respirations. Celles de la cinquième République étaient dans la possibilité de la cohabitation que le quinquennat a quasiment abolie et dans le référendum trop peu utilisé. Faute de donner la parole au peuple par le référendum, tel qu’il est prévu à l’article 11 de la Constitution, on a créé la frustration qui risque d’engendrer une forme ingérable du référendum d’initiative populaire, devenu le sujet à la mode, si à tout moment un petit nombre de citoyens peut en provoquer un sur n’importe quel sujet car, il faut avoir le courage de le dire, on ne réussira alors qu’à mettre du désordre dans les institutions et encore plus d’incohérence dans les politiques ce qui au bout du compte n’améliorera le sort de personne. Mettons en place le référendum d’initiative populaire pour modifier la constitution, révoquer le Président de la République, le gouvernement, les députés, abroger les impôts, et nous aurons plus sûrement le chaos que l’augmentation du pouvoir d’achat.

Si l’on veut que le peuple ait le dernier mot sur le contrat social et civique qu’on l’interroge sur un vrai service militaire obligatoire ou sur une réforme de la justice. Si l’on avait voulu que le peuple ait directement la parole, on aurait dû la lui donner sur le mariage, on la lui donnerait sur la PMA pour toutes, on modifierait la Constitution pour que les traités qui par l’une, au moins, de leurs dispositions portent atteinte à la souveraineté de la nation ne puissent être ratifiés que par référendum. Si l’on veut réellement donner la parole au peuple pour qu’il puisse peser sur sa destinée que l’on ratifie le CETA par référendum. Mais, bizarrement, personne ne le propose, peut-être parce qu’un rejet du CETA par référendum porterait un grand coup au cœur même de la pensée unique. Et que cela, les grands démocrates qui veulent punir les Anglais pour le Brexit et cherchent par tous les moyens à les faire revoter, ces grands démocrates refusent catégoriquement d’en prendre le risque.

La démocratie ne gagnera rien à ce genre de défoulement que risque d’être le «grand débat national». De celui-ci, les communicants politiques sortiront quelques mots pour confectionner les discours creux qui sont leur spécialité et qui nourriront un peu plus le discrédit de la politique. Les démagogues sortiront ce qu’il y aura de plus démagogique qui minera un peu plus la démocratie. Mais les politiciens seront satisfaits : ils auront pour un temps noyé le poisson, ce qui était leur but, comme dans la vieille politique. À quel prix et jusqu’à quand ?

10 commentaires sur Gilets jaunes : le risque du grand défoulement

  1. Jean-Dominique GLADIEU // 26 décembre 2018 à 11 h 43 min //

    Cher Alain Kerhervé :
    Il faut réformer (ou reformer) l’Europe, écrivez-vous.
    Mais pour cela il faudrait obtenir l’unanimité des pays-membres.
    Et si l’on n’y parvient pas ?
    Vous avez raison : il faut recadrer les transferts de compétences et restituer aux Nations leur légitimité et leur souveraineté. Il s’agit donc au sein de l’UE de créer un rapport de force souverainiste.
    Ensuite, soit ce rapport de force permet de créer une unanimité (nécessaire pour pouvoir modifier les statuts de l’UE) et effectivement, il n’y aura pas besoin de rompre avec l’UE.
    Soit (et je crains que cela soit le scénario le plus plausible), on ne parvient pas à convaincre la totalité des états-membres et alors, il faudra bien envisager de sortir de l’UE (de préférence en compagnie des partenaires qui seraient sur notre ligne) afin de créer un autre type de coopération entre nations.
    Sur ce, meilleurs vœux à tous.

  2. Vous avez tord. Sans défendre DLF, sortir de l’Europe n’est pas une réponse appropriée. IL FAUT REFORMER l’Europe. En recadrant les transferts de compétences, en les modifiant en Délégation de compétence, ce qui restitue aux Nations leur légitimité et leur « souveraineté ». être jusqu’au-boutiste ne fait qu’empirer les choses.

  3. réponse a Chailauleau
    DLF est un mirage car il ne propose pas de sortir de l’UE et sans sortie de l’UE on ne retrouvera pas notre souveraineté , alors arretez avec cette ineptie de DLF

  4. Un mouvement peut encore se proclamer gaulliste. Il soutient les vrais gilets jaunes pacifistes qu’il ne faut pas mélanger avec les casseurs (manipulés par le pouvoir?^pour faire tort à ce mouvement populaire). Ce mouvement est Debout La France qui œuvre comme son nom l’indique pour la France contre le capitalisme international.

  5. Tant que durera « le grand débat national » (?), on ne parlera plus d’autre chose….que le bon peuple s’amuse !!
    « ça ira…on peut continuer…. »

  6. Jacques Payen // 21 décembre 2018 à 14 h 51 min //

    Tout à fait d’accord avec vous, Cording.
    Depuis 35 ans, depuis 1983, ce tournant mondialiste et européiste imposé par Mitterrand, le peuple de gauche a été systématiquement trompé par les dirigeants successifs des formations de gauche.

    Quant à l’électorat gaulliste, c’est pire encore.
    Non seulement son idéal a été trahi, celui d’une République forte et respectée, dans une société conciliant performance économique et répartition de la richesse, son idéal d’une nation agissant contre les Empires dans le vaste monde.

    Mais les dirigeants prétendument gaullistes qui ont accédé au pouvoir ont totalement dévoyé la Constitution de Charles de Gaulle, par le quinquennat bien sûr, et par de nombreuses révisions qui ont eu pour effet de renforcer le pouvoir des juges constitutionnels français ou européens, contre l’autorité de la loi nationale !

    Plus énorme encore, ces mêmes dirigeants, en initiant ou soutenant les infâmes Traités de Maastricht et de Lisbonne, ont délibérément sacrifié notre capacité à décider par nous mêmes de notre destin.

    Le peuple français est aujourd’hui très en colère. Sa colère est saine. Elle est juste. Elle sera créatrice d’un nouveau futur national, comme ce fut le cas lors de tous les grands rendez-vous de l’histoire.

  7. « La démocratie ne gagnera rien à ce genre de défoulement que risque d’être le «grand débat national». De celui-ci, les communicants politiques sortiront quelques mots pour confectionner les discours creux qui sont leur spécialité et qui nourriront un peu plus le discrédit de la politique. Les démagogues sortiront ce qu’il y aura de plus démagogique qui minera un peu plus la démocratie. Mais les politiciens seront satisfaits : ils auront pour un temps noyé le poisson, ce qui était leur but, comme dans la vieille politique. À quel prix et jusqu’à quand ? »
    Pour une fois Mr Henri Guaino vise juste . La thérapie de groupe politicarde qui nous est proposée par le « chérubin du Plais »(1 an de plus tout de même)organisée dans des lieux à palabres libres mettra ainsi du piment relationnel au sein d’une population en quête de nouvelles animosités. Il est donc à craindre que dans de nombreuses communes « la machine à balancer le poisson pas très frais » se remette en marche .

  8. C’est un bien beau discours mais qui ne donne pas de solution ! La V République a bel et bien été détournée de sa philisophie d’origine avec comme résultat d’affaiblir la démocratie et de faire taire la voix du peuple que l’on se contente de convoquer par principe de temps en temps pour des élections qui ont de moins en moins de sens et son de plus en plus bidonnées à coup d’affaires qui sortent aux bons moments, et de la propagande de masse des médias au service de la pensée unique gauchiste ou Bruxelloise, immigrationniste, mondialiste, productiviste et j’en passe, à l’heure ou le peuple veut retrouver ses racines et son clocher au milieu de son village, le respect des valeurs historiques culturelles et religieuses de la France, pouvoir vivre dignement de son travail au lieu d’être réduit à un travailleur/consommateur bon à tondre, une qualité de vie et de service qu’il s’estime en droit d’attendre au vue de ce qu’il paye d’impôts, et un minimum d’écoute de ses représentants. On est loin du compte et on n’en prend pas le chemin bien au contraire, on s’emploie à nous expliquer que ces temps sont révolus et qu’il faudra s’en accommoder. Or les français ne veulent pas de ce monde là et comprennent qu’ils se sont fait berner par les beaux discours de la gauche comme de la droite depuis belle lurette. Alors le feu couve mais pour combien de temps avant l’embrasement ?

  9. PARFAIT!
    Agostino Chiesa Alciator, ancien Consul Général d’Italie
    à Nice.

  10. Ce défoulement, cette expression des classes populaires devenues invisibles et méprisées dans les médias est nécessaire tant ils ne se sentent pas du tout représentés. Tous les partis sont délégitimés y compris les LR de Monsieur Sarkozy. Tant qu’il n’y aura pas de traduction politique de cette contestation sociale elle perdurera.
    La classe dirigeante a depuis 30 ans organisé volontairement sa soumission aux forces de l’argent, du capitalisme financier-roi sous alibi de mondialisation et d’Europe. Elle n’a plus le sens de l’Etat, ni de la Nation et n’est plus au service du peuple.

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