Jean-Louis Debré : « Mai 68 ? Une révolte imprévue, introuvable, inutile mais importante »
J.L. Debré et mai 68
L’ancien président du Conseil constitutionnel français préside ce jeudi à Genève le chapitre suisse des Compagnons de Gutenberg. Il revient, en exclusivité pour « Le Temps », sur la commémoration du cinquantenaire de Mai 68
Hier, ses fonctions lui interdisaient de tout dire. Aujourd’hui, Jean-Louis Debré n’a plus l’intention de se taire. De passage à Genève ce jeudi soir pour la soirée annuelle du jumelage suisse des Compagnons de Gutenberg, l’ancien ministre de l’Intérieur et président du Conseil constitutionnel s’est confié au Temps. Fils du premier ministre gaulliste Michel Debré, ce compagnon de tous les instants de Jacques Chirac se souvient de Mai 68, qu’il a vécu sur les bancs de la faculté de droit.
Le Temps : Si vous deviez, à Genève ce soir, évoquer l’impact de la révolte de Mai 68 sur la pratique du pouvoir politique en France, que diriez-vous ?
Jean-Louis Debré : Je dirais ce que je pense. À savoir que Mai 68 a été une révolte imprévue, introuvable, inutile mais importante. Elle était imprévue parce que la France de l’époque se portait fort bien sur le plan économique, sortie de l’endettement pour la première fois depuis 1914. Elle fut introuvable parce qu’elle n’a pas permis, contrairement aux espoirs de la gauche, de rassembler l’opposition au général de Gaulle, bien au contraire ! Je la juge ensuite inutile, car elle n’a pas entraîné, contrairement aux espoirs des étudiants, un changement immédiat de gouvernement et de dirigeants. Mais malgré cela, Mai 68 demeure une date très importante. Cette France-là s’ennuyait, tout en allant bien. Elle voulait en finir avec une génération politique arrivée aux commandes à l’issue de la guerre.
Mai 68, ce fut sans doute aussi, pour vous, un moment de tensions familiales. Votre père, Michel Debré, ancien premier ministre, était l’un des plus proches collaborateurs du général de Gaulle…
Mon père faisait partie de cette génération. Il n’a pas vu venir la révolte, parce qu’il ne pouvait pas comprendre que l’on raisonne autrement qu’en termes d’effort, de travail et de crédibilité nationale restaurée. L’impératif de loisir et de détente lui était étranger. Le séisme de Mai 68 intervient dans un pays dont la monnaie est redevenue forte et dont l’efficacité économique et industrielle est saluée. Comment pouvait-il comprendre des étudiants, souvent issus de familles privilégiées, qui manifestent partout et se mettent à dire n’importe quoi lors de nuits interminables au Théâtre de l’Odéon ? Je le sais. J’y étais.
Mai 68 déchire la famille Debré ?
Non. Mes frères et moi comprenons le drame et les tourments de notre père. En quelques jours, cet homme voit l’action politique du général de Gaulle abîmée, bafouée. Lui qui, aux côtés du chef de la France libre, a remis ce pays sur les rails. Lui qui s’est battu pour l’indépendance diplomatique de la France, premier pays à reconnaître, en 1964, la Chine populaire… se retrouve cloué au pilori par les militants maoïstes. N’oublions pas non plus le contexte. Michel Debré était, comme de Gaulle, un homme d’ordre. Or la violence se propage très vite en ce mois de mai 1968. Et comment ne pas être impressionné, quelques jours plus tard, par l’immense manifestation gaulliste du 30 mai ? N’oublions jamais que les révoltés de Mai 68 n’étaient pas en phase avec le pays réel.
La France est aujourd’hui en proie à des colères sociales. On parle aussi du fossé entre Emmanuel Macron et les Français. Vous voyez venir un nouveau « printemps » ?
Mai 1968, je l’ai dit, règle dans la rue le sort d’une génération politique. Mai 2018 manque d’un enjeu similaire. La fin de la génération politique issue de 1968 a déjà eu lieu, dans les urnes, lors de la présidentielle et des législatives de 2017. Les partis traditionnels ont été exécutés par Emmanuel Macron et son mouvement En marche. Les corps intermédiaires, comme les syndicats, sont laminés. Autre différence de taille : la poussée de fièvre la plus inquiétante, en France, vient aujourd’hui des groupes d’extrême droite et d’extrême gauche qui profitent du tumulte et du malaise ambiant pour regagner du terrain.
Vous présidez, en France, les Compagnons de Gutenberg, une organisation qui réunit les métiers de la presse et du livre. Cela a-t-il encore un sens à l’heure d’internet ?
Nos démocraties ont besoin d’une presse forte et responsable. C’est le sens de mon engagement. Je suis très inquiet de l’importance acquise, dans le débat public, par les réseaux sociaux. Ces derniers ont déjà transformé la politique, qui n’est plus orientée vers l’action, mais complètement dominée par la réaction. Le réflexe a remplacé la réflexion. J’insiste sur la notion de responsabilité. Un journal est identifiable. Le plus souvent, les articles publiés sont signés. Lorsque la presse s’abandonne à l’immédiateté et arrête de réfléchir, d’interroger ou d’interpeller, elle se met en danger. Et la démocratie se retrouve ébranlée.
Comparer mai 1968 et mai 2018, c’est aussi comparer le général de Gaulle et Emmanuel Macron ? À cinquante ans d’écart, deux France aux antipodes l’une de l’autre ?
Attentions à certaines comparaisons. Je retrouve dans Emmanuel Macron un certain gaullisme : celui de la volonté de faire rayonner la France à l’étranger et d’aller vite dans les réformes. Je note d’ailleurs que ses opposants ont une bien piètre connaissance de l’histoire lorsqu’ils dénoncent l’utilisation des ordonnances pour réformer le Code du travail ou la SNCF. En 1936, le Front populaire a réformé lui aussi par décrets-lois. Idem en 1958, lorsque de Gaulle arrive au pouvoir ou en 1981 avec François Mitterrand…
La différence entre les deux hommes vient de leur parcours, de leur personnalité, de leur ancrage. De Gaulle avait des racines historiques profondes. Il était celui qui, au plus fort du chaos, avait incarné une République qui n’abdique pas, ce qui lui a toujours valu un large soutien populaire. Il n’incarnait pas une élite. Emmanuel Macron est, de ce point de vue, à l’opposé du général.
Ce que j’ai déjà écrit sur JL Debré reste vrai…
Comme vous, cher Alain, je trouve que Jean-Louis Debré est toujours intéressant à lire ou à écouter même si on ne partage pas toujours ses points de vue.
Dans l’ensemble, je suis assez d’accord avec son analyse de Mai 68. Je préciserai cependant que Mai 68 aurait pu s’avérer utile en ce sens que l’échec du mouvement n’était pas écrit d’avance.
Dans le monde entier, l’année 1968 a été « agitée » : USA, Europe et même de l’autre côté du rideau de fer (printemps tchèque)sans oublier la Chine où le Révolution Culturelle (quoi qu’on en pense par ailleurs) bat son plein. Dans ce contexte révolutionnaire, la France constituait un terrain propice : alors que dans le monde entier, les questions du Vietnam et de la Palestine tenaient une place centrale, la France avait dénoncé la politique américaine en Asie du sud-est (discours du général à Pnonh Penh) et avait rompu avec Israël. De plus, un courant « de gauche » soutenait l’action du chef de l’Etat et s’activait pour impulser une politique sociale en poussant à la participation. Dans ces conditions, la révolte de Mai 68 aurait pu trouver dans le pays les relais nécessaires pour espérer l’emporter. Encore aurait-il fallu ne pas se tromper de cible et soutenir l’action du Général en politique internationale et soutenir celle des « gaullistes de gauche » en matière intérieure. Ainsi le Général aurait-il, peut-être, pu s’appuyer sur une force jeune et dynamique et se débarrasser de tous ces gens de « droite » qui pullulaient autour de lui et qu’il ne portait visiblement pas dans son cœur mais dont il avait besoin du fait d’une opposition stérile des partis de « gauche » (le cas du PCF étant à traiter à part car la position, proche du non-alignement, du Général lui convenait). Au lieu de cela, les soixante-huitards n’ont rien trouvé de mieux que désigner De Gaulle comme leur ennemi. Un an plus tard, la droite débarquait le Général. Et l’on connaît la suite …
Il y a parfois dans l’histoire des occasions manquées …
Je ne partage pas du tout votre avis sur JL. Debré. Ce qu’il dit dans ce billet est frappé du bon sens, d’autant plus qu’il parle plus de de Gaulle et de Michel Debré que de lui-même. Il n’y a rien de ridicule dans ses propos.
Jean-Louis Debré!!!! Je partage, sur lui , l’avis de son frère jumeau… Ce que pense l’ancien président du Conseil Constitutionnel et de l’assemblée Nationale est toujours ridicule.