Le modèle allemand n’en est pas un !

Interview donnée à Atlantico

 

Atlantico : Les élections législatives allemandes se tiennent ce dimanche 22 septembre- le Bundestag désignant le Chancelier fédéral. Le modèle allemand est souvent décrié par ses opposants à cause de la compression des salaires ou, plus largement , une dévaluation compétitive intérieure. Quelles est la face cachée du modèle allemand ? Ses travers, ses limites ?

La première limite du modèle allemand est qu’il ne fonctionne que si les autres pays ne font pas la même chose. En effet, les excédents allemands sont autant le fruit de la compression des salaires outre-Rhin que de leur non-compression ailleurs en Europe. Si nous avions tous suivi la même politique dans les années 2000, alors l’Allemagne n’aurait pas pu gagner de parts de marché. Mais surtout, la demande européenne se serait effondrée du fait de la compression des salaires. Donc, l’Allemagne aurait été doublement perdante : la taille du gâteau aurait été plus petite et elle aurait eu une plus petite part.

Ensuite, il faut savoir que cette politique est le produit d’une immense régression sociale pour environ un tiers de la population. Comme l’explique ce papier du Monde, la compétitivité allemande repose en partie sur l’emploi de salariés immigrés payés une misère (jusqu’à 2 à 3 euros par heure !), ce qui est permis par l’absence de SMIC dans le pays. La description des conditions de vie de certaines personnes est absolument révoltante pour un pays dit développé. On a l’impression d’être dans le Tiers Monde !

Ensuite, Olivier Berruyer a montré dans son dernier livre que de 2000 à 2010, les revenus réels de 30% de la population ont baissé de 15% ou plus ! Ce faisant, dans ce pays qui se vantait d’être un pays de classes moyennes, les inégalités ont explosé puisque les revenus des 10% les plus riches ont progressé dans le même temps. Une telle politique ne sera pas durable longtemps.

Atlantico : Avec un taux de chômage à 6,8% en août, l’Allemagne connait l’un des plus faible niveau de chômage d’Europe à faire envier les autres pays européens. Mais celui-ci reflète t-il vraiment la réalité économique des Allemands ?

Ici, il faut rappeler deux choses.

Comme le rappelle Olivier Berruyer, 20% des salariés allemands touchent moins de 500 euros par mois. Et 40% touchent moins de 1000 euros par mois. Il est probable que le chômage serait plus bas si on supprimait le SMIC, mais dans un monde où le salaire minimum dépasse à peine 100 euros par mois en Bulgarie ou en Roumanie et encore moins en Asie, cela serait une course sans fin vers le moins disant social et une source d’effondrement économique.

Ensuite, il faut rappeler qu’il y a des débats sur le taux de chômage véritable en Allemagne. Beaucoup d’économistes soutiennent qu’il est largement sous-évalué, comme chez nous. Le site Paris-Berlin estime qu’il est en réalité de 12% en décortiquant les statistiques du pays, et 16% en France…

En outre, il ne faut pas oublier que le pays a une démographie qui le favorise sur ce critère puisqu’avec une économie 30% plus importante que la nôtre, il doit intégrer 20% de moins de jeunes chaque année sur le marché du travail.

Altantico : Le modèle allemand est souvent vanté pour ses exportations. Mais ce modèle est-il soutenable au niveau européen ?

Une partie du modèle allemand (spécialisation dans des niches et sur le haut de gamme) est soutenable au niveau européen mais ce n’est pas une stratégie qui peut se mettre en place en quelques années. Elle prendra des décennies. Et d’ici là, il faudra résoudre le problème du chômage de masse.

Ensuite, le pays s’appuie sur le recours massif aux pays d’Europe de l’Est pour abaisser ses coûts de production. Soit il fait directement venir des immigrés en Allemagne en les payant une misère pour gagner en compétitivité. C’est ce qui explique qu’ils nous aient dépassé en matière de production agricole car nous ne pouvons pas lutter sur le coût du travail. Soit, ils sous-traitent une partie de la production ou des composants pour diminuer leur coût de production.

Mais, encore une fois, ce succès repose sur le fait que les autres pays européens ne l’imitent pas. En effet, si nous suivons tous la même politique (ce qui est en œuvre depuis 2010-2011), alors, la demande s’effondre sous l’effet des baisses de salaires et de coupes dans les dépenses publiques, et cela plonge l’économie dans la récession.

L’Allemagne mène une politique non collaborative et dont le succès dépend du fait que les autres pays européens ne l’imitent pas. Il n’est pas compliqué de comprendre que tout le monde ne peut pas avoir un fort excédent commercial en même temps, comme l’explique Jacques Sapir depuis longtemps !

Atlantico : Le modèle allemand s’exerce t-il à l’encontre d’un Etat social ou providentiel ?

Bien sûr, à partir du moment où un grand pays veut construire son modèle économique sur les exportations et un fort excédent commercial, il s’expose à la concurrence internationale, à moins de recourir à des formes de protectionnisme plus ou moins subtil pour protéger son marché. Et quand son niveau de protection est largement supérieur à la moyenne, il est contraint de la réduire pour rester compétitif, ou d’utiliser d’autres moyens, comme le recours à une main d’œuvre payée une misère ou à de la sous-traitance en Europe de l’Est.

Altantico : Malgré les critiques émises à l’égard du modèle allemand, le modèle français, par exemple, ne semble pas produire les effets pour lequel il est tant vanté. En effet, selon les derniers chiffres publiés par l’Insee, le taux de pauvreté serait de 14,3% dans l’hexagone. Autrement dit, n’y a t-il pas un niveau de pauvreté incompréhensible dans chaque économie et pour lequel on ne peut pas blâmer le modèle allemand ?

Non justement, ce qui est intéressant, c’est qu’alors qu’officiellement, le taux de chômage de l’Allemagne est moitié moins important que chez nous, le taux de pauvreté officiel y est supérieur : 16% !!! Bien sûr, le modèle français actuel (monnaie trop chère pour notre économie, absence de protections commerciales et coût du travail très important du fait du mode de financement de la protection sociale) a de fortes limites, mais il est tout de même stupéfiant que nous comptions moins de pauvres que l’Allemagne malgré les immenses réussites économiques de notre voisin. Tout ceci montre que cette réussite ne profite qu’à une toute petite minorité et, au contraire de ruisseler dans la population, est construite sur l’appauvrissement d’une partie de la population. En un sens, le modèle allemand, c’est aussi un retour au 19ème siècle, les travailleurs pauvres, le détricotage de la protection sociale.

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