1968, de Gaulle aux Invalides : hommage de la France à ses soldats

Discours aux Invalides du Président de la République, Charles de Gaulle, à l’occasion du cinquantenaire de l’armistice du 11 novembre 1918. Il rend hommage à l’armée française et au peuple français tout entier.

« Le 10 novembre 1968, alors que la France se relève péniblement de la crise de mai 1968 dont les séquelles se poursuivent encore dans l’université ou les rapports sociaux, le général de Gaulle se rend aux Invalides en compagnie du ministre des Armées Pierre Messmer pour célébrer le cinquantième anniversaire de l’armistice de 1918 qui a marqué la victoire de la France et de ses alliés durant la première guerre mondiale.

C’est l’occasion pour le Général de souligner la profonde rupture causée par le conflit dans l’histoire du monde et les mutations de toutes sortes qu’elle a provoquées et qui ont profondément changé le visage du monde, de l’Europe et de la France en particulier. Mais c’est aussi l’occasion de rendre un vibrant hommage à l’armée française, aux sacrifices qu’elle a consentis, à ses chefs (et il énumère et souligne le mérite des huit maréchaux – y compris Pétain – dont le rôle est mis en évidence). Mais il insiste aussi sur les efforts considérables accomplis par le peuple français pour soutenir l’effort de guerre et sur l’énergie de Clemenceau dont l’action est exaltée. Et il est clair qu’en soulignant en fin de discours la persistance de la flamme patriotique qui anime la France et que symbolise celle qui brille sur la tombe du soldat inconnu, c’est un exemple qu’il entend donner à un peuple qui vient, à ses yeux, d’affaiblir le pays par ses revendications et son agitation. »

Serge Berstein


Le discours du Chef de l’Etat

« Un demi-siècle s’est écoulé sans que le drame de la grande guerre se soit effacé de l’âme ni du corps des nations, et tout d’abord de la nôtre. Telles ont été, en effet, les dimensions physiques et morales de l’épreuve que rien ne fut plus après comme il en était avant. La société des hommes, toute entière : régimes, frontières, lois, force, relations entre les États, mais aussi doctrines, vie des familles, richesses, situations, rapports personnels, a changé de fond en comble. En somme les immenses événements, politiques, économiques, sociaux, qui depuis ont encore bouleversé le monde, la deuxième guerre générale qui l’a déchiré de nouveau, les tensions et les conflits qui le troublent en ce moment même sont les conséquences directes de la colossale révolution frayée alors par les armes et où la race humaine en vint à perdre l’équilibre qu’elle n’a pas jusqu’ici retrouvé.

Dans la lutte mondiale commencée le 2 août 1914 et terminée le 11 novembre 1918, l’action de la France fut capitale. Pourtant, parmi les nations que l’on appelait alors les grandes puissances, sa dimension numérique, après une longue dénatalité, était moindre que celle des autres. Mais, le fait est, que les deux grandes batailles qui tranchèrent la destinée, la première et la dernière de la guerre, ont été des batailles de France. Que notre armée prit dans l’une et dans l’autre une part prépondérante.

Qu’elle en fit de même dans chacune des grandes entreprises de destruction réciproque qui marquèrent la lutte d’usure. Que néanmoins, elle ne manqua pas d’intervenir sur une large échelle, dans les Balkans et en Italie, d’aider à libérer la Palestine, le Liban, la Syrie, et de l’emporter en Afrique, tandis que dans les opérations menées sans relâche sur la mer pour les communications, faute desquelles tout eût été vain, notre flotte joua un rôle proportionné à nos besoins. Bien des choses pourtant nous ont manqué, beaucoup d’autres furent gaspillées, maintes erreurs ont été commises.

Certes, la république mobilisa et mit en ligne, dès les premiers jours, une armée puissante, ardente, et longuement préparée, mais cette armée était dépourvue d’artillerie lourde, insuffisamment dotée d’armes automatiques, médiocrement outillée en moyens de transmissions, d’observation, de transport. Certes, pendant les trois années qui suivirent la victoire de la Marne, les offensives visant à percer le front adverse, en Champagne, en Artois, sur la Somme, sur le Chemin des Dames, l’attaque qui essaya de forcer le passage des Dardanelles, la défense opposée aux diverses tentatives de rupture entreprises par les allemands furent menées avec une détermination et une ténacité extrême. Mais faute qu’ait pu être construit, à temps, assez de canons, fabriqué assez de munitions et de chars, nous payâmes d’énormes pertes ces chocs terribles et sans décision. Certes, tout au long de la conflagration, nos pouvoirs publics montrèrent une résolution et une activité certaines, mais combien nous ont coûté les crises politiques d’où en 4 ans sortirent 7 gouvernements et 7 ministres de la guerre.

Et cependant, en dépit de tout, la France tint bon jusqu’au jour où elle se fut mise elle-même en mesure de se saisir de la victoire. C’est qu’elle sut compenser à mesure, tant de lacunes, d’inconséquence, de retard, par une cohésion nationale, une capacité de sacrifice, un déploiement de valeurs humaines sans exemple dans son histoire. Toutes les raisons, qu’elles fussent inspirées par le simple amour de la patrie, ou par la fureur de subir l’invasion, ou par l’espoir de reprendre l’Alsace et la Lorraine perdues, ou par le dévouement à la cause de la liberté, ou par l’idée que si on gagnait, il n’y aurait plus de guerre, ou par l’acceptation religieuse du destin, toutes ces raisons ont concouru à ceci : que la France, le peuple français, tira de lui-même un effort qui fut comparativement le plus grand parmi tous les belligérants. Indépendamment des précieux contingents qui lui vinrent d’Afrique et d’Asie, la France a fait combattre au total 7 millions huit cent mille hommes, 20% de sa population, soit un pourcentage sans égal. En même temps, prodiguant l’action, sans disposer de tous les moyens voulus, c’est elle qui perdit relativement le plus de son sang. La proportion des soldats tués par rapport à la population atteignit pour les français 3,5%, c’est-à-dire la plus élevée de toutes, est d’autant plus lourde pour nous que ces morts étaient des jeunes gens, et que de toute l’Europe nous en étions les plus dépourvus.

A ces pertes humaines, gigantesques, s’ajoutèrent pour la France des dépenses qui l’étaient aussi. Pour fabriquer le matériel qu’il nous fallait, pour acheter et importer les combustibles, les métaux, les outillages indispensables, pour suppléer au fait que presque toutes nos mines de charbon et de fer, les trois quarts de nos hauts fourneaux, le tiers 

de nos usines, se trouvaient aux mains de l’ennemi, il nous fallût sacrifier la moitié de notre fortune nationale, sans préjudice de ce que nous coûterait ensuite la réparation des dommages. Cependant, notre industrie trouva moyen de produire 36.000 canons, 35.000 chars, 35.000 avions, dis-je, 5.000 chars, 300 000 mitrailleuses, de sortir en moyenne, chaque jour, 300 000 obus, et 400 000 kilos de poudre. A la fin, c’est nous qui, matériellement, étions les plus forts.

Si au début du conflit, l’ennemi pouvait lancer deux fois plus de projectiles que nous, il arriva que pendant la suprême bataille nous l’avons écrasé de feux deux fois plus puissants que les siens. Il est vrai que la nation armée trouva, aux moments extrêmes, des chefs capables de conduire son effort, parmi les hommes qui, souvent avec de grands talents, portèrent les principales responsabilités politiques, Raymond Poincaré, au sommet de l’État, déploya depuis le premier jusqu’au dernier jour, pour le service de l’union sacrée et de la résolution nationale, des trésors de vigilance, de conscience et de compétence. A la tête du gouvernement, Georges Clemenceau mena la guerre et galvanisa le pays, assez à temps et assez fort, pour résister aux ultimes assauts de l’ennemi et de la trahison, et marcher jusqu’à la victoire. Dans la phalange des officiers généraux qui commandèrent avec le plus d’éclat, huit maréchaux de France ont mérité d’atteindre au sommet de la gloire militaire. Joffre, qui, après la surprise malheureuse du début, sut décider, imposer, diriger, la manœuvre et l’offensive qui ont sauvé notre pays. Foch qui, à force de capacité, de volonté, d’autorité, rétablit le front ébranlé, prit à son compte la charge et l’honneur insigne de commander toutes les forces des alliés et régla leur marche en avant jusqu’au jour où l’ennemi fut contraint de venir se rendre à Rethondes, pour éviter de rouler au gouffre d’un désastre illimité. Pétain qui, ayant brisé à Verdun l’effort acharné des allemands, ranima l’armée française en guérissant son moral blessé, en l’organisant autour de l’armement moderne qui sortait enfin des usines et ne l’engageant jamais qu’après avoir méthodiquement tout disposé pour le succès. Franchet d’Esperey, plein d’audace, aussi bien que de sens pratique, qui mena les français, les britanniques, les italiens, les serbes, les grecs placés sous ses ordres, sur le théâtre d’opérations des Balkans à une victoire décisive qui annonçait le triomphe final.

Fayolle, Gallieni, Lyautey, Maunoury qui, chacun à sa manière et suivant sa mission, furent de grands maîtres de l’action comme ils l’étaient aussi de la pensée. La patrie se souvient. Sans doute après l’effort démesuré de la première guerre mondiale, notre peuple, au cours de la seconde, a-t-il paru d’abord s’abandonner, sous la violence et la surprise d’un choc, que l’infirmité de son système militaire et celle de ses institutions, ne lui avaient pas permis d’empêcher ni de repousser. Mais s’il parvint en dépit de tout à partir du fond de l’abîme, à reprendre possession de lui-même, à remonter la pente, jusqu’à remporter la victoire avec ses vaillants alliés, à s’assurer dans l’univers d’un rang digne de ce qu’il est, grâce à quoi nous pouvons, aujourd’hui, admettre parmi nos amis ceux qui étaient nos ennemis, autrefois. Ce combat pour le salut fut suscité une fois de plus par la flamme de la foi et de la fierté nationale.

Mais c’est la même flamme qui, une génération plus tôt, inspirait le pays tout entier, qui lui faisait dresser ensuite les monuments aux morts de toutes nos villes et de tous nos villages qui, chaque 11 novembre, rassemblait les populations autour des drapeaux de nos anciens combattants, qui brûle toujours, symboliquement, sous l’Arc de Triomphe de l’Etoile. C’est cette même flamme, qui inspirera, au nom de l’avenir, comme elle l’a fait au nom du passé, l’âme de la France éternelle.


De Gaulle pendant la grande guerre

Les quatre frères de Gaulle sous l’uniforme au cours de la Grande Guerre 1914-1918.

Reçu à Saint-cyr en août 1909, Charles de Gaulle doit faire d’abord, selon le nouveau règlement, un an de service militaire. A l’école, où il entre le 1er octobre 1910, il ne passe pas inaperçu. « Le grand Charles » a déjà sa légende ; on le croit fier ; on ne sait pas qu’il est timide. Il se montre à la fois laborieux, discret et distant, emporté bien que maître de soi. Le 1er octobre 1912, il sort de Saint-Cyr avec le grade de sous-lieutenant. Il entre au 33e régiment d’infanterie, à Arras, sous le commandement du colonel Pétain….

Suivre ICI

 

4 commentaires sur 1968, de Gaulle aux Invalides : hommage de la France à ses soldats

  1. Alain Corvez // 29 octobre 2018 à 23 h 36 min //

    Magnifique rappel. Merci.
    Je n’ose en dire plus aujourd’hui devant l’incomparable Chef que la France a produit aux yeux du monde.
    Il est apparu du fond de l’abîme. Nous y sommes à nouveau…

  2. Christian LEMOINE // 29 octobre 2018 à 20 h 59 min //

    Quel homme extraordinaire, quel chef sur lequel le peuple de France pouvait s’appuyer sans crainte. Des hommes comme cela sont immortels.

  3. Un grand MERCI pour EUX et à tous les leurs , frères d’armes, familles,amis et à toutes celles et tous ceux qui se sont battus pour
    la Patre>.
    Bien cordialement,
    JC BAERT.

  4. Merci pour cette vidéo qui nous rappelle l’Histoire tragique par un grand président inégalé et inégalable.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*