Quand l’Allemagne n’a plus besoin de l’euro

Le groupe Xerfi vient de lancer des synthèses économiques qui rappellent un peu les travaux de Patrick Artus pour Natixis. La première étude, « L’UE, plateforme de production de l’économie allemande », décrit une Allemagne qui n’a désormais plus besoin de la monnaie unique.

Le grand basculement commercial

C’est une étude passionnante qui peut se résumer à quelques chiffres. En 2007, l’Allemagne ne réalisait que 35% de son excédent commercial hors de l’UE, 36% dans la zone euro et 29% dans le reste de l’UE. Sur les douze derniers mois, 74% de son excédent commercial est réalisé hors de l’UE, contre 5% dans la zone euro et 21% dans le reste de l’UE. Le solde intra-UE s’est réduit de 77 milliards d’euros, et a progressé de 70 milliards d’euros hors de la zone euro. Il faut noter que la zone euro ne représente plus que 37% des débouchés pour l’Allemagne (contre 47% pour la France).

Ce grand basculement n’est pas neutre pour la monnaie unique. En effet, quand l’Allemagne réalisait l’essentiel de son commerce et de ses excédents en Europe, Berlin pouvait avoir des réticences à quitter la monnaie unique et accepter la dévaluation consécutive des autres pays (même si elle l’avait supporté dans les années 1990). Mais aujourd’hui, 95% de l’excédent commercial allemand est réalisé en dehors de la zone euro, donc une fin de la monnaie unique, si elle aurait sans doute des répercussions commerciales sur l’Allemagne, n’aurait pas des conséquences insurmontables pour le pays.

Pourquoi l’excédent allemand en zone euro baisse ?

La baisse de 77 milliards d’euros de l’excédent allemand sur la zone euro en cinq ans semble paradoxale alors qu’on ne cesse de vanter le modèle commercial d’outre-Rhin. En fait, un tableau donné par Xerfi permet d’avoir un bon éclairage. Depuis 1999, la part de l’Allemagne dans les exportations au sein de l’UE est restée complètement stable, à 22%. En revanche, la part de la France, la Grande-Bretagne et l’Italie est passée de 33% à 24% de 1999 à 2008, et se stabilise à 23% en 2012. Il faut noter que la part des PECO (Est) est passée de 6 à 15% entre temps (12% en 2008).

Un autre tableau montre que l’Allemagne n’exporte pas plus dans l’UE depuis 2007 alors qu’elle importe 79 milliards de plus. Deux raisons expliquent ce phénomène. Il y a tout d’abord un décalage de croissance entre l’Allemagne, qui a rebondi après la crise, et le reste de la zone euro, en récession. Du coup, alors que le marché intérieur de la zone euro baisse, le marché intérieur allemand a un peu progressé, créant un décalage bénéficiant aux exportateurs des autres pays qui vendent en Allemagne, alors que les entreprises allemandes voient leurs débouchés européens baisser.

Vers la constitution d’une hégémonie industrielle ?

Mais le deuxième facteur, avancé par cette étude, c’est que l’Allemagne construit une position dominante d’un point de vue industrielle en Europe, utilisant les autres pays comme sous-traitants de son outil industriel pour en améliorer la compétitivité globale, et ne se souciant plus du marché européen puisque désormais, la croissance et les excédents sont réalisés ailleurs. L’intégration de l’Europe de l’Esta été mise en avant par Jacques Sapir, mais celle de l’ensemble du continent l’est davantage. Il faut noter qu’une sortie de l’euro permettrait de baisser le coût des pièces détachées venues d’Europe.

Cela accompagne une marginalisation des trois autres grandes puissances industrielles, France, Grande-Bretagne et Italie, dont la part de marché intra-UE s’est effondrée, respectivement de 13 à 9%, de 10 à 6% et de 9 à 7% en seulement 13 ans, quand celle de l’Allemagne est restée stable à 22%, et les pays d’Europe de l’Est (sous-traitants de l’Allemagne) de 6 à 15%. Pour Olivier Passet, « l’Allemagne est en passe de transformer l’espace européen en base arrière d’exportation hors des frontières de l’Europe » en s’appuyant sur la réduction des coûts salariaux unitaires au sein de la zone euro.

L’étude conclut en parlant de « l’impossible dialogue entre la France et l’Allemagne » et le caractère intenable du modèle allemand qui vassalise ses partenaires européens en détruisant leur intégrité productive. Elle rend aussi l’Allemagne indifférente à la fin de la monnaie unique.

4 commentaires sur Quand l’Allemagne n’a plus besoin de l’euro

  1. Dixhuitjuin // 27 juillet 2013 à 21 h 49 min //

    L’Allemagne aura roulé tous le monde . Comment était-il possible que nous ayons des politiques si aveugles? L’Allemagne est comme le Japon ,ils sont Nationaliste même en démocratie ,et tout en étant dans la Zone Euro et de surcroît dans l’Europe ,ils n’ont défendu que leur pays et ses intérêts ,tout en nous faisant de grands sourires .Voilà la réalité .Et les années 2017 à 2022 pourraient être très cruciales. Qui sera prêt ???

  2. Le problème est que nos élites font une fixation, une névrose selon Todd, sur l’Allemagne, ne pensent qu’en terme de relation franco-allemande où la France devrait se mettre au diapason de son amie allemande alors que l’Allemagne a dépassé ce stade et pense monde cf le magazine « Causeur » de Mai 2013 et son dossier « nous n’avons pas voté Merkel », et l’émission « ce soir ou jamais  » sur France 2 il y a un bon mois où Emmanuel Todd expliquait très bien la situation aux obsédés, névrosés de l’Allemagne.

  3. Je le savais ,les Allemands il faut les connaitre ,et personne ne fait l’effort d’essayer de comprendre leur stratégie ,et les Français,les bons petits Français se font avoir chaque fois. Il doit y avoir des intérêts très important en jeux pour que les autres pays se fassent avoir ,sinon ,comment se fait il qu’ils ferment les yeux ou alors ils sont stupides.

  4. Bellenger Pierre // 27 juin 2013 à 18 h 19 min //

    Tout cela démontre que l’Europe ne pourra jamais se construire tant qu’elle aura pour système économique le Monétarisme. Pourquoi avoir détruit le Keynésisme remis en place par le Général lors de la Libération. Avec lui, nous avons eu les trente glorieuses de la reconstruction. Quelle folie a pris nos hommes politiques que nous avons élus, de l’abandonner au profit d’un autre systèeme économique incompatible avec la Démocratie. Car si la Démocratie est moribonde, c’est bien à cause de cette incompatibilité : quand les partis politiques ne reflète plus le corps électoral, c’est que la Démocratie est moribonde, car 65% des électeurs disent NON au système économique actuel, et aucun parti n’a dénoncé réellement Maastricht à la dernière présidentielle. N’en déplaise à Monsieur Pinsolle, la DLR ne dénonce pas plus Maastricht que le FN., pas plus que le Front de Gauche. Le Général est bien mort, abandonné des siens.
    Pierre.Bellenger@wanadoo.fr

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